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8.4 Deuxième étude

8.4.2 Procédure Expérimentale

Nous constituons deux conditions expérimentales correspondant à deux modes d’interaction en manipulant le niveau d’interactivité du dispositif :

1. Un mode interactif, où les visuels répondent aux qualités de mouve-ment du danseur.

2. Un mode aléatoire, où les comportements visuels sont générés de façon aléatoire. Ces comportements ne sont pas liés aux qualités de mouvement des danseurs qui sont identifiés par le système de recon-naissance, mais restent similaires aux qualités définies dans DS/DM. Dans ce mode, les paramètres des visuels et les descripteurs du geste restent cependant actifs. Précisément, dans ce mode, le retour du sys-tème de reconnaissance déterminant la qualité de mouvement exécu-tée est remplacé par un processus aléatoire.

Cette expérience a été conçue en variations intra-participants, ce qui signi-fie que tous les danseurs ont été invités à entrer dans l’espace de l’instal-lation et à expérimenter l’ensemble les conditions expérimentales. L’ordre de passage des conditions est aléatoire. Pendant qu’ils dansaient, les vi-suels interactifs étaient projetés sur l’écran en face d’eux. Ils pouvaient res-ter dans l’espace de l’installation autant de temps qu’ils le désiraient avec la consigne de danser en utilisant les qualités de mouvements de DS/DM. Nous n’avons donné aucune explication sur les visuels avant que les dan-seurs commencent l’expérimentation.

a) Questionnaire

A la suite de l’expérimentation de chaque mode d’interaction (la durée de l’expérimentation était arbitraire), les danseurs devaient répondre au même questionnaire. Ce questionnaire se composait d’une consigne et com-portait des assertions regroupées en thématiques :

1. une thématique de perception des capacités interactives du dispositif (8 assertions) ;

2. une thématique de rétroaction qui examine si le « feedback » contri-bue à valoriser le sentiment de compétence et de réussite du danseur i.e. s’il l’encourage à réaliser des composants de DS/DM intentionnel-lement (12 assertions).

Pour répondre au questionnaire, les danseurs devaient évaluer les asser-tions de 0 à 4, où 4 correspond à « fortement d’accord » et 0 à « fortement en désaccord ». Nous avons obtenu pour l’échelle mesurant les capacités

interactives du dispositif (8 assertions), un coefficient alpha de Cronbach de 0,88. Pour l’échelle mesurant la perception de la rétroaction (12 asser-tions), nous avons obtenu un alpha Cronbach de 0,79. Rappelons que le seuil d’acceptabilité de l’American Psychological Association est de 0,7. En plus du questionnaire, nous avons obtenu des données objectives qui se rapportent au temps passé dans l’installation ainsi qu’aux qualités de mouvement détectées par le système de reconnaissance. Ces dernières sont regroupées en 5 catégories possibles, les 4 premières se réfèrent aux qua-lités de mouvement étudiées, la dernière regroupe tous les éléments que le système n’identifie pas comme se rapportant aux qualités de mouve-ment de DS/DM. Dans le mode aléatoire, comme dans le mode interactif de cette expérimentation, la reconnaissance des qualités de mouvement du sujet est testée, et permet d’estimer une proportion de gestes identifiés par le système comme des qualités de mouvement de DS/DM, dans chaque mode. Cette proportion est calculée suivant le nombre de trames du mou-vement qui sont reconnues dans les 4 catégories de DS/DM, sur le nombre de trames total.

Ces données objectives permettent d’évaluer si le mode interactif contri-bue à valoriser davantage (par rapport au mode aléatoire) la réalisation des composants de DS/DM ainsi que la réussite de cette réalisation.

8.4.3 Analyse des données

Nous avons analysé les données objectives et subjectives avec un test de mesures répétées (ANOVA) sur les scores obtenus pour chaque thématique et ensuite pour chaque assertion du questionnaire. Les résultats donnés dans les tableaux ci-dessous reportent la valeur de t qui représente le test d’adéquation à la loi de Fisher. La valeur de dl est le degré de liberté qui représente la taille de l’échantillon (en général les 10 danseurs qui ont ré-pondu à l’assertion) moins un. Ces deux valeurs servent à calculer la valeur de P , la signification, qui indique s’il y a une différence significative (res-pectivement, tendancielle) entre les groupes comparés deux à deux, suivant si sa valeur est en-dessous de 0.05 (respectivement, 0.1).

