• Aucun résultat trouvé

Section 1. LE RENOUVEAU DES THEORIES DU CHANGEMENT

1.2. Les processus participant du concept de capacité de changement

1.2.1. Le processus de formation de la stratégie s’appuyant sur des interactions entre

Dans la recherche en management stratégique, Henri Mintzberg et Robert Burgelman apparaissent comme des praticiens clés de la recherche sur les processus, c’est-à-dire l’étude dynamique du comportement à l’interne et entre organisations, se concentrant sur le contexte, les activités et les actions qui se déploient dans le temps (Pettigrew, 1997, 2012).

L’étude de la formation de la stratégie cherche à mettre en avant l’intention et les types d’interactions qui caractérisent la pensée stratégique.

1.2.1.1. Mintzberg : l’interaction entre stratégie intentionnelle et stratégie réalisée

Courant alternatif dans les années 80, les travaux de Mintzberg (1978) sur la formation de la stratégie se basent sur une critique de la planification stratégique qui visait la mise en cohérence de l’organisation avec l’environnement. En effet, cette vision impliquait une rigidité organisationnelle préjudiciable à la flexibilité nécessaire dans l’environnement complexe de l’organisation, dans un environnement rendu plus incertain et plus instable à partir des années 70.

Mintzberg et Waters (1985) décrivent la stratégie comme un modèle, un schéma dans un flux d’actions, sur une longue période, qui faisait initialement référence à un flux de décisions (Mintzberg, 1978). Cette image du processus de stratégie ainsi que les nombreuses études de cas conduites dans le cadre de la recherche sur les processus ont produit une compréhension de la formation de la stratégie comme « processus de changement complexe et sinueux » (Sminia, 2009).

Mintzberg (1990) souligne le caractère collectif et social de la stratégie, qui comprend trois éléments : le contenu, le processus (comment la stratégie se forme) et le contexte (ce qui

influence sa formation). Il plaide pour l’étude de l’interaction entre stratégie intentionnelle et stratégie réalisée6, au cœur des processus de changement organisationnel. La stratégie se forme dans « l’interaction entre un environnement dynamique et une inertie bureaucratique, avec une équipe dirigeante réalisant la médiation entre ces deux forces »7 (Mintzberg, 1978, p.934).

Mintzberg et Waters (1985) montrent que la stratégie s’inscrit sur un continuum délibéré / émergent : à partir de l’intention initiale, la réalisation incorpore des éléments émergeant « en route » qui vont modifier les objectifs de départ. Ces adaptations peuvent concourir progressivement à la transformation de l’organisation par intégration des pratiques opérationnelles. Différentes stratégies peuvent être déclinées à partir de la combinaison de trois dimensions : les intentions managériales (degré de précision, d’explicitation, d’adhésion), le niveau du contrôle central sur les actions de l’organisation (degré de fermeté), la nature de l’environnement (degré de prédictibilité, de contrôlabilité, de bienveillance).

Toute stratégie connait un cycle de vie, de la conception au déclin, et des périodes de stabilité et de changement (Minzberg, 1990). Le dilemme fondamental de l’élaboration de la stratégie réside dans le besoin de réconcilier les forces de la stabilité, qui permet d’avoir une efficacité maximale, et celles du changement, qui permet de s’adapter aux évolutions. Pour former la stratégie et gérer le changement, le dirigeant doit savoir « modeler conjointement pensée et action, contrôle et apprentissage, stabilité et changement » (Mintzberg, 1990, p. 66). Le changement est à la fois prescrit et construit, proposé par la direction avec une certaine latitude laissée aux acteurs (arbitrage sur les ressources, méthodes, modalités de déploiement du changement) (Autissier et al., 2010). Le dirigeant doit ainsi être à l’écoute, réactif et savoir

6“The dichotomy between strategy formulation and strategy implementation is a false one under certain common conditions, because it ignores the learning that must often follow the conception of an intended strategy”p.947, Mintzberg H. (1978) “Patterns in strategy formation”, Management Science, Vol. 24-9, p. 934-948

coupler analyse et intuition. L’important est de maintenir une tension créatrice dans le processus de changement (Mintzberg et Westley, 1992 ; Mintzberg, Ahlstrand, Lampel, 1999a).

