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Les principaux résultats.

Il a été signalé, dans le chapitre en rapport avec les caractéristiques démographiques, que l’étude s’est étendue sur tout le territoire du pays. Un certain nombre de réalités cliniques frappe le lecteur telles que présentées dans le chapitre dédié aux résultats.

Au total, 28.5 % de notre échantillon présente les critères de l’ESPT tels que préconisés par le DSM IV (APA, 1994). Ce taux est important et soulève des questions en rapport avec la gestion de la santé de la population, mais aussi en rapport avec l’expectative que l’on peut avoir vers l’horizon de la reconstruction économique et sociale d’une société sous le poids d’une telle souffrance traumatique. Il faut noter que ces résultats se rapprochent de ceux trouvés dans des sociétés qui ont subi des violences extrêmes. En effet, Ariel Eytan et collaborateurs en utilisant les mêmes instruments montrent que 23,5 % de la population souffrent d’’ESPT (Eytan et al., 2004). Une étude publiée en 2009 par Jeffrey Sonis et coll.

met en évidence un taux de 11,2 % au sein de la population cambodgienne (Jeffrey et al, 2009). D’autres études conduites à une plus petite échelle par Phuong (2004) mais aussi Lawson (1998) montrent respectivement des taux de prévalences de 24.8

% et de 20 % dans la population adulte. Une méta analyse incluant 2537 articles publié entre 1998 et 2010 a montré des prévalences moyennes plus élevés, 37.1%

des populations confronté au trauma intentionnel, ce qui pourrait correspondre au contexte post-génocidaire du Rwanda (Santiago et al., 2013).

De la même manière qu’on le retrouve dans la littérature mondiale, les femmes payent le plus grand prix aux méfaits du traumatisme psychique. En effet, au sein de la population manifestant l’état de stress posttraumatique, les proportions des femmes est de loin supérieure (66.1 %), à celle des hommes (33.9 %). Dans ce contexte du Rwanda, on sait que plus de femmes que d’hommes ont survécu au génocide et à la guerre, elles ont donc assisté avec impuissance à la violence de l’homme. De même, bon nombre de femmes ayant survécu au génocide ont été victimes de viol, utilisé massivement comme arme de guerre. Des chiffres avoisinant ces valeurs ont été trouvés dans d’autres pays (27.3 vs 19% au Kosovo) (Eytan et al, 2004). Une large analyse incluant 18 études avec au total 5220 participants a mis en

57 évidence également les différences liées au genre en termes de prévalences de l’ESPT avec 25.6% chez des femmes et un taux de 13.2% des hommes (Ditlevsen et al., 2012).

Les résultats de la présente étude nous montrent, à la différence d’autres groupes de notre échantillon, une différence significative de prévalence de l’ESPT, 40 %, chez les veuves. Alors que chez les célibataires, cette prévalence s’élève à 22 %. Les veuves constituent incontestablement un groupe vulnérable et des actions spécifiques doivent être entreprises. Une étude conduite au Sud du pays au près des veuves et des orphelins âgés de 18 et plus ans a montré une différence de prévalence respectivement de 40.7% versus 28.6%(Schaal et al., 2011)

Au sein de notre échantillon, les résultats relatifs à la prévalence de l’ESPT chez les orphelins ont attiré notre attention. En effet, 38.1 % des orphelins de père et de mère souffrent d’ESPT tandis que les personnes disposant de deux parents en souffrent à concurrence de 17.8 %. Cette différence de prévalence est retrouvé par cette même réalisé au sud du pays en raison de 32,2% chez des orphelins de deux parents versus 18.8% des orphelins ayant perdu un seul parent (schaal et al., 2011).

Nous avons noté, dans la présente étude, une différence significative dans la distribution du trouble au niveau géographique à travers les différentes provinces.

Une différence assez frappante à certains égards. On note que le Sud se trouve en tête de liste avec un taux de 40.2 % alors qu’au niveau de la province du Nord on signale 18.5 % donc moins de la moitié. Nous savons que l’éclosion traumatique est liée au niveau de violence dans une société donnée. On peut tirer un parallélisme, qui n’est pas tout à fait un fruit du hasard, entre le nombre d’assassinat post-génocide à travers différentes provinces et le nombre de patients souffrant d’ESPT chez les survivants du génocide ou les témoins. IBUKA(2004) a publié, dans son dernier rapport, l’état de la situation d’assassinat de 1995 à 2008. Il apparaît que la province du Sud se trouve en tête de liste avec une proportion de 56 %, alors que le nord se trouve au bas de liste avec une proportion de 10 %.

