• Aucun résultat trouvé

CONTEXTE GENERAL UN REVE D'EMANCIPATION

Dans le document Le petit véhicule à l'épreuve de la ville (Page 186-188)

L'essai d'une Fiat

500

va alors induire une projection de l'interviewée sur la possibilité d'avoir une voiture à soi : "Ce serait enfm posséder ma propre voiture, non pas celle de mon mari que je ne peux qu'admirer ni la monovolume qui appartient pratiquement aux enfants, mais la mienne propre". Si "en tant que mère de famille" elle ne pourrait jamais acheter une telle voiture, elle le pourrait très bien "en tant que femme" : "Quand je suis seule et décide d'aller en ville, je préférerais avoir une petite voiture". Un tel

rêve d'émancipation se décline alors

sur des modes différents.

D'abord, le petit véhicule entre dans une

logique d'échappement

à son mode de vie péri-urbain. Il devient le révélateur d'une plainte latente contre la dépossession de ses propres rythmes de vie. Le temps pour elle, quand bien même elle est considérée socialement comme oisive, est un temps quotidien contraint, très éclaté et strictement dépendant des déplacements en voiture : elle est manifestement condamnée à faire le taxi pour ses enfants et leurs innombrables activités. Avoir une voiture pour soi, c'est alors imaginer se réapproprier un temps continu (de quoi combler le vide entre deux déplacements), échapper à la routine du quotidien et du ménage, introduire un peu de temps personnel non programmé dans le temps programmé de la famille et du ménage (valorisation d'une logique temporelle féminine), et peut-être de surcroît se donner une image positive de femme active (une façon en quelque sorte d'afficher que elle aussi travaille).

Ensuite, la petite voiture révèle une

aisance de conduite

qui la surprend elle­ même par rapport à l'expérience qu'elle a de la monospace : "C'est formidable, je me sens bien, surtout dans les virages, et même les plus difficiles". Et la voiture offre en outre tous les indices de confort et d'agrément d'une autre, à laquelle elle n'a rien à envier : "Je suis étonnée de ce que la petite voiture est pour ainsi dire aussi confortable qu'une grande". Il ne manque vraiment rien (direction assistée, autoradio, cristaux liquides, fermeture électrique des portières, ... ). Elle lui semble offrir les dispositifs de sécurité analogues (airbag, barres latérales). Et même l'espace intérieur lui paraît "tout à fait convenable" 44.

44 Au delà des facteurs visuels qui sont habituellement cités (transparence, effet panoramique, ... ), on peut ici se demander si Je fait que Je degré d'équipement soit référé à celui d'une grande voiture ne génère pas J'effet d'agrandissement dans la perception de la petite.

178

Enfm, le petit véhicule devient

symbole de liberté,

il est le signe d'un comportement libéré. Il apparaît comme une excellente alternative à la voiture familiale et dans son cas, "c'est vraiment le véhicule idéal pour ses sorties solitaires et indépendantes". Libération ! Moins en un sens féministe qu'en un sens plus large d'ouverture et de tolérance. D'une part elle a le sentiment que ce véhicule lui donnerait en quelque sorte un certain

droit à l'e"eur.

Elle a l'impression qu'une erreur de conduite est moins grave qu'avec une autre voiture parce que, dit -elle, on peut

y

remédier facilement : on peut recommencer une manoeuvre maladroite, on peut facilement rectifier sa trajectoire, on bénéficie d'une plus grande tolérance. D'autre part, il semble donner

droit à

l'apprentissage :

"Avec une grande voiture, plus tu recommences, plus tu rates ! Avec celle-ci, plus tu recommences, plus tu apprends !" Dans le premier cas, on est de plus en plus coincé; dans le second, on devient de plus en plus libre ...

