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La problématique posychotraumatique, nous l’avons noté dans la présente étude, constitue un problème de santé publique majeur au Rwanda. Elle est le produit d’un exercice politique pervers, d’une psychologie sociale de la haine et du manque de réponses adéquates politico-socio-économiques vis-à-vis de ce problème de respect sacré des droits humains. Ici donc, la souffrance mentale soulève à la fois des questions médicales et politiques. L’ESPT répond à des critères spécifiques cliniques et requiert une conduite thérapeutique adaptée, mais en même temps, il appelle une action sociale et politique si on veut accéder à des solutions durables. Comme le signale Young cité par Hanna Kienzeler, l’ESPT n’est pas seulement une action médicale psychiatrique, mais elle inclut également une dimension politique et morale.

Cette réalité a émergé, en effet, à l’occasion du débat qui a été soulevé par la survenu du diagnostic du PTSD et les questions y relatif de dédommagement soulevé par les vétérans de la guerre du Vietnam (Kienzeler, 2008).

Au Rwanda, près d’un tiers de la population adulte souffrent de l’ESPT, une bonne partie en souffre parce que les décideurs politiques ont fabriqué la machine à tuer et que la communauté internationale a laissé faire. Quel est donc en termes de dédommagement, ce que le Rwanda et la communauté internationale sont prêts à concéder ? Et quelle est donc la priorité que le Rwanda et cette communauté internationale met sur le dispositif de santé mentale ?

Les voies d’expression de la souffrance traumatique vont dépendre du contexte culturel dans lequel elle intervient. Dans quelle mesure, en termes de critères diagnostiques, le DSM IV donne-t-il la place aux modalités d’expression de la souffrance traumatique dans une culture donnée. Comme dirait White and Marsella en 1992 cité par Patrric J. Bracken dans son « Rethinking the Trauma of War », l’usage du « talk therapy » utilisé surtout dans les pays de l’occident vise les sentiments de l’individu dans son psychisme. Cette pratique tient peu compte de la particularité sociale du contexte. Cette question devrait d’avantage être éclairée dans une étude qualitative spécifique (Bracken & Petty, 1998).

63 Les stratégies de prise en charge des réponses aux défis soulevés par la présente recherche devront tenir compte à la fois du problème de psychotraumatisme mais aussi de divers troubles comorbides qui contribuent à la santé non satisfaisante.

Un certain nombre de recommandations émergent de la présente réflexion. Ces recommandations doivent tenir compte du fait que la problématique, particulièrement psychotraumatique, va au-delà du seul Ministère de la santé. Elle considère d’autres secteurs politico-sociaux de notre société. Ainsi, nous citerons en priorités les recommandations qui suivent :

- Si on fait foi aux résultats qui émanent de cette étude, on est forcé de constater que près d’un tiers de la population souffre de traumatisme psychologique et que ce tableau est alourdi ou compliqué par divers troubles comorbides qui en rajoutent à la souffrance du sujet. Nous recommandons que l’autorité politique considère sans ambigüité le problème de souffrance psychique et en l’occurrence le problème psychotraumatique comme un problème de santé publique majeur, eu égard au nombre de citoyens concernés par ce problème.

- Si le psychotraumatisme est considéré comme un problème de santé publique majeure telle que les résultats de la présente étude et le SF-36 l’indiquent, nous recommandons en conséquence qu’une stratégie spécifique soit élaborée pour lever les défis soulevés. Cette stratégie doit mettre en relief la politique de formation et de renforcement des capacités de ressources humaines nécessaires à cet effet et projeter clairement le déploiement de ces ressources humaines. En même temps, cette stratégie doit naturellement indiquer comment l’allocation de ressources matérielles et financières va se faire en tenant compte, bien entendu, des limites dictées par les moyens du pays.

- Tel que la présente étude le montre, l’ESPT, qui constitue un héritage malheureux laissé par la violence, concerne beaucoup de nos citoyens. Un effort important a été consenti pour la formation du personnel infirmier en psychiatrie. En saluant les débuts du département de psychiatrie et de psychothérapie à l’université du Rwanda, nous recommandons que les structures de référence actuelles trouvent un statut clair au sein des

64 institutions universitaires et que l’investissement en moyens et en ressources humaines soient consenti afin d’augmenter les chances de lever les défis posés par la santé mentale au Rwanda.

- Les autorités de santé initient régulièrement un certain nombre d’action destinées à relever la qualité de soins du citoyen. Le domaine d’évaluation et de monitoring n’est pas encore assez convainquant. Nous recommandons que le ministère de la santé devienne membre d’IQOLA, International Quality of Life Assessment project. De cette façon, il pourrait, en utilisant l’outil SF-36, évaluer l’efficacité de ses projets au fil du temps afin de maintenir le programme tel qu’il est, l’améliorer ou y renoncer. Il s’agira ainsi d’une évaluation de la perception de la qualité avant le début du programme X puis à un stade intermédiaire et vers la fin du programme afin de se faire une idée sur son apport à l’amélioration de la qualité de vie. De même, il pourrait avoir accès aux informations issues d’autres pays à travers le monde. Il faut souligner ici que plus de 40 pays sont membres de l’IQOLA et la Tanzanie (pays limitrophe du Rwanda) fait partie de ces pays.

- La présente étude soulève diverses questions de recherche dont il faut encourager la mise en œuvre. Il s’agit à titre indicatif, d’une recherche spécifique concernant l’abus et la dépendance aux substances psychoactives dans notre pays. Il s’agit aussi d’une recherche qualitative sur la spécificité de la clinique psychotraumatique et les diverses approches thérapeutiques en étudiant particulièrement leur efficacité et leur pertinence. Une étude épidémiologique couplée d’une étude qualitative de la dépression en étudiant particulièrement ses voies d’expression et les déterminants sociologiques d’un tel trouble assez peu connu et pourtant combien endémique au sein de notre société est donc recommandée.

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