Ainsi, la capacité à changer de l’organisation dépend de deux facteurs clés (Mintzberg et Westley, 1992) :

- la recherche de cohérence interne entre buts poursuivis, conception de la structure et relations de pouvoir, qui permet de préserver la stabilité et de développer l’agilité dans la configuration de l’organisation ;

- la faculté d’ajustement pour faire face aux modifications de l’environnement.

1.2.1.1. Burgelman : les processus induit et processus autonome dans l'élaboration de la stratégie

Dans la même perspective, Burgelman s’est également intéressé à la formation de la stratégie au sein des entreprises. Burgelman (1983, 1991) montre que la stratégie résulte de deux processus distincts de variation-sélection-rétention, soit de façon induite par la direction (cadres dirigeants), soit de façon autonome par les initiatives des managers intermédiaires qui endossent un rôle d’intrapreneur. Ces deux comportements sont en interaction et influencent la conception de la stratégie au niveau organisationnel (Autissier et al., 2010).

Davantage qu’un processus de décisions délibérées par la direction, le changement stratégique est un processus émergent dans lequel l’adaptation dépend de l’ajustement de fond entre « les environnements de sélection internes et externes » (Burgelman, 1991, 1994). Les objectifs et stratégies officielles sont utiles pour créer de la fiabilité et de la cohérence dans le comportement organisationnel mais cela créé de l’inertie organisationnelle. Chez Burgelman,

la vision du processus d’évolution identifie les managers intermédiaires comme ceux qui reconnaissent le besoin de divergence et qui initient le changement.

Dans le processus induit par la direction, les projets sont conçus, sélectionnés et retenus en fonction des choix de stratégie faits par les dirigeants, tenant compte de l’environnement : dans la continuité de la stratégie existante (changement par inertie ou par ajustements) ou à la suite d’une nouvelle orientation (changement par réorientation). La sélection des projets est réalisée à travers le contexte structurel contrôlé par les dirigeants : celui-ci se compose des mécanismes administratifs (de planification, d’allocation des ressources et de contrôle) et culturels (comportements attendus) et régulent ainsi les initiatives des managers intermédiaires en s’assurant qu’elles sont conformes à la stratégie attendue. Cette conception se rapproche de celle de Chandler, dans laquelle le top-management « innove en créant de la structure ou des mécanismes bureaucratiques de coordination destinés à rationaliser les pratiques des acteurs » (Godelier, 1998), et la stratégie influence la structure.

Le processus autonome de formation de la stratégie traduit le potentiel stratégique des managers intermédiaires en leur permettant d’adopter des comportements autonomes en dehors du champ de la stratégie existante : un nouveau contexte stratégique de sélection peut alors émerger en dehors du contexte structurel contrôlé par les cadres dirigeants, reposant sur les initiatives et les compétences des managers intermédiaires (Burgelman, 1991 ; Burgelman & Mittman, 1994). En effet, les cadres opérationnels disposent d’une marge de manœuvre plus grande que celle des dirigeants, étant plus éloignés des contraintes vis-à-vis des actionnaires. Ici, à l’inverse du premier cas, c’est la structure qui influence la stratégie.

Burgelman (1991, 1994) met l’accent sur la complémentarité de ces approches et leur interdépendance : le changement peut se produire dans la durée, du fait de l’apprentissage développé en interne par les managers intermédiaires, reconnu et encouragé par les dirigeants,

et de la capacité de ceux-ci à promouvoir les initiatives induites et autonomes de façon simultanée. Il éclaire ainsi le lien entre la stratégie « corporate » et l’action stratégique.

Le courant de la formation de la stratégie met en lumière le rôle des acteurs organisationnels et leur capacité créatrice : il rejoint en cela certains courants de la théorie des organisations et de la sociologie, s’intéressant à l’innovation (Alter, 1990) et à l’action ordinaire (Cyert & March, 1963), qui mettent l’accent sur les processus routiniers et les pratiques, susceptibles de générer des changements continus.

Pour développer une approche plus intégrée du changement, la notion de capacité à changer des organisations contemporaines peut être rapprochée du concept de capacité utilisé en management stratégique, et particulièrement de la capacité dynamique (Autissier et Vandangeon Derumez, 2010).

Le courant des capacités dynamiques a été développé pour expliquer pourquoi certaines entreprises arrivent à créer et maintenir un avantage concurrentiel, basé sur la valeur et la spécificité de leurs ressources.