• Aucun résultat trouvé

procuré par cette automobile, une voiture "dans laquelle on sent très bien le mouvement de la route mais aussi de la ville, dans laquelle on voit la ville comme

Dans le document Le petit véhicule à l'épreuve de la ville (Page 172-175)

elle est : avec son flux de voitures, mais aussi avec ses paysages, ses tableaux, ses

portions différentes". Et dans ce flux, la petite voiture lui semble manifester une

véritable individualité, une différence

:

"On est plus petit que les autres, mais on

164

est

plus agile

aussi. Et c'est cette différence de taille qui fait qu'on n'est pas guidé comme les autres voitures. Moi j'ai le sentiment qu'on doit veiller à bien suivre le trafic parce qu'on est comme en dehors, qu'on doit en quelque sorte s'accrocher au trafic, au reste des autres voitures".

Cette singularité de taille et de volume paraît d'ailleurs aussi susciter un

sentiment de fragilité et de vulnérabilité :

"c'est vrai qu'on se sent peut-être plus vulnérable, qu'on peut avoir l'impression d'être épié par les plus grosses voitures. C'est pourquoi j'ai le sentiment d'avoir changé ma conduite, d'être plus attentive, par exemple dans les giratoires, et de manière générale dans les situations où il faut respecter ou accorder des priorités".

Mais paradoxalement, ce statut de petite voiture définit en retour un réel

sentiment de sécurité :

"On a d'abord le sentiment d'être plus vigilant, surtout avec les piétons, les enfants et les cyclistes, que je laisse toujours passer". Ce sentiment de sécurité se construit aussi sur le fait que la conduite d'une petite voiture induit une espèce de

corps-à-corps

entre le conducteur, la voiture et la route, réintroduisant par-là intervention et sensation physiques dans la gestion et l'opérationalisation du déplacement automobile : "Conduire une petite voiture, c'est d'abord sentir la route, l'état de la route, c'est aussi être

dans

la circulation. A ce propos, et je ne pense pas qu'on éprouve ça dans une grosse voiture, on éprouve fortement le fait que les choses viennent à soi, on a le sentiment qu'elles surgissent et non pas que vous allez à leur rencontre".

Cette présence physique du monde environnant conduit encore, par exemple, à "bien juger des distances, de la qualité de la chaussée et du revêtement, donc à ne pas commettre d'imprudences par mauvaise estimation ou par sous-estimation".

Mme.

Z.

insistera également sur le nécessaire apprentissage de conduite qu'elle aura été contrainte de faire, une "adaptation", selon sa formule, ayant été nécessaire pour cette femme conduisant peu, ou alors une Golf GTI. Relativement à la conduite d'une petite voiture, l'enquêtée fera trois constatations principales. En premier lieu, que cette conduite est en quelque sorte

directe,

la voiture répondant immédiatement aux ordres et aux sollicitations de la conductrice

(conduite interactive) .

En second lieu, que la conduite ressort d'une véritable expérience sensorielle, "parce qu'on sent rouler la voiture, qu'on sent ce qui se passe quand on met des gaz, qu'on sent les effets de ce qu'on lui demande" 36. En troisième lieu, et la proposition complète la

36 Sollicitée pour en dire davantage, elle avancera que la petite voiture "n'est pas une voiture opaque", un sentiment renforcé encore par un système de tableau de bord et de commandes

(voyants, indicateurs .. ) qu'elle trouve "clair et transparent".

165

précédente, que "la conduite est une chose

visible",

qu'on perçoit "une action directe du conducteur sur la voiture, mais aussi de la voiture sur la ville"

37

A la question de l'hypothèse d'un nouveau rapport

à

la ville induit par la conduite d'une petite voiture, l'enquêtée mettra en exergue la possibilité d'y "poser un regard neuf et rafraîchissant",

à

la fois "plus calme et plus attentif'.

Poursuivant dans cette logique, Mme

Z.

reviendra sur ce qu'elle désigne elle­ même du nom

d'"implication urbaine",

qui lui paraît par exemple "impossible pour peu que l'on soit enfermée dans une grosse Mercedes". Ce sentiment de

participation urbaine,

abondamment décrit par l'enquêtée, semble devoir se construire sur une triple perception :

la perception des "événements de la rue";

la perception d'une territorialité urbaine, au travers notamment "de la perception du passage d'un quartier

à

un autre";

enfm, la perception d'une rythmicité motrice spécifique, "qui donne le sentiment qu'on roule plus doucement, qu'on est moins pressé, qu'on déambule en voiture".

Enfm,

la conduite urbaine d'une petite voiture semble devoir convoquer ce qu'on pourrait nommer une

totalité sensorielle,

la conductrice insistant

à

plusieurs reprises, et de manière positive, sur le fait que l'on ne ressent jamais d"'effet cocon", la ville, dans ses multiples sollicitations auditives, visuelles et chromatiques affirmant toujours sa présence.

En fm

de compte, et ce dernier propos sera tenu

à

l'extrême

fm

de l'entretien, la petite voiture paraît devoir réenchanter ou régénérer la ville, voire l'embellir aussi, et cela autant parce qu'elle gomme "les emmerdements de stationnement" que parce qu'elle rend

à

la fois plus vigilant et plus sensible

à

son "animation, sa diversité et ses détails".

37

Conviée à exemplifier sa pensée, Mme Z., changeant alors de registre interprétatif, insistera pour dire que cette action de la petite voiture sur la ville recèle aussi une dimension esthétique, et même quasiment morale : "Je suis étonnée du nombre de petites voitures qui circulent en ville, qui la grignotent, qui l'égayent et qui finalement la rendent plus gaie et plus vivable".

Dans le document Le petit véhicule à l'épreuve de la ville (Page 172-175)