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Après une période de conflits armés avec le paroxysme de la violence marqué par le génocide en 1994, le Rwanda, par ses pertes humaines et matérielles, a été confronté à un besoin évident de prise en charge en Santé Mentale. Le système de soins était à reconstruire et des soins de santé mentale devaient être mis en place dans cette période d’urgence post génocidaire.

C’est ainsi que les pourparlers entre le ministère de la santé du Rwanda avec l’organisation mondiale de la santé(OMS) d’une part et la coopération suisse d’autre part ont été amorcés en 1995. L’OMS a contribué à la réhabilitation de l’Hôpital Psychiatrique de Ndera et a également soutenu le ministère de la santé du Rwanda à se doter d’une politique nationale en matière de santé mentale en 1995. La coopération suisse en partenariat avec les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) à travers le département de psychiatrie a remis en route le dispositif de santé mentale au Rwanda. C’est avec l’appui de la Suisse qu’un service de consultation ambulatoire de référence a été mis en place pendant la durée du projet ainsi que le début du dispositif de décentralisation au niveau des hôpitaux de district. Le projet s’est déroulé de 1996 à 1999. Il s’agissait d’un vaste projet qui a pu remettre sur pied l’unique hôpital psychiatrique du pays (HNP) en insistant sur le recrutement, la motivation et le soutien du personnel appelé à être pionnier d’une pratique réfléchie en soins psychiques. Les HUG ont mandaté un médecin d’origine rwandaise avec un cadre infirmier pour piloter ce projet sous la supervision d’équipe de cadres au sein des HUG pendant toute la durée du projet (Ferrero et al., 2006).

Le Département de psychiatrie des HUG, depuis, n’a pas cessé d’apporter des appuis ponctuels de formation et de conception de différents programmes adaptés pour le Rwanda. Au cours de ces formations, plusieurs thèmes sont abordés dont la question de l’état de stress posttraumatique qui signait un lien avec les conséquences du génocide et qui est le centre d’intérêt de cette thèse.

Avec l’objectif de répondre au cursus reconnu en psychiatrie, 4 médecins rwandais, dont l’auteur de cette thèse, ont commencé à se former en Suisse.

En se basant sur les éléments de la clinique quotidienne qui prouve l’augmentation de manifestations de stress post-traumatique au Rwanda, un groupe de recherche

12 rwando-suisse s’est constitué sous l’incitation du professeur Naasson Munyandamutsa. Les travaux de ce groupe ont commencé par des réflexions autour de la problématique de santé mentale qui ne disposait pas de données élucidant son importance. Dr Ariel Eytan, le directeur de cette thèse, était le premier à se joindre à cette équipe afin d’apporter soutien par son expertise dans la recherche et la psychiatrie transculturelle. Mme Gex-Fabry a directement accepté d’apporter son appui pour la lecture biométrique et l’interprétation des données. C’est dans ce contexte que l’auteur de cette thèse, membre du groupe de recherche, motivé pour mesurer l’étendue des psychotraumatismes au Rwanda post génocide, rencontre son superviseur et débute une chaine d’échanges d’idées et de réflexions entre Kigali et Genève. Les 4 membres de ce groupe parvinrent à se rendre compte que la compréhension du stress posttraumatique avec ses différentes comorbidités dans un contexte socioculturel et spécifique au Rwanda constitue la meilleure stratégie pour mettre en lumière de façon quantifiée l’étendue évidente du problème.

Le Ministère de la Santé du Rwanda(MINISANTE) a directement appuyé l’intérêt de notre équipe qui répondait parfaitement à sa demande lancée quelques années auparavant et à laquelle personne n’avait pu apporter de réponses à échelle nationale. L’OMS s’est saisi de cette recommandation du Ministère de la Santé du Rwanda et a financé l’ensemble de cette étude.

Par les lignes qui suivent, il importe de donner une description du Rwanda ainsi que le champ de notre étude. Le Rwanda, par son relief de montagnes verdoyantes, est surnommé pays des « Milles collines » et dispose vers le Nord d’une chaine de volcans allant de 2000 à 4500 m d’altitude, abritant la dernière espèce de gorilles de montagnes. C’est un pays enclavé au sein de l’Afrique de l’Est qui ne touche ni mer ni océan. Il est entouré au Nord par l’Ouganda et au Sud par le Burundi. La

République Démocratique du Congo (RDC) reste son voisin à l’Ouest tandis que la Tanzanie se trouve à l’Est. C’est grâce à la Tanzanie que les réseaux routiers de transport international sur l’Océan indien parviennent au Rwanda en passant soit par le port de Dar-es-Salam (Tanzanie), soit par le port de Mombasa (Kenya).

Le Rwanda est un pays qui compte actuellement plus de 11 millions d’habitants sur une superficie de 26.338 km2 (Minisante, 2009).

13 Depuis 2006, le pays est divisé en 5 parties administratives appelées actuellement provinces qui comprennent celles du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest et la Ville de Kigali. L’ensemble de ces 5 provinces est divisé en 30 districts administratifs et chaque district est subdivisé en secteurs. Le Rwanda compte environ 416 secteurs.