LA

PETITE VOITURE ET LA VILLE - UN INSfRUMENT DE RE-URBANISATION

Mais quel est le prétexte à l'échappement au domicile ? C'est ici le retour en ville qui est déterminant. La ville devient pour cette femme mariée, péri-urbaine, ce que la campagne était pour l'urbain. C'est une

ville de ressource

(de ressources autant que de resourcement) que le péri-urbain peut exploiter comme un habitant, plus qu'une

ville de mouvement

qu'il n'aurait qu'à traverser (idéalement l'interviewée pense d'ailleurs que toutes les voitures devraient

y

rouler à la même vitesse). C'est un vacuum, un trou, une sorte d'attracteur étrange, qui contient à la fois le moment, les rituels et les lieux qui manquent à la zone villas et au mode de vie péri-urbain. Ce n'est pas la clé des champs qu'elle souhaite pouvoir prendre, c'est, pourrait-on dire, la clé des rues !

45

La ville entière répond alors à la logique d'échappement précédente. "J'ai envie de redécouvrir ma ville, dont je me sens toujours plus éloignée". Et la petite voiture est le medium idéal pour permettre une telle

reconquête urbaine.

C'est un véhicule qui sait se faire oublier. Il est discret, revalorise à sa manière le commerce de proximité ("Une

utilitaria

donne envie de faire ses courses dans les magasins en ville plutôt que de se rendre dans les grandes surfaces") et ré-ouvre certains plaisirs spécifiquement urbains, certains moments de liberté, comme celui de s'arrêter à un bar pour boire un café : "Elle occupe si peu de place que l'on peut toujours tourner autour et quand on est au bar, on n'a plus l'impression d'avoir une voiture".

45

Le vélo est un instant évoqué, pour être à son tour écarté "en raison de son habillement" classique (jupes ou tailleurs sérés ), ce qui fait de la petite voiture une solution préférable et potentiellement habillée puisqu'elle ajoute : "Pas forcément une Fiat 500 mais plutôt une Twingo".

179

Au confort, à l'agrément et aux facilités de conduite précédemment évoquées renvoient ici le sentiment d'une plus grande

interaction avec le piéton

dans la ville. D'une part, l'interviewée a le sentiment de faire moins peur et d'en imposer moins : "J'ai l'impression que les écoliers, garçons et filles, ont moins peur, qu'ils se sentent moins menacés", un peu comme si le faible volume du véhicule donnait l'impression qu'on peut l'arrêter avec la main 46; d'autre part, elle a le sentiment que les piétons la comprennent, que s'instaure avec eux une sorte de complicité, et que les règles ordinaires de conduite et de civilité se négocient, en bonne compréhension réciproque, en fonction de la situation particulière. "L'ambiance générale de la circulation est meilleure, il y a plus de gentillesse et de compréhension". Ce sentiment est si fort qu'il conduit même un moment l'interviewée à stigmatiser les grands véhicules, en particulier bus et camions, que l'on devrait tous éliminer, tant ils puent, polluent et entravent la visibilité.

Enfm, au symbole de liberté et au droit à l'erreur que représente la petite voiture on peut faire correspondre, outre l'échappement au temps contraint du quotidien et le potentiel d'interaction sociale, le

jeu dans l'espace

-dans l'espace fonctionnel autant que dans l'espace urbain. "Même lorsque des vélomoteurs me dépassent par la droite, je reste à l'aise". L'espace routier, normatif et mesuré, s'aggrandit en quelque sorte - dans une pré-sélection, la faible largeur du véhicule redonne une marge de liberté, un battement, un écart possible que l'on n'a pas avec un véhicule plus grand. De même, l'espace visuel et perceptif tend à se dilater : les couleurs de l'automne sur les flancs des montagnes qui entourent la ville semblent plus immédiatement perceptibles : "Je me sens plus relax et je redécouvre en quelque sorte la ville dans son paysage global". Avec la petite voiture, la ville s'ouvre sur son ailleurs.

Dans le document Le petit véhicule à l'épreuve de la ville (Page 186-188)