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Les processus de décodage et de raisonnement : une distinction essentielle

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4. Discussion générale

4.2. Les processus de décodage et de raisonnement : une distinction essentielle

Dans la première étude, les analyses de médiations que nous avons réalisées incriminent les processus d’inhibition et de reconnaissance des émotions faciales dans la chute des performances des sujets âgés en TdE affective. Si les processus d’inhibition peuvent paraître inattendus puisqu’ils sont généralement rattachés à la TdE cognitive, de tels liens ont déjà été mis en évidence avec la tâche du RME (Bull et al., 2008; Duval et al., 2011), et il est possible, en fonction du contexte, que les émotions que l’on attribue aux personnages dans le MASC ne correspondent pas à celles que nous aurions pu imaginer ou avoir nous-mêmes dans une situation similaire. L’implication de la reconnaissance des émotions faciales est en revanche beaucoup moins surprenante. Par définition, les états mentaux sont des entités inobservables. Toutefois, dans le cadre particulier de la TdE affective, les états mentaux peuvent être inférés sur la base d’indices présents dans l’environnement, en particulier visuels. Un des principaux vecteurs de la divergence dans le champ d’étude du vieillissement normal concerne la nature des tests ayant permis d’attester de l’affaiblissement des performances de TdE, en l’occurrence ceux basés sur un matériel visuel plus que verbal. Ceci revient à évoquer la distinction évoquée par Sabbagh (2004) à propos des processus de décodage et de raisonnement. En utilisant une tâche combinant les modalités verbale et visuelle d’évaluation, nous montrons que la chute des performances en TdE affective dépend des difficultés à reconnaître les émotions faciales des personnages, c’est-à-dire qu’elle s’explique par la fragilisation des processus de décodage. Bien que cela puisse laisser supposer un effet de la tâche, dont la performance en TdE affective dépendrait uniquement des processus de décodage, le fait que les émotions soient contextualisées implique aussi un raisonnement. Nos résultats sont d’autant plus crédibles que

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le raisonnement non social ne diffère pas au regard des questions contrôles. Par ailleurs, les performances cognitive et affective au MASC reposent sur des contenus verbaux et non verbaux. Or, en séparant notre échantillon à la médiane de l’âge, nous avons par ailleurs observé que, chez les sujets les plus âgés, les performances en TdE cognitive étaient corrélées à celles obtenues aux items verbaux alors que celles relatives à la TdE affective reflétaient les difficultés à traiter les items visuels (résultats non montrés). Dans le cadre de la TdE affective, ces données nous incitent à considérer davantage la place de ces deux dimensions, de décodage et de raisonnement, dans son fonctionnement, là où la littérature considère très souvent la reconnaissance des émotions de façon indépendante de la TdE, et néglige, de fait, la contribution des processus de décodage dans la capacité à attribuer des états mentaux. En supposant que ces processus puissent être affectés indépendamment les uns des autres, il est possible d’étendre l’exploration clinique de cette distinction dans des perspectives de diagnostic différentiel ou de prise en charge des troubles.

Dans la DFT, où des troubles sévères de TdE sont classiquement rapportés, une méta-analyse rapporte que les déficits de décodage interviendraient à un même degré que ceux liés aux processus de plus haut niveau de la TdE (Henry et al., 2013). Le réseau de la perception sociale et celui de la TdE se chevauchant, il n’est pas surprenant, aux vues des atteintes du mPFC et des régions temporales médianes comprenant l’amygdale (Ruffman et al., 2008), que ces aspects soient impliqués dans les troubles de la TdE cognitive et affective inhérents à la pathologie. La TdE dans la DS a en revanche été beaucoup moins étudiée. L’utilisation d’un score composite dans notre étude rend difficile de démêler quels sont les mécanismes affectés dans le fonctionnement de la TdE. Nous avons toutefois démontré que les valeurs de FA relatives à l’UF et à l’ILF droits étaient corrélées de façon spécifique avec les performances de TdE. Or, ces faisceaux, localisés dans le lobe temporal ventral droit, jouent un rôle prépondérant dans les processus de décodage tels que la reconnaissance des émotions basiques (Wang et al.,

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2017). Ces difficultés peuvent s’apparenter à la symptomatologie atypique des formes droites de la DS, dans lesquelles une prosopagnosie et des déficits de reconnaissance des émotions sont souvent constatés. Par ailleurs, la littérature rapporte avec abondance les difficultés dans la DS pour labelliser et reconnaître des émotions à partir d’expressions faciales (Calabria et al., 2009; Irish & Piguet, 2013; Kumfor et al., 2013; Miller et al., 2012; Omar et al., 2011). Le dysfonctionnement des processus basiques interférerait avec le traitement plus complexe des états mentaux émotionnels. Une étude montre notamment que les patients DS qui ne parviennent pas à détecter des intentions sarcastiques sont aussi ceux qui obtiennent les moins bonnes performances à une tâche de reconnaissance d’émotions basiques (Rankin et al., 2009).

Le test du RME que nous avons utilisé implique, sur la base du regard de personnes, d’inférer à la fois des émotions basiques, dont l’identification requiert les processus de décodage, et des émotions self-conscious ou sociales qui feraient intervenir de surcroît les processus de raisonnement (Baron-Cohen, Wheelwright, & Jolliffe, 1997). Parfois, les processus de décodage ne suffisent pas à eux-mêmes pour comprendre les émotions d’autrui. L’inférence d’états mentaux complexes tels que les émotions sociales ou certains états mentaux cognitifs, qui surgissent généralement dans des contextes sociaux (Adolphs, 2002), requièrent alors d’employer des mécanismes cognitifs sophistiqués d’introspection et de TdE (Hareli & Parkinson, 2008). Là encore le score composite que nous avons utilisé ne permet pas de différencier les performances des patients pour les émotions basiques et complexes mais les deux performances étaient bel et bien déficitaires chez ces patients (résultats non montrés). Une étude récente a administré le test du RME à une cohorte de patients victimes de lésions neurologiques. A partir d’analyses voxel-based complétées par de la tractographie, les auteurs sont parvenus à identifier le FU droit comme un substrat de la mentalisation à partir de visages (Nakajima, Yordanova, Duffau, & Herbet, 2018). Dès lors, l’implication conjointe du côté droit de l’IFL et du FU pourrait matérialiser l’altération des mécanismes basiques et plus complexes

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de décodage et de raisonnement dans la DS, qui serait responsable de l’atteinte plus marquée de la TdE affective. Rapportons qu’en regroupant des patients DS et DFT, une étude a signalé des difficultés pour comprendre les aspects affectifs dans une tâche de faux-pas (Narme et al., 2013), qui met particulièrement en jeu les normes sociales. Dès lors, il convient de préciser que l’inférence des émotions sociales, que nous associons ici aux processus plus complexes de TdE puisqu’elles requièrent un raisonnement social, sont aussi étroitement liées aux normes sociales, dont nous n’avons pas tenu compte dans notre évaluation.