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L’évolution des modèles théoriques du fonctionnement de la cognition sociale

1.1.2 aux retombées novatrices en neuropsychologie

1.3. Vers une conception intégrative de la cognition sociale.

1.3.1. L’évolution des modèles théoriques du fonctionnement de la cognition sociale

Au-delà des travaux qui se sont employés à théoriser le fonctionnement de la TdE, la question de la modularité de la TdE a particulièrement retenu l’attention de la communauté scientifique. Les prémisses de ce que l’on pourrait qualifier de révolution virent le jour en 1983, lorsque Fodor postula que les différentes fonctions cognitives étaient organisées selon des modules

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autonomes, au fonctionnement parallèle, et répondant à plusieurs propriétés : celles de systèmes cognitifs spécialisés, spécifiques à leur domaine et reposant sur une architecture neuronale fixe et innée. Les modules auraient ainsi pour fonction première de permettre des opérations automatiques et rapides sur des informations spécifiques.

Cette conception modulaire du fonctionnement cognitif a par la suite été appliquée à la TdE pour désigner sa spécificité, sa rapidité et sa systématisation dans le traitement des représentations mentales (Baron-Cohen, Campbell, Karmiloff-Smith, Grant, & Walker, 1995; Leslie, Friedman, & German, 2004). De nombreux travaux sont venus soutenir et étayer cette hypothèse, attestant de l’universalité de cette aptitude chez les individus, de son développement uniforme et hiérarchisé (Baron-Cohen et al., 1995; Scholl & Leslie, 1999), ou encore de l’altération spécifique retrouvée chez les enfants souffrant de troubles du spectre autistique concernant le traitement des états mentaux par opposition à celui des autres représentations (Charman & Baron-Cohen, 1995; Leslie & Thaiss, 1992).

En dépit de ces résultats, de nombreux auteurs ont pointé les faiblesses de l’idée d’une articulation fonctionnelle de la TdE en modules exclusivement dévolus au traitement des états mentaux, soulignant l’existence des liens avec d’autres processus cognitifs comme le langage ou les fonctions exécutives (Apperly et al., 2009) ne la rendant donc pas totalement autonome. Ainsi, depuis l’apparition, dans les années 1990, des premières modélisations cognitives du fonctionnement de la TdE, à l’instar de la modélisation cognitive de la TdE de Baron-Cohen (1995) ou du modèle d’agentivité de Leslie (1987), la TdE n’est plus considérée comme unitaire. Les explorations s’évertuent aujourd’hui à comprendre les liens entre la TdE et les autres fonctions cognitives en proposant de nouvelles modélisations davantage intégratives. Les modèles tels que celui proposé par Dana Samson (2009) et évoqué plus haut, ont notamment permis d’insister sur les liens entre les différents mécanismes spécifiques de la TdE, la capacité

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à se représenter temporairement un état mental en mémoire de travail, les connaissances sémantiques ou encore les aspects exécutifs et attentionnels.

Dans la continuité de ces travaux, les modèles neurocognitifs multidimensionnels ont été proposés et permettent pour exemple de rattacher les sous composantes de la TdE (Abu-Akel & Shamay-Tsoory, 2011) ou de l’empathie (Decety, 2010) avec les substrats cérébraux associés, mais pas seulement. Ce second modèle illustre les interactions entre plusieurs composantes dont la résultante sous-tend le fonctionnement de l’empathie. Les auteurs y décrivent des mécanismes appartenant aux domaines de la cognition sociale et non sociale comprenant le partage affectif (expression et reconnaissance des émotions provoquant une résonance émotionnelle par simulation mentale), la régulation émotionnelle (identification et représentation des états mentaux affectifs d’autrui), la flexibilité mentale (désengagement d’une perspective égocentrée pour adopter le point de vue d’autrui) et la conscience de soi (module l’ensemble de ces processus).

Ce modèle, comme d’autres, reflète le besoin concret de mieux appréhender les liens qui unissent non seulement les processus de la cognition sociale entre eux, mais aussi ceux qui les relient aux aspects cognitifs non sociaux engagés de façon aspécifique. A ce jour, il existe peu de modèles intégratifs répondant à cet objectif. Plus encore, la place et le rôle du contexte ont rarement été explorés, et ce de façon extrapolable aux neurosciences. Ibañez et Manes (2012) considèrent que le contexte est un facteur intrinsèque aux processus de la cognition sociale du fait qu’il impose un ensemble de significations et de normes sociales qui modulent inéluctablement les comportements. La signification d’un stimulus dépend du contexte dans lequel il émerge et dans le cas de situations qui en seraient dépourvues, les stimuli pourraient donc devenir ambigus (par exemple, pour définir si un sourire est sincère ou bien ironique). Ces auteurs évoquent que l’effet du contexte est généralisable à l’ensemble des processus de la cognition sociale, des processus basiques de reconnaissance d’émotions aux processus de plus

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haut niveau de la TdE. Comme cela a pu être montré chez le sujet sain au travers de l’étude contextualisée de la reconnaissance des émotions, le contexte peut avoir un effet facilitateur ou bien délétère sur la performance en fonction qu’il soit congruent ou non avec l’émotion à reconnaître (Noh & Isaacowitz, 2013). Par analogie, Ibañez et Manes (2012) suggèrent qu’un état mental est plus facilement inféré lorsqu’il est intégré à un contexte. Le modèle Social Context Network qu’ils proposent est construit autour du postulat que les indices contextuels

rendent possible l’évocation d’expériences passées qui, de par leur similarité avec les situations nouvelles, peuvent orienter nos prédictions.

Dans une publication récente (Duclos, Desgranges, Eustache, & Laisney, 2018), les auteurs ont proposé, à partir des travaux préexistants, une représentation schématique (Figure 1) des processus impliqués dans la production ou la compréhension des comportements lors d’une situation sociale. Selon cette dernière, la mise en œuvre des processus perceptifs aboutissent à la création d’une représentation temporaire des états mentaux en utilisant les processus de décodage de la TdE et du contexte social dans un espace de travail temporaire. Ces représentations temporaires vont ensuite activer les connaissances sociales relatives à cette situation ainsi que les représentations des expériences passées stockées en mémoire à long terme concernant des situations comparables. De façon concomitante, les représentations seraient confrontées au Self et mises à jour en utilisant les processus de raisonnement. La résonance émotionnelle induite par la situation pourrait en parallèle interagir avec les représentations des états mentaux. Les processus de raisonnement de la TdE conduiraient à la compréhension, la prédiction ou la production d’un comportement. Par ailleurs, les processus perceptifs pourraient activer les capacités cognitives procédurales, résultant en la création automatique d’une représentation temporaire d’un état mental et la production possible d’un comportement.

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Figure 1. Représentation schématique du fonctionnement de la cognition sociale en contexte

selon Duclos et al. (2018).

Ces dernières années, les études menées dans le champ de la cognition sociale se sont multipliées. La dynamique actuelle de ces travaux se traduit notamment par l’émergence de modélisations de plus en plus complexes et intégratives du fonctionnement de la cognition sociale. Elles nous permettent, dans le cadre pathologique, d’associer les atteintes comportementales au dysfonctionnement spécifique des différentes composantes qui la constituent. Par ailleurs, et afin de parfaire nos connaissances sur la façon dont ces dimensions s’articulent dans des situations écologiques, elles nous incitent réciproquement non pas à isoler les aptitudes en vue de leur évaluation mais plutôt à préférer l’utilisation des épreuves neuropsychologiques multi-déterminées et contextualisées.