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Les limites de la mécanisation

4. Risques, blocages et options de sortie

4.7. Quel rôle de l’Etat pour quelle régulation ?

3.2.1. Un régime d’exploitation extensive/intensive

3.2.1.1. Les limites de la mécanisation

Sous le protectorat, comme le souligne Aziz Belal (1968), « le développement de l’agriculture

« moderne » s’est traduit notamment par un gros effort d’investissement en matériel agricole, exprimant l’élévation continue du degré de mécanisation de ce secteur », le degré de mécanisation atteint par l’agriculture européenne du Maroc étant comparable à celui de l’agriculture française (80 à 85 hectares par tracteur). « A la veille de l’indépendance, l’évaluation correspondante pour l’agriculture marocaine est de plus de 3000 hectares par tracteur », « la plupart des tracteurs étant utilisés sur un petit nombre seulement d’exploitations marocaines modernisées ».

Au lendemain de l’indépendance, les pouvoirs publics lancent, sur une vaste échelle, l’Opération-Labour visant « la modernisation du secteur traditionnel sur les superficies non irriguées qui constituent de loin la majeure partie des terres cultivables en systématisant l’action des anciens secteurs de modernisation du paysannat : travaux à façon au profit des petits agriculteurs grâce à un parc important de tracteurs, diffusion massive de semences sélectionnées vendues à perte et d’engrais, campagnes favorables à la pratique d’assolements réguliers » (Belal, 1968). L’Opération-Labour poursuivait deux objectifs technique et institutionnel : l’augmentation immédiate de la production agricole, notamment de céréales, grâce à l’utilisation du tracteur d’une part; induire dans la société paysanne de nouveaux comportements et de nouvelles formes d’organisation d’autre part. Analysant les raisons profondes de l’échec de l’Opération-Labour, Aziz Belal (1968) note que celle-ci

«aurait pu entraîner d’importantes transformations de l’économie agricole traditionnelle : l’augmentation du revenu monétaire de chaque exploitation, grâce à l’accroissement des dépenses d’exploitation, aurait hâté l’intégration de l’agriculture traditionnelle dans les circuits monétaires ; l’accroissement des rendements et des superficies cultivées, en permettant le dégagement d’importants surplus aurait créé les conditions d’une évolution de l’agriculture de semi-subsistance vers une agriculture plus tournée vers le marché ; l’apparition de cultures fourragères pouvait entraîner une rationalisation de l’élevage, condition indispensable du développement agricole». «Mais la résistance des structures sociales (et de leur base agraire) devait être plus forte et compromettre – en liaison avec d’autres causes d’ordre secondaire – la réussite de l’Opération».

Au plan technique, les résultats du processus d’intensification des systèmes productifs agricoles peuvent être appréhendés en référence à une série d’indicateurs pertinents (Akesbi, 2002) : irrigation, mécanisation, recours à certains facteurs de production, etc.

(i) Les données du Recensement font ressortir un nombre non négligeable d’exploitations pratiquant l’irrigation : 37% de l’effectif total couvrant une superficie de 1.251.456 ha (potentiellement ce pourcentage peut atteindre 42%). Bien que ne représentant que 14.3%

de la SAU totale, la superficie irriguée a enregistré une progression de 72% par rapport à 1974. En revanche, le nombre d'exploitations irriguées n'a augmenté que de 7% indiquant un développement intensif (interne aux exploitations déjà irriguées) et non extensif de l’irrigation.

Les exploitations de moins de 3 ha et couvrant 19% des terres irriguées représentent 12%

de la SAU. Parallèlement, les grandes exploitations (plus de 100 ha) couvrent 12% des

terres irriguées mais leur part dans la SAU est inférieure à 9%. Ce sont par conséquent les petites et moyennes exploitations (3 à 50 ha) qui, en l’occurrence, semblent défavorisées : avec 72% de la SAU, elles couvrent 63% des terres irriguées.

(ii) En termes de mécanisation et de modernisation des exploitations, les données disponibles (tableau 3.6.) indiquent que 47% des exploitations ont procédé à une mécanisation de leurs travaux du sol, avec des écarts importants entre les grandes exploitations (91%) d’une part, et les micro-exploitations de moins de 3 ha (40%) ou inférieures à 1 ha (23%).

