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Dans la partie précédente, nous avons réuni des données issues de travaux et de théories concernant la manière dont les orthophonistes peuvent intervenir auprès de patients atteints de MAD.

Bien que nous ayons pu mettre en évidence la place et l’importance que revêt l’orthophonie dans ces pathologies, nous ne pouvons que constater, au vue des données de l’Assurance Maladie, que dans les faits, cette prise en charge reste peu fréquente en Lorraine compte tenu du nombre de patients diagnostiqués.

A partir de ce constat de départ, nous nous proposons, dans cette seconde partie, de poser notre problématique et nos hypothèses de travail qui nous serviront de fil conducteur tout au long de ce mémoire.

1. Problématique

Pour tout acte orthophonique, aussi légitime puisse-t-il être, les orthophonistes sont tributaires d’une prescription médicale. Or, avant même de songer à orienter son patient vers un orthophoniste, le médecin doit avoir connaissance des différents domaines d’exercice de ce dernier. Toute l’importance d’une représentation éclairée des pratiques orthophoniques par les médecins prend ici sens. L’intervention orthophonique en gériatrie étant récente (depuis 2002), la question de savoir si les médecins en ont connaissance se pose d’autant plus.

Le décret de compétences des actes en orthophonie octroie aux orthophonistes une spécificité particulière quant à la prise en charge des PAD. Un savoir spécifique, que les autres professionnels de santé non pas, doit leur être reconnu. Comment les orthophonistes s’y prennent-ils pour y parvenir ? Quel travail mettent-ils en œuvres pour faire reconnaître leurs compétences spécifiques et justifier leurs interventions face aux autres professionnels et notamment face à leurs prescripteurs ? La question même de savoir si les orthophonistes essaient de revendiquer leurs compétences peut être soulevée. Les orthophonistes, qui semblent trop souvent perçus comme modestes aux yeux des autres professionnels de santé, souffriraient-ils d’un manque de confiance en eux ? Comment peut-on espérer que les compétences d’un praticien qui se sous-estime soient reconnues par la communauté médicale et paramédicale ?

Le médecin, à l’origine de la prescription, doit être persuadé de l’utilité d’une prise en charge orthophonique. Il doit estimé que l’orthophonie est, sinon la seule, l’une des prises en charge essentielles à apporter au patient. Comment les médecins se représentent–ils l’accompagnement orthophonique d’un patient souffrant de démence ? Qu’en attendent-ils ?

Les médecins généralistes sont les premiers prescripteurs de séances orthophoniques, selon les chiffres de la sécurité sociale. Le parcours diagnostique des PAD implique obligatoirement l’intervention d’un médecin spécialisé (gériatre ou neurologue) qui peut lui aussi être à l’origine d’une prescription orthophonique. Dans quelles mesures ces médecins, formés dans les pathologies démentielles, orientent-ils vers une prise en charge orthophonique ? Leur maîtrise de la pathologie implique-t-elle une connaissance plus fine des soins orthophoniques proposés à ces patients ?

Une relation d’échange est nécessaire entre prescripteur et praticien afin d’encadrer au mieux le patient et sa famille et de répondre à leurs besoins ; mais qu’en est-il dans les faits ? Des liens se sont-ils formés entre médecins et orthophonistes libéraux ? Une absence de lien ne risque-t-elle pas de conduire à négliger l’offre de soins orthophoniques à la faveur d’autres pratiques plus répandues ? Un paradoxe se pose alors ; comment peut-on prétendre justifier du bien fondé d’une prise en charge, et par là même la promouvoir, si peu d’opportunités de s’intégrer à l’équipe interdisciplinaire qui gravite autour du patient dément s’offrent aux orthophonistes ?