8.4.4 Résultats

Nous décrivons dans cette section, nos résultats concernant l’évaluation de la façon dont le système répond aux danseurs d’EG|PC ainsi que leur per-ception du retour visuel et son influence sur leur performance de DS/DM.

Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 9748(3278 ) 6479(5369) 1,45 9 0,18

TABLE8.2 – La moyenne et écart type du nombre de trames de gestes re-connus suivant le mode d’interaction

Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 1316(1673) 872(1257) 0,64 9 0,53

TABLE8.3 – La moyenne et écart type du nombre de trames de gestes non reconnus suivant le mode d’interaction

a) Mesures objectives : les taux de reconnaissance de gestes et la durée de l’interaction

Premièrement, les résultats des tableaux 8.3 et 8.2 montrent que le système de reconnaissance a pu classifier 88% des gestes des danseurs comme un des quatre composants DS/DM, indiquant que les mouvements des dan-seurs étaient clairement identifiables par le système. Un tel taux n’avait pas été observé, dans l’étude précédente, avec les trois danseuses non expertes de DS/DM, alors que les algorithmes d’analyse du geste et de synthèse gra-phique étaient strictement identiques.

Dans l’ensemble, il n’y a pas de différence significative entre le mode aléa-toire et le mode interactif par rapport à cette proportion d’identification du système (ces proportions pour les deux modes étant autour de 88%). Cela peut paraître surprenant, mais cela reflète simplement que dans les deux cas, les mouvements des danseurs n’ont pas varié de manière significative. Dans les deux cas, ils ont essentiellement dansé en se basant sur le vocabu-laire d’EG|PC, qu’ils maitrisent parfaitement.

Cependant, les danseurs ont passé 50% de temps en plus dans le mode interactif que dans le mode aléatoire. Cette donnée objective suggère que l’interaction favorise l’exploration des composants de DS/DM et encourage les danseurs à poursuivre chaque composant plus longtemps.

b) Mesure subjectives : perception des capacités interactives du dispo-sitif

Bien que les danseurs n’aient pas eu d’explications sur le fonctionnement du dispositif, et qu’ils ne s’attendaient probablement pas à des visuels

ré-flexifs, ils ont tout de même eu tendance à percevoir une réponse des vi-suels plus « claire » dans le mode interactif que dans le mode aléatoire. Sur le plan de la perception des capacités interactives du dispositif, nous ob-tenons un (P = 0, 1), ce qui révèle qu’il existe une différence tendancielle favorisant le mode interactif par rapport au mode aléatoire. En particulier, les mouvements des visuels ont tendance à être considérés par les dan-seurs comme une meilleure réponse à leurs qualités de mouvement dans le mode interactif plutôt que dans le mode aléatoire (comme le montrent les résultats (P = 0, 09) reportés dans le tableau 8.4). De plus, les danseurs ont tendance à percevoir des visuels plus vivants dans le mode interactif que dans le mode aléatoire, comme le montrent les résultats (P=0,08) du tableau 8.5. Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 1,9(1,1) 1,0(1,4) 1,86 9 0,09

TABLE8.4 – Les résultats relatifs à l’assertion : « Les mouvements du visuel sont une réponse à la qualité de mes mouvements ».

Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 3.0(0,9) 2,4(1,1) 1,96 9 0,08

TABLE8.5 – Les résultats relatifs à l’assertion : « Les visuels sont vivants ».

c) Mesure subjective : régulation de l’intention et rétroaction Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 1,1(1,2) 2(1,1) -3,35 9 0,008

TABLE8.6 – Les résultats relatifs à l’assertion : « J’avais l’intention d’imiter les qualités de mouvement des visuels ».

Pour l’ensemble de la thématique de régulation de l’intention, nous obte-nons un (P = 0, 1), ce qui révèle qu’il existe une différence tendancielle favorisant le mode aléatoire par rapport au mode interactif. Ceci veut dire que les danseurs ont tendance à davantage danser avec l’intention d’exécu-ter certains gestes dans le mode aléatoire que dans le mode ind’exécu-teractif. Cette différence tendancielle est due aux réponses à l’assertion reportée dans le tableau 8.6. Les résultats montrent que le processus intentionnel opère au niveau de l’imitation des visuels. Effectivement, les danseurs semblaient avoir significativement plus l’intention d’imiter les visuels et leurs quali-tés de mouvement dans le mode aléatoire que dans le mode interactif. Ceci est cohérent avec les résultats obtenus pour l’ensemble de la théma-tique de rétroaction, (P = 0, 06), qui révèlent qu’il existe une différence tendancielle favorisant le mode aléatoire par rapport au mode interactif. En d’autres termes, les danseurs considèrent que le mode aléatoire a ten-dance à exercer davantage d’influence sur leurs mouvements (rétroaction) que le mode interactif. Cette différence est due aux réponses à l’assertion « J’ai été amené à imiter les effets visuels », dont les résultats sont reportés dans le tableau 8.7. Ils montrent que les danseurs ont été significativement plus amenés (en plus d’en avoir eu l’intention) à imiter les visuels dans le mode aléatoire que dans le mode interactif.