Les différentiels en matière de mécanisation sont plus frappants dans le domaine de la moisson : 31% en moyenne des exploitations (plus de 75% pour les grandes exploitations contre moins de 25% pour les exploitations de moins de 3 ha).

Globalement, en dépit de l’effort d’intensification et de modernisation, le niveau de mécanisation demeure assez médiocre en comparaison internationale comme en témoigne le cas du parc de matériel existant : 43.226 tracteurs au total, soit une moyenne de un tracteur pour 202 ha, contre un tracteur pour 86 ha dans les pays voisins de la Méditerranée du Sud. L'évolution observée depuis le début des années 1990 met en évidence une nette détérioration : les ventes de matériel agricole ont chuté de 2.127 unités en moyenne entre 1990 et 1994 à 1.151 entre 1995 et 1999, le nombre d'hectares par tracteur passant à 230 ha cultivés (Figures 2.21 et 3.7, MADRPM, 2000a).

Tableau 3.6. Matériel agricole et mécanisation des travaux du sol

Classe-Taille (en ha)

Nombre total

d’exploita-tions

Tracteurs motopompes Mécanisation des travaux du sol

Nombre % Nombre % Nombre % % classe

Sans terre 64 716 365 0.8 822 0.5 - -

-0 – 1 315 323 673 1.6 15 827 10.3 73 415 10.9 23.3

1 – 3 446 710 2 190 5.1 36 172 23.5 180 962 26.8 40.5

3 – 5 237 669 2 840 6.6 24 343 15.8 123 241 18.2 51.9

5 – 10 247 766 7 028 16.3 31 458 20.4 153 369 22.7 61.9

10 – 20 125 169 9 098 21.0 22 119 14.3 93 008 13.8 74.3

20 – 50 47 985 10 740 24.8 13 724 8.9 40 994 6.1 85.4

50 – 100 7 829 4 777 11.0 4 928 3.2 7 150 1.1 91.3

+ 100 ha 3 182 5 515 12.8 4 830 3.1 2 882 0.4 90.6

Total 1 496 349 43 226 100 154 223 100 675 021 100 47.2

Source : Akesbi, 2001a, 2001b.

Figure 3.7.

Superficie cultivée par tracteur

0 50 100 150 200 250

Monde Med Nord Med Sud Maroc

Ha/tract

Source : Akesbi, 2005a.

(iii) En ce qui concerne les autres facteurs de production, le Recensement fait ressortir que les engrais ne sont utilisés que par 51,2% à peine des exploitations (tableau 3.7). La consommation a eu tendance à stagner, et même à décliner tout au long de la décennie 1988-1997, et ce n’est qu’en fin de période qu’elle s’est légèrement redressée (figure 3.8).

La consommation moyenne à l'hectare atteignait en 2003 à peine 37 kg/ha au Maroc, loin derrière la moyenne mondiale (108 kg/ha), et encore plus celle des voisins de la Méditerranée du nord (126 kg/ha) et même du sud (67 kg/ha) (figure 3.9).

Pour leur part, les semences sélectionnées et les produits phytosanitaires sont encore moins répandus que les engrais puisque, selon le recensement, ils n'étaient utilisés respectivement que par 16.1% et 33% des exploitations (ces proportions baissant jusqu'à moins de 7% et 18% respectivement dans le cas des exploitations ayant moins d'un hectare) (tableau 3.7.).

L'évolution accusée durant la décennie 90 n'en a pas moins été comparable à celle déjà enregistrée en matière de mécanisation et de recours aux engrais. Pour s'en tenir au cas bien significatif des semences du blé tendre, sa consommation aussi a globalement encore baissé dans des proportions considérables durant la dernière décennie: elle a chuté de 443.809 quintaux en moyenne entre 1990 et 1994 à 354.649 quintaux entre 1995 et 1999 (MADRPM, 2000c).

Total 1 496 349 732 550 100 51.2 230 438 100 16.1 472 107 100 33.0 Source : Akesbi, 2001a, 2001b.