De par son histoire, le Rwanda a toujours été un pays monothéiste. Le peuple croyait depuis le début en un seul Dieu, concepteur du monde et de tout ce qui vit. Sa

demeure était au Ciel, mais il pouvait avoir des relations d’amour avec le peuple rwandais. Certaines croyances stipulaient que Dieu passait la journée ailleurs et venait passer la nuit au Rwanda: « Imana yirirwa ahandi igataha i Rwanda ». Cette appartenance à Dieu donnait l’unité et la force au peuple rwandais qui concrètement était lié par la langue et la culture. Le peuple était constitué par plusieurs clans

(ubwoko) dans le Rwanda précolonial (Ntampaka & Rigaux, 2001). Les membres d’un même clan se réclamaient provenir d’un même ancêtre. Ce n’est que vers les années 1930 que l’administration coloniale belge a institué les cartes d’identité, distinguant les rwandais en 3 ethnies : Hutu, Tutsi et Twa. Cette classification a eu comme conséquence la rigidification d’appartenance, jadis mobile. Trente ans plus tard, l’administration monarchique céda la place à la démocratie et le Rwanda devint une république indépendante. Ce fut le début des conflits ethniques qui atteindront, environ 30 ans après, leur paroxysme avec le génocide perpétré contre les Tutsi (Maquet, 1959).

En 100 jours, à peu près un million de civils furent tués, c’est-à-dire un septième de la population rwandaise à ce moment-là. Les tueries étaient perpétrées au moyen de différentes sortes de tortures et humiliations et les massacres se faisaient majoritairement à la machette. A peu près un million d’habitants fût décimé, deux millions de personnes affluèrent vers les pays voisins, notamment le Congo Kinshasa. Tout le pays fut secoué de son for intérieur tant sur le plan individuel, groupal et interrelationnel.

Les différentes structures sanitaires étaient détruites tant en termes de ressources humaines que matérielles. Malgré les efforts du gouvernement rwandais pour promouvoir la réconciliation et s’occuper du traumatisme psychique consécutif à la violence, les différents rapports et témoignages ne cessent de montrer que l’ampleur du problème est encore élevée, une dizaine d’années après le génocide (Moore, 2009).

14 L’état de stress posttraumatique est un trouble mental qui est connu essentiellement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il a surtout été décrit par les psychiatres de guerre. Cependant, il était connu sous plusieurs noms, il y a à peu près 100 ans. Au cours de la première guerre mondiale, il était appelé par les anglo-saxons « Shell shock » (choc des tranchées) et durant la deuxième guerre mondiale

« combat fatigue » (extrême fatigue due au combat). Après la guerre du Vietnam, il était pris faussement comme un Syndrome post vietnamien (OMS, 2002 ; Crocq, 1999)et d’autres appellations ont été utilisés par divers auteurs.

L’état de stress posttraumatique est, par définition, un syndrome d’ordre psychiatrique constitué par des réponses différées ou prolongées à une situation ou à un événement stressant (de courte ou de longue durée) exceptionnellement menaçant ou catastrophique et qui provoquerait de la détresse chez quiconque (APA, 1994).

Le Rwanda a été touché, en 1994, par un génocide de grande ampleur. On peut estimer qu’un bon nombre de la population a été exposé à des événements potentiellement traumatiques tels que définis dans le DSM-IV (APA, 1994). Voici les différents critères de diagnostic selon DSM IV :

A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

- Etre témoin ou être confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très grièvement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.

- Développer une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.

B. L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

1- Souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions.

2- Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse.

15 3- Impression ou agissements soudains «comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations, et des épisodes dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication.

4- Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause.

5- Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou

externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause.

C. Evitement persistant des stimuli associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations suivantes :

1- Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme.

2- Efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent les souvenirs du traumatisme.

3- Incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme.

4- Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités.

5- Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.

6- Restriction des affects (ex : incapacité à éprouver des sentiments tendres).

7- Sentiment d’avenir «bouché » (par ex. pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie).

D. Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des manifestations suivantes :

1- Difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu 2- Irritabilité ou accès de colère

3- Difficulté de concentration 4- Hyper vigilance

5- Réaction de sursaut exagérée

16 E. La perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus d’un mois.

F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

L’avènement du DSM 5 classe l’ESPT, qui était selon DSM IV ou CIM-10(5) dans le chapitre des troubles anxieux, dans un autre chapitre des troubles dus au trauma et le stress ou troubles liés. Ce nouveau manuel de diagnostic maintient l’exposition à l’évènement traumatique mais exclut le sentiment ou l’émotion que cet évènement peut provoquer chez l’individu : peur intense, sentiment d’impuissance, horreur. Il va détailler ce que peut être un évènement traumatique en incluant spécifiquement le viol et préciser les divers scénarios de l’évènement. A la différence de DSM IV et CIM-10, le DSM 5 porte beaucoup d’attention aux troubles comportementaux associées au PTSD en définissant 4 types de signes au lieu de trois, dont les reviviscences, l’évitement, les troubles cognitifs et/ou émotionnel et l’hyperactivité neurovégétative (Grohol, 2013).

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