Moyenne (écart type) t dl P Mode Interactif Mode Aléatoire 1,1(1,1) 2,1(1,5) -2,44 9 0,036

TABLE8.7 – Les résultats relatifs à l’assertion : « J’ai été amené à imiter les effets visuels ».

8.4.5 Synthèse

Les résultats de cette expérimentation ont permis de montrer que le sys-tème de reconnaissance de qualités de mouvement développé identifie clai-rement les gestes des danseurs, pour peu qu’ils exécutent suffisamment bien les quatre composants DS/DM. De plus, l’expérimentation a démontré que les danseurs de la compagnie EG|PC ont tendance à mieux percevoir la réponse visuelle dans le mode interactif que dans le mode aléatoire et la considèrent même plus vivante. Ce résultat est cohérent avec le temps, bien plus élevé, passé par les danseurs dans le mode d’interaction prenant en compte leurs qualités du mouvement. Cependant les résultats du ques-tionnaire ont révélé seulement des différences tendancielles et non signifi-catives, voir pas de différences du tout pour certaines assertions, entre le

mode interactif et le mode aléatoire. Cela nous a amené à nous interroger sur l’appropriation du système. Souvent 5 ou 10 minutes d’essai ne suf-fisent pas pour que les danseurs distinguent les possibilités qu’offre une telle interaction selon s’ils expérimentent le mode interactif ou aléatoire. Pour cette raison, nous avons décidé d’inscrire l’expérience suivante dans un contexte réel d’apprentissage qui s’étale dans le temps et qui prend en compte les phases d’appropriation de l’outil.

Les résultats concernant la rétroaction montrent que le mode aléatoire a tendance à exercer davantage d’influence sur les mouvements des danseurs que le mode interactif. Ces résultats peuvent paraître surprenants au pre-mier abord mais il est possible de les interpréter en se basant aussi sur l’ob-servation qualitative des comportements des danseurs dans l’installation. Deux tendances se dégagent dans les comportements des danseurs suivant la nature de la réponse visuelle, aléatoire ou interactive. Dans le mode in-teractif, les danseurs comprennent que leurs mouvements ont un effet sur les visuels et n’essaient pas, en général, de les imiter intentionnellement. En revanche, dans le mode aléatoire, étant donné que les visuels ont des comportements non corrélés avec ceux exécutés, et en raison des attentes des danseurs en termes d’interaction, ceux-ci se mettent souvent à suivre physiquement le retour visuel pour créer le lien manquant. En d’autres termes, les danseurs semblent compenser le manque de réponse, dans le mode aléatoire, par l’imitation intentionnelle des comportements des vi-suels générés aléatoirement. Ce phénomène de compensation fait écho à la question récurrente posée par les danseurs après l’expérimentation du mode aléatoire : « qui suit l’autre ? ».

Enfin, nous avons été surpris durant cette expérimentation qu’une des dan-seuses de la compagnie demande, au moment de répondre au question-naire et après dix minutes d’interaction avec les visuels : Est-ce que j’étais supposée regarder l’écran ?Ce problème est inhérent aux interfaces visuelles interactives et est particulièrement présent dans le cas de la danse, activité qui nécessite parfois une forte introspection et une conscience intérieure du corps. Effectivement, plusieurs danseurs contemporains ont tendance à fer-mer les yeux en dansant pour avoir plus de sensations du mouvement. Ce problème attentionnel, déjà soulevé lors de l’expérimentation décrite dans la section 8.3, nous a poussé à définir une « consigne » pour l’expérience suivante. Cette consigne consiste à demander aux participants de regar-der attentivement les visuels en dansant. Ainsi, de même qu’ils doivent regarder leurs mouvements dans un miroir pendant un cours de danse, ils doivent prêter attention aux visuels pendant l’expérimentation.

8.5 Troisième étude : retours d’étudiants en danse sur