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La problématique des transferts, contre-transferts et maillages culturels dans l’établissement du corpus l’établissement du corpus

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 155-174)

COMPOSITEURS DE CULTURES JUIVES ASHKENAZES

1. La problématique des transferts, contre-transferts et maillages culturels dans l’établissement du corpus l’établissement du corpus

1. La problématique des transferts, contre-transferts et maillages culturels dans l’établissement du corpus

La réflexion sur les aspects dynamiques des échanges culturels entre Juifs et non Juifs, tout particulièrement liés aux phénomènes migratoires, nřest pas neuve. Elle ne sřinscrit pas, de plus, dans un simple rapport bilatéral impliquant les migrants juifs et leurs hôtes goyim : ainsi, les travaux anciens, menés à lřYIVO sur lřimpact du Yiddish sur lřanglais pratiqué à New York, constitue un premier exemple de transferts et contre-transferts, qui sřapparente même déjà à ce qui a été défini comme du « maillage culturel » lors du colloque international de Montréal/Chicoutimi. Les productions du Yiddish Theater, quřil sřagisse des pièces dřAvrom Goldfadn créées en Roumanie ou de créations spécifiquement new-yorkaises de troupes pourtant formées en Europe centrale et orientale, jouent un rôle déterminant Ŕ avec la presse Ŕ dans cette mutation linguistique. Plus encore, les chansons des Broder Zinger, reprises au Yiddish Theater ou reprenant eux-mêmes les airs des pièces de Goldfaden, ont constitué un substrat réinvesti par les éditeurs Juifs ou non-Juifs du Tin Pan Alley. Les thématiques des chansons, les personnages Ŕ eux-mêmes pour partie empruntés à la Commedia dell‘arte ou à la tragédie shakespearienne Ŕ et enfin les mélodies, sont constamment pris dans un fleuve aux courants multiples et dans lequel les questions légales de copyrights ou de droits dřauteurs ne tiennent quřune place marginale, dans les premières années en tout cas. Ainsi, le seul phénomène de lřadaptation des chansons du Yiddish Theater européen pose à lui seul la nécessité du dépassement de la notion de transfert, notamment définie par Michel Espagne et Michael Werner, et même de celle de contre-transferts : le paysage quřils dessinent, bidimensionnel, ne correspond pas à une réalité en trois ou quatre dimensions. En effet, au mouvement Europe/Etats-Unis de chansons apportées par les vagues de migrants des années 1880 aux années 1920, correspond déjà un mouvement contraire où des formes musicales américaines sont appropriées par les musiciens juifs européens : le cabaret juif berlinois se nourrit au moins autant de jazz que des niggûnim hassidiques. Plus encore Ŕ et cřest là la troisième dimension Ŕ les musiciens juifs installés aux Etats-Unis ne cherchent pas à reproduire le répertoire interprété par les kapelyen klezmer ou les badkhonim lors des mariages. Très rapidement, on observe des formes hybrides et donc nouvelles et spécifiques dřensembles et de formes musicales qui cherchent à conserver un souvenir du

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passé européen tout en lřadaptant aux exigences du public américain. On peut par exemple penser à lřorchestre du violoncelliste, compositeur et chef dřorchestre Joseph Cherniawsky (1894-1959)262, le « Hassidishe263 American Jazz Band » (1922) devenu le « Yiddish American Jazz Band », à leurs représentations « en costumes caucasiens » et à lřun de leur enregistrement pour la maison Victor : la Yiddisher March, en 1925. Doit-on considérer quřil sřagit là dřune « folklorisation » du répertoire des kapelyen à lřusage des Américain Ŕ Juifs ou non Juifs Ŕ ou au contraire dřune évolution, par le jazz, dřun répertoire-souche ? Le parcours de Cherniawsky en dit beaucoup sur la part tout à la fois de subjectivité et de contingence historique, matérielle, économique et politique dans la construction dřune œuvre et dans sa médiatisation. Né à Lubny, dans le district de Poltava en Ukraine actuelle, Cherniawsky reçoit la formation des klezmorim (notamment avec son oncle, le violoniste Alexander Fiedelman) avant de prendre une certaine distance avec ce répertoire pour se former auprès de Glazounov et Rimski-Korsakov au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, puis auprès de Julius Klengel à Leipzig. Emigré aux Etats-Unis, il travaille avec Maurice Schwartz au Yiddish Art Theater de New-York, pour lequel il crée notamment la musique de lřadaptation du Dybbuk dřAn-Ski (septembre 1921) puis avec Boris Thomashefsky au Broadway Theater. Ainsi, Cherniawsky, comme leader du jazz band et comme compositeur, sřest illustré aux Etats-Unis dans des genres très différents : lřusage quřil fait du klezmer, appris dès lřenfance, relève à la fois de lřopportunité commerciale (les succès au disque, chez Victor) et de lřattachement sentimental à un répertoire que le conservatoire, Broadway et Hollywood ne sont pas parvenus à lui faire oublier.

Que faire, enfin, dřune quatrième dimension que serait la mémoire générationnelle Ŕ avec les déformations que cela implique Ŕ de ces répertoires ? Les films de Yale Strom, musicien klezmer américain, documentariste et musicologue, montrent bien ces expériences de réappropriation mémorielle par des témoins directs qui retrouvent les traces de leur passé en Ruthénie subcarpathique264 ou en Pologne265 et par de jeunes musiciens de la troisième génération dřimmigrés juifs dřEurope orientale aux Etats-Unis qui redécouvrent le klezmer et entendent en retrouver les traces prétendument historiques266. Ils disent également la difficulté lorsque des individus, se revendiquant dřun même patrimoine, de mêmes références

262 Joseph Cherniavsky sřest également illustré dans la musique de film pour Hollywood, tels que The Last Warning, Snow Boat, Give and Take et His Lucky Day datés de 1929.

