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DÉFICIENTS : LE SEXUEL « COMME SI »

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 139-141)

Dans les institutions pour enfants et adolescents perturbés les agressions sexuelles entre pairs d‟âge, ou entre adolescents d‟âges différents ne sont pas rares. De quelle agression et de quel niveau de sexuel s‟agit-il ? De Becker (2009) rappelle en effet qu‟une conduite sexuelle « repose avant tout sur la perception que le sujet a de lui-même et de la relation à l‟autre ». Voici en exemple deux courtes vignettes.

Victorien, 16 ans, a commis plusieurs agressions sexuelles sur des enfants de son institut médico-éducatif un peu plus jeunes que lui Ŕ malgré une alerte dès le premier acte, il n‟y a eu aucune mesure prise autre que de surveillance. Plusieurs mois après et alors qu‟il a été repris en main sur le plan éducatif et a suivi quelques séances de « thérapie », Victorien sait dire que ce n‟est « pas bien » ce qu‟il a fait, mais cette notion de « pas bien » est difficile à comprendre pour lui. Certes, il leur a demandé de baisser le pantalon et il a touché leur sexe dans la culotte. Certes, il a essayé aussi de se servir de son sexe mais n‟y est pas arrivé : il dit avoir juste posé son sexe sur le sexe d‟une fille (ce qu‟elle confirme). Victorien ne sait pas vraiment en quoi il a mal agit, en dehors de phrases toutes faites qu‟il a entendues des adultes et qu‟il répète : « ça ne se faisait pas à cet âge, ni à l‟école ni au travail » ; « il faut attendre 20 ans » ; « déjà il faut qu‟elles veuillent les personnes ». La notion de « vouloir » est seulement pour lui liée à l‟âge de la personne (et non au désir), et l‟interdit porte sur le lieu (l‟école). Il a donc compris que ce n‟était ni le lieu, ni les personnes adéquates, mais lui échappe totalement ce qui est le sens de la sexualité parce qu‟il n‟est pas sensible à la relation avec autrui et ne peut se projeter en autrui Ŕ ce qui est exactement identique pour ses « victimes », les uns et les autres ayant un registre de fonctionnement psychique d‟enfants, dépendants du « savoir » de l‟adulte pour ce qui est de la morale de comportement, comme pour ce qui est de la relation avec l‟autre.

« La prise en compte de la différence de statut génital allant de pair avec une situation narcissiquement égalitaire est nécessaire à la qualification de "sexuel" d'un délit. Le manifeste peut paraître sexuel sans que l'imaginaire latent du délinquant, et même celui des deux acteurs, se situe à ce registre » (Bergeret, 1995).

Pour ce jeune déficient, la rigidité de pensée, le développement entravé, le manque d‟adaptation sociale et l‟agressivité propre à l‟adolescence ont construit le recours à l‟acte sexuel dans son environnement immédiat (comme le souligne nombre d‟études- cf. De Becker 2009). Ces traits psychopathologiques auraient

pu tout aussi bien susciter d‟autres actes de violences, dont l‟apparente banalité n‟aurait pas mis en branle la machine judiciaire.

Olivier, 16 ans, au parcours scolaire très médiocre, souffrant d‟une déficience dite « légère », est assez souvent violent et a agressé sexuellement d‟autres adolescents dans son institution. Il a conscience que son comportement pose problème, qu‟il est aussi violent avec ses frères et sœurs plus jeunes quand il va chez lui. C‟est un enfant dont la mère a remplacé le père, alcoolique et violent, parti quand il avait moins de 3 ans, par deux concubins successifs Ŕ ayant le même comportement. L‟examen psychologique montre un adolescent dont la vie fantasmatique est comme abrasée. Pour reprendre la théorisation d‟Anzieu sur le Moi-Peau (1985), Olivier à un Moi-Peau perméable, et il apparaît lui-même sans défense contre les agressions externes par défaillance de pare-excitation. Que ce soit pour les actes relationnels ordinaires, pour l‟acte agressif, ou pour les actes sexuels, Olivier vit donc dans un rapport de proximité, de non construction qui s‟apparente à une fusion psychique : c‟est sans démêler vraiment ce qui est lui et ce qui est l‟autre que s‟instaure en permanence, même avec des mots, une sorte de corps à corps permanent. La violence récurrente de ce sujet s‟exprime à coup de colères et même si, une fois recadré, il est capable d‟en être contrit, il ne peut pas maîtriser ces bouffées explosives. Ce garçon est assez typique de ces adolescents décrits comme manquant à la fois de capacité cognitive, d‟empathie, de contrôle, d‟estime de soi, et donc de capacité à avoir des relations sociales qui tiennent compte des effets de leurs conduites sur leur environnement Ŕ en somme des adolescents déficients qui sont plus que d‟autres sensibles à toutes formes d‟abus et qui répondent en symétrie (cf. Timms et Goreczny, 2002, pour une des rares revues disponibles sur ce sujet). Par ailleurs, entre quête affective, anxiété face aux découvertes pubertaires, besoin d‟exister dans l‟institution en ayant ses « secrets » et ses essais de transgression, l‟adolescent déficient vit, dès qu‟il franchit la limite, dans une peur archaïque de réciprocité (loi du talion) qui l‟enferme dans la répétition (De Becker, 2005) : ce n‟est pas seulement là du sexuel qu‟il s‟agit mais de tout ce qui fâche les adultes.

Et justement, Olivier se meut dans un vide affectif où la seule représentation qu‟il peut construire de sa mère est celle d‟une mère qui « laisse tout faire », donc qui ne contient pas et d‟un père absent et énigmatique. Il a besoin du corps à corps pour combler ce désert affectif insupportable. Chaque fois qu‟il agresse, il est mortifié (au sens fort de ce terme) plus que culpabilisé, d‟avoir détruit l‟objet avant même d‟avoir pu construire un lien avec un objet « extérieur » qui serait satisfaisant. En d‟autres termes, il use du sexe « comme si » il pouvait s‟en servir pour un rapprochement séducteur mais se retrouve pris dans une

destructivité qui témoigne en réalité de l‟absence de toute libidinisation, donc de

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 139-141)