Bolton(2002) a étudié la problématique de la dépression et a mis en évidence un taux de prévalence de 15,5 %. Le taux de prévalence revient dans la population, dans le cadre de la présente étude, à 20.5 %. Cette prévalence comme celle de

58 l’ESPT est tout de même inquiétante du point de vue de la santé publique. Ces chiffres correspondent, cependant, à ceux trouvés dans d’autres contextes avec un taux de 17.1% (Kessler et al., 1995). D’autres études maximalistes citées par JP Ollier évoquent un taux de prévalence de maladie dépressive de l’ordre de 25 % chez les femmes, deux fois plus concernées que les hommes (Olié, 1996). La présente étude a mis en évidence un taux de prévalence de la dépression comme trouble comorbide à des taux très élevés de 53.9 %. Cette importance de prévalence de la dépression au sein de la population souffrant de traumatisme psychique soulève une question importante à savoir : la figure dépressive ne ferait- elle pas partie d’une entité nosologique à part entière car nous nous situons dans un contexte où le sujet a dû être confronté à la menace de mort, de perte brutale d’objet et le défi d’être confronté à se situer dans un monde de solitude, de construction de lien problématique ? Ce contexte de violence, de la perte et de deuil problématique est associé à la fois aux symptômes posttraumatiques et à la clinique dépressive dans une dynamique de relation intriquée. Dès lors, nous nous trouvons, comme l’a soulevé Shakeh (2004) face à un syndrome posttraumatique affectif comme entité clinique à part entière.

L’ESPT induit un stress et une angoisse hors du commun en raison de symptômes intrusifs, des événements traumatisants vécus et du besoin important d’élaborer des stratégies d’évitement de l’événement vécu. Le recours aux substances psychoactives devient une solution, certes pathologique, pour certains si le contexte social le permet. Dans la présente étude, 10% des personnes souffrant de l’ESPT présentent un syndrome de dépendance à l’alcool alors que 7.9 % souffrent de dépendance aux autres substances psychoaffective dont le chanvre.

Dans le registre de la comorbidité sont apparus d’autres troubles qui sont venus accompagner l’ESPT : des troubles à allure à la fois somatique et conversive. En ce qui concerne les troubles comorbides renvoyant à la douleur du corps, les céphalées apparaissent comme des troubles fréquents et induisant un important handicap chez les personnes qui en souffrent. Parmi la population souffrant d’ESPT, les céphalées représentent un taux extrêmement important de l’ordre de 70.7 %. Cette réalité rencontre celle à laquelle nous sommes confrontés en clinique journalière. Une étude faite en Amérique dans le Michigan au sein d’un groupe spécifique de personnes

59 travaillant dans la maintenance sanitaire par Andreski (1998) fait état d’un syndrome douloureux à un taux de l’ordre de 17% chez les hommes et 24% chez les femmes (46). Les troubles comorbides qu’on pourrait étiqueter de troubles conversifs, à savoir les pertes de connaissance médicalement inexpliquée, les hoquets intempestifs et les problèmes d’aphonie ont été signalés dans notre étude à un taux respectivement de 9.64%, 45% et 13.21%. Il faut dire ici qu’il y a peut-être eu une surestimation dans la conduite de l’enquête, sur des hoquets qui surviennent fréquemment dans les conditions normales et dont la survenue intempestive et de façon critique témoigne d’une souffrance traumatique. Dans l’étude citée ci-haut, les troubles conversifs sont signalés à un taux très élevé de 48 % pour les hommes et 81 % pour les femmes (Andreski et al., 1998).

L’état de stress post-traumatique, en raison de critères exigés, comporte une faiblesse en termes de liberté diagnostique dans la mesure où selon le DSM IV (APA, 1994) ou la CIM 10 (OMS, 2002), on est devant le phénomène du tout ou rien.

Cette réalité émerge de la présente étude tel que ceci figure dans la présentation des résultats. Un certain nombre de personnes au sein de notre échantillon souffrant cliniquement d’une problématique traumatique et que nous prenons en charge comme telle dans notre pratique clinique n’ont pas été retenues comme ayant le diagnostic d’ESPT. Les illustrations ont été claires dans le chapitre ad hoc. Faut – il en faire état dans la classification des syndromes posttraumatiques incomplets comme des entités à part entière ?

Nous nous sommes intéressés dans la présente étude à l’évaluation de la perception subjective de la qualité de vie en utilisant un instrument spécifique ad hoc SF- 36, Short Form Health Survey (Ware et al., 1994). De façon globale, les personnes souffrant de l’ESPT ont montré du score plus bas que le reste de la population étudié. En effet, les mêmes observations ont été notées lors d’une étude auprès d’une population norvégienne confrontée aux crises psychosociales nécessitant des soins en urgences. Il s’est avéré que les participants avec un niveau élevé de l’ESPT ont montré des scores plus bas en termes de perception de la qualité de vie (Senneseth et al., 2012).

60 Les contraintes et les limites.

La présente étude, dont le but est d’explorer la problématique de l’ESPT au sein de la population rwandaise et les troubles comorbides qui lui sont associés, s’est confrontée à un certain nombre de limites et contraintes. Des stratégies spécifiques à chaque contrainte ont dû être élaborées pour nous rapprocher le plus possible de résultats fiables.

Cette étude épidémiologique sur la prévalence de l’ESPT et les principaux troubles comorbides est une première à cette échelle. Elle n’a donc pas pu opérer une comparaison par rapport à des résultats antérieurs. Des études ont été conduites au sein des groupes spécifiques ou à une échelle géographiquement limitée. Cité par Munyandamutsa(2001), l’UNICEF a exploré la problématique du traumatisme en 1995 parmi les enfants de certaines écoles et ceci a donné une impressionnante image de l’exposition des enfants au facteur traumatogène. D’autres auteurs comme Bolton (2001), Lawson (1998) et Phuong (2004) ont conduit des études dans ce domaine à une échelle limitée et sans inclure la problématique de la comorbidité.

Au regard de l’hypothèse de recherche, le lecteur pourrait s’entendre à une population cible plus large capable mais ceci n’est pas le cas. L’âge minimal de 16 ans que nous nous sommes limités constitue une limitation à la représentativité de notre échantillon. En définitive, notre étude s’intéresse à une partie de la population correspondant à 56.3% de la population générale lors de l’enquête. Le reste correspondant, de façon spécifique pour le Rwanda, à une population qui consulte en pédiatrie mérite une considération particulière. Le processus d’échantillonnage est bien décrit jusqu’à déterminer le nombre de ménage par secteur. Par manque de données précises, la méthode bouteille nous a permis de cibler les ménages tout en nous exposant potentiellement au biais de sélection. En dehors de cette faiblesse, le calcul de taille de l’échantillon et la répartition proportionnelle de ce dernier selon la taille des secteurs nous a permis de couvrir tout le territoire rwandais. Les différents districts et secteurs ont été ciblés en considérant le caractère urbain/rural tel que planifiés selon une logique raisonné et tirage au sort. Cette différence n’a pas été considérée lors de nos analyses. En effet, mis à part le district de la ville de Kigali, les districts dits urbains ne le sont en réalité que de nom car si on regarde la population de nos enquêtés dans ces districts, elle ne présente pas de

61 caractéristiques fondamentalement différentes selon qu’elle est issue d’un district urbain ou rural. Lors du recueil des données et de leur traitement, seuls les questionnaires complètement remplis ont été inclus. Nous n’avons pas par contre clarifié s’il s’agissait des enquêtés qui se sont retirés en cessant de répondre ou d’une erreur de l’enquêteur.

Une autre contrainte à laquelle nous avons été confrontés est en rapport avec la situation politico-sociale de notre société qui est caractérisée profondément par la méfiance, sans doute consécutive à l’histoire conflictuelle et de violence. En effet, parfois, avant de répondre à cet étranger qu’est l’enquêteur, la personne devait s’assurer sur ce que l’autorité voudrait qu’elle réponde ou sur ce que l’interlocuteur voudrait bien entendre. Ou alors dans d’autres contrées, les gens était réticents à répondre en se disant : que va-t-il faire de mon information ?

Une autre contrainte, non moins importante, est en rapport avec la conception sociale de la réalité du traumatisme, qui va au-delà de la seule dimension clinique et qui est donc teintée de dimensions politique et conflictuelle : « le traumatisme est l’affaire des rescapés du génocide et quiconque ne faisant pas partie de cette catégorie et qui présenterait la clinique traumatique soulèverait bien des questions ».

En effet, parfois, l’enquêté hésitait à répondre en se disant : « ce dont je souffre est quelque chose qui n’a rien avoir avec le traumatisme, car je ne suis pas rescapé ». Il va donc exprimer son trouble par d’autres voies métaphoriques et surtout par la voie du corps. Malgré le travail de formation de nos enquêteurs, il arrivait que l’enquêteur éprouve un doute sur l’avis de son interlocuteur pour qui les réponses à certains items correspondaient bel et bien aux symptômes de l’ESPT.

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