263 Cet attachement au répertoire hassidique se retrouve par exemple dans la « Chasene Nigunim » (mélodie de la jeune fille) composée et enregistrée par le Yiddish American Jazz Band, en 1925. Victor - 78423-A.

264 Carpati : 50 miles, 50 years, 1996.

265 The Last Klezmer. Leopold Kozlowski : His Life and Music, 1994.

266 Klezmer on Fish Street, 2003.

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culturelles, mais dont les parcours ne se sont pas effectués dans les contextes, se retrouvent et parfois ne se comprennent pas : les uns ne rencontrant pas ceux quřils espéraient, les autres voyant arriver des étrangers persuadés de leurs ressembler.

1.1. Le phénomène de transferts, contre-transferts et maillages culturels appliqué aux productions musicales de compositeurs juifs de la fin du XIXe et du XXe siècles.

Selon Michael Werner, « née pendant les années 1980 au sein d'un groupe de chercheurs français, la notion de «transfert culturel» renvoie à la fois à un champ de recherche empirique alors en voie de constitution et à une orientation méthodologique touchant, à des degrés variés, l'ensemble des sciences humaines et sociales. Les études de transfert visent à étudier les interactions entre cultures et sociétés - ou fractions et groupes à l'intérieur d'une société - dans leur dynamique historique, à rendre compte des conditions qui ont marqué leur déclenchement et leur déroulement, à analyser les phénomènes d'émission, de diffusion, de réception et de réinterprétation qui les constituent, enfin à décortiquer les mécanismes symboliques à travers lesquels se recomposent les groupes sociaux et les structures qui les sous-tendent. Elles s'inscrivent dans le renouveau de l'histoire culturelle observée, à l'étranger et en France, dans les deux dernières décennies du XXe siècle267. » Michel Espagne, pour qui

« lřethnocentrisme historiographique qui guette lřhistoire culturelle en Europe268 », menait déjà en 1994, dans un article pionnier, une critique du comparatisme, notamment du fait dřune insuffisante prise en compte de la chronologie face à ce quřil appelle les « constellations diachroniques269 ». Selon lui, encore, « les comparaisons donnent un résultat anhistorique, alors que les points de contact entre les cultures sont impliqués dans un processus permanent270. » Cřest précisément cette notion Ŕ ou devrait-on dire ce constat - dřun processus interculturel permanent qui fonde la notion de maillages, sur laquelle repose cette étude. Le choix dřune microanalyse des thématiques de la mort, du deuil et de la mémoire dans les répertoires de compositeurs juifs en Europe centrale et orientale et aux Etats-Unis permet dřobserver les phénomènes dřacculturation, dřadaptation, dřassimilation ou au contraire de résistance autour des passages de frontières. Néanmoins, il est apparu, conformément à la

267 WERNER, Michael, « Transferts culturels », in Dictionnaire des Sciences Humaines, PUF.

268 ESPAGNE, Michel, « Sur les limites du comparatisme en histoire culturelle », in Genèses, 17, 1994. Les objets et les choses, p. 112.

269 Ibid., p. 113.

270 Ibid., p.114.

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mise en garde de Michel Espagne, quřune approche comparative qui nřaurait été que diachronique, nřaurait pas permis dřappréhender un phénomène complexe, renvoyant certes aux productions culturelles et aux contextes permettant leur médiatisation, mais également à une réalité humaine plus impondérable, dont le traitement statistique des sources permet au mieux dřen saisir le substrat : le deuil, ou Ŕ pour paraphraser Roland Barthes, simplement « le chagrin ».

1.1.1. « L‘identité » juive : concept utilisable pour l‘histoire culturelle ?

La bibliographie consacrée aux individus et aux groupes socioculturels juifs, en particulier les publications les plus récentes271, utilisent abondamment la notion dřidentité juive (au singulier) dans leurs titres ou dans leur problématisation générale. Plus quřune concession à lřair du temps, cela renvoie en profondeur à un schéma de pensée sur laquelle il sřagit de réfléchir librement.

En effet, la notion dřidentité applicable à un groupe socioculturel donné, implique de savoir quels critères fondent ce groupe272. Cela ne revêt bien évidemment pas les mêmes implications que de considérer le « peuple juif », comme par exemple Simon Epstein, ou Ŕ par exemple - « les Juifs à lřépoque moderne » chez Victor Karady. Comme on a déjà eu lřoccasion de le rappeler, lřhistoire des Juifs aux XIXe et XXe siècles est particulièrement complexe, pour plusieurs raisons dřordres très différents : une mobilité spatiale différentielle, la différence de statuts au sein dřEtats et dřEtats-nations dont les conjonctures sont très variables, des implications politiques et culturelles évolutives, notamment par le passage de structures traditionnelles aux cadres de la modernité occidentale. En dřautre termes, doit-on pour pouvoir utiliser la notion dřidentité juive au singulier restreindre le champ dřanalyse à un niveau microhistorique, à lřéchelle dřune ville, par exemple ? Encore faudrait-il que sa

271 On peut ainsi citer, entre autres ouvrages qui par ailleurs ont été dřune grande utilité pour la réflexