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Pendant la période des conflits armés, la population rwandaise a été exposée à de nombreux événements potentiellement traumatiques selon la définition du DSM IV (APA, 1994). Depuis le début des conflits armés au Rwanda, la personne humaine a été secouée en son for intérieur. Les guerres successives, avec le paroxysme de la violence pendant le génocide, ont marqué de façon significative la psychologie sur le plan individuel, familial et interactionnel. Les pertes et les deuils problématiques constituent dans ce contexte, la caractéristique essentielle de cette souffrance qui marque aujourd’hui encore la société rwandaise. Toutes les couches de la population du Rwanda furent affectées, mais jusque-là aucune étude épidémiologique à grande échelle n’a été effectuée à notre connaissance, pour évaluer l’ampleur du traumatisme psychique au sein de la population rwandaise (MINISANTE, 2005).

Notre étude est donc conçue pour explorer le terrain à l’échelle nationale, dans le but de contribuer à la prise en charge des patients non seulement en santé mentale mais aussi en médecine de premier recours. Notre vision est de permettre la mise en place d’un terrain où la médecine somatique et la psychiatrie deviennent complémentaires dans la perspective d’une médecine dite holistique, c'est-à-dire où l’approche devient globale. Cette approche où la personne humaine est considérée dans son entièreté est recommandée par de nombreux auteurs et par l’organisation mondiale de la santé (OMS, 2011).

Conformément à la politique nationale sur la décentralisation des soins de santé mentale au niveau primaire et secondaire (MINISANTE, 2005), nous pouvons affirmer que cette étude va contribuer à l’évaluation indirect des besoins y relatifs.

En documentant la prévalence de l’ESPT dans ses différentes formes ainsi que des autres troubles comorbides, les personnes en charge de la santé publique peuvent prévoir ou quantifier le nombre et le contenu des potentiels bénéficiaires des soins en général et de soins en matière de santé mentale en particuliers. Les cliniciens font état d’une augmentation inquiétante des troubles psychotraumatiques au sein de la population rwandaise. La période de commémoration annuelle du génocide lève le rideau sur le poids de cette problématique dont la société doit absolument s’occuper.

L’équipe de secours de santé mentale ainsi que la Croix Rouge Rwandaise affirment rencontrer dans la plupart des cas des crises traumatiques ainsi que d’autres crises

18 émotionnelles. Les juridictions Gacaca s’accompagnent également d’éclosions de ce genre de crise traumatique et ce contexte met au défi les décideurs politiques et la population dans son ensemble face à l’impératif de la gestion multidimensionnelle de la santé mentale mises à mal par la violence sociétale. Dans l’ensemble, cette prise en charge, dont le rwandais a besoin pour se rebâtir, nécessite une transduction et une intégration dans l’aspect socioculturel du pays. L’ESPT est un problème de santé publique connu mondialement. Actuellement, on le retrouve dans à peu près toutes les régions du monde compte tenu des accidents, conflits armés, actes de terrorisme et catastrophes naturelles qui ne cessent d’augmenter à travers le monde.

Il existe très peu de données sur la santé mentale de la population rwandaise. En 1998, lors d’une enquête, Hagengimana et collaborateurs ont constaté que les signes d’ESPT augmentaient et que personne ne connaissait ni l’étendue ni la gravité des problèmes associés (Lawson et al., 1998). Une étude conduite par Bolton 5 ans après le génocide au sein d’un échantillon de la population rurale au Rwanda montrait une prévalence de dépression de 15.5%. Les symptômes de dépression étaient fortement associés à une baisse du niveau de fonctionnement (Bolton et al., 2002). Une étude portant spécifiquement sur les symptômes d’attaque de panique chez des femmes veuves suite au génocide montrait une prévalence des troubles de panique d’environ 35% dans cette population (Bolton, 2001b). Interrogé à l’aide de méthodes ethnographiques sur les effets des conflits armés, un échantillon de la population rurale du pays décrit des symptômes classiques de dépression et d’ESPT. Ces personnes décrivent également des « catégories diagnostiques locales » non incluses dans les classifications internationales, et correspondantes à des équivalents dépressifs. Ce résultat confirme qu’il est utile d’intégrer les représentations culturelles locales dans les études de prévalence (Bolton, 2001b). Le même auteur a montré que cette approche était possible, puisqu’ils ont trouvé une bonne concordance entre la présence d’un état dépressif (confirmé en utilisant le Depression Hopkins Symptoms Checklist, DHSCL) et un état de deuil décrit localement sous le terme de "agahinda gakabije" (Bolton, 2001a). En examinant la prévalence des problèmes psychiques dans un échantillon de la population rwandaise réfugiée en Tanzanie, on a trouvé une prévalence des troubles mentaux

19 invalidants plus élevée que dans les études citées précédemment, environ 50% (de Jond et al., 2000).

Compte tenu du peu de données empiriques sur la situation rwandaise, il peut être utile de se rapporter aux chiffres publiés pour d’autres populations exposées à des traumatismes comparables. Une étude récente s’intéressant au soldats américains exposés au combat estime une prévalence de 17% et de 18% respectivement selon les instruments utilisés, respectivement DSM IV et DSM 5 (Hoge WC et al., 2014).

Une autre moins récente a été conduite entre 1997 et 1999 dans 4 régions distinctes du globe (Algérie, Ethiopie, Cambodge et Gaza), en utilisant la même méthodologie.

La prévalence d’ESPT était comprise entre 17.8% à Gaza et 37.4% en Algérie (de Jong JT et al., 2001)). Concernant la région des Balkans, qui a été également exposée à une guerre civile à caractère ethnique, nous avons trouvé une prévalence d’ESPT de 23.5% dans la population civile au Kosovo (Eytan et al., 2006). Nous avons également constaté, dans cette région, que les symptômes d’ESPT sont associés à une souffrance, même chez les personnes qui ne remplissent pas tous les critères pour le diagnostic complet. On sait aussi qu’il existe un effet cumulatif des événements traumatiques : plus le nombre d’événements auquel un sujet a été exposé est élevé, plus le risque de développer un ESPT l’est (Mollica, 2001).

Par ailleurs, de nombreuses études insistent sur l’importance des comorbidités, notamment dépressives, dans ce type de populations avec ESPT. Une étude réalisée auprès d’une population au revenu moyen au Sri Lanka note une forte comorbidité avec les troubles psychiatrique à 70% et la dépression vient en premier lieu à 37 %( Dorrington et al., 2014). Une méta-analyse incluant 7'000 réfugiés provenant de pays divers et réinstallés dans des pays occidentaux indique une comorbidité ESPT – dépression comprise entre 44% et 71% (Fazel., 2005).

Nous pouvons donc en déduire, sur la base des événements survenus au Rwanda et des données de la littérature médicale, que :

- Les problèmes de santé mentale représentent une souffrance et un handicap important pour bon nombre de personnes;

- La prévalence de l’ESPT y est élevée;

- Les comorbidités dépressives y sont fréquentes;

20 - Il est important de prendre en compte les représentations locales de la

souffrance psychique.

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