En tant que maladies chroniques, les MAD enjoignent les soignants à viser une réhabilitation en vue d’améliorer la qualité de vie. Viser la réhabilitation en apportant une approche globale, personnalisée et écologique, amène les orthophonistes à construire sans cesse leurs représentations du soin, représentations induites par leur formation initiale. La sensibilisation aux soins palliatifs semble ne représenter, pour l’instant, qu’une infime part des programmes universitaires orthophoniques. Aussi un approfondissement personnel est nécessaire à tout orthophoniste, ou orthophoniste en devenir, afin de mieux appréhender ce domaine si particulier, et néanmoins si important, que représente l’accompagnement en fin de vie. Tous les orthophonistes sont-ils prêts à admettre que l’expansion de leurs rôles les conduit tantôt à rééduquer et tantôt à maintenir les capacités du patient aussi longtemps que faire se peut ? La notion de soins palliatifs est-elle de nos jours réellement entrée dans la pratique orthophonique ou ne s’y est-elle inscrite que par les décrets ?

L’éventualité d’une prise en charge orthophonique en gériatrie repose sur une relation quadrangulaire complexe qui met en jeu orthophoniste et patient bien sûr mais aussi médecin prescripteur et famille. Si l’un de ces piliers est instable c’est la structure entière qui en souffre. Aussi, une harmonisation est nécessaire entre ces différents acteurs, mais en est-il toujours ainsi ? La demande de soins émane-t-elle du médecin, du patient, de la famille ou naît-elle d’un consensus ? Un suivi orthophonique est-il toujours proposé par les médecins selon les préconisations officielles de la HAS ? Suffisamment d’orthophonistes formés se sentent-ils prêts à assumer cette prise en charge qui fait figure d’exception dans leur pratique ? La famille est-elle capable d’accepter une énième prise en charge de son proche ?

Ces différentes interrogations constituent autant d’entrées qui nous permettent de faire émerger la question suivante :

Comment peut-on expliquer l’écart, mis en évidence part les données de l’Assurance Maladie, entre le nombre de malades atteints d’une MAD et le nombre de patients pris en charge en orthophonie dans la région Lorraine ?

2. Hypothèses

Médecins, comme grand public, accordent aujourd’hui aux orthophonistes des compétences dans la prise en charge des troubles langagiers et communicationnels. D’autres domaines de leur expertise, et de ce fait les manières de les aborder, demeurent toutefois moins connus : ce qui est le cas des maladies neuro-dégénératives. Ce phénomène prend son origine dès la formation initiale des médecins qui ne se voient pas, ou très peu, présenter la place de l’orthophonie en gériatrie.

1ère hypothèse : Les informations dont disposent les médecins en matière de démences

et d’orthophonie sont souvent incomplètes ce qui induit une connaissance tronquée, voire faussée.

Il n’existe que peu de communication entre les professionnels médicaux, gériatres et neurologues, et les orthophonistes libéraux. Des échanges entre médecins et orthophonistes libéraux exerçant dans une même zone géographique sont difficiles à établir, ce au détriment d’un meilleur suivi des patients.

2ème hypothèse : Les médecins prescripteurs dirigeraient plus facilement les PAD s’ils

connaissaient des orthophonistes libéraux vers qui les orienter spécifiquement.

Certaines pathologies (articulation/parole/langage, dyslexie/dysorthographie/dysgraphie et bégaiement) constituent depuis toujours « le socle de la pratique professionnelle de la très

grande majorité de l’exercice libéral » (SANCHEZ, 2007). A celles-ci, s’ajoutent des champs

nouveaux d’intervention récemment apparus dans le décret de compétence de l’orthophonie (troubles vélo-tubo-tympaniques, dysphasie) dont font partie les troubles liés au vieillissement.

3ème hypothèse : Certaines pathologies « socles » demeurent encore privilégiées par de

nombreux orthophonistes au détriment des champs nouveaux d’intervention parmi lesquels comptent les maladies neuro-dégénératives.

Si, comme l’exprime Muriel SANCHEZ (2007) « le métier d’orthophoniste ne

reconnaît pas de « spécialisation » professionnelle, dans les faits un certain nombre de praticiens orientent leurs pratiques dans un domaine ou un autre selon les formations reçues ou leur centre d’intérêt ». Cette spécialisation qui demeure officieuse dans les discours des

orthophonistes s’avère courante dans les pratiques de nombreux professionnels.

4ème hypothèse : Une part encore importante des orthophonistes ne se sent pas

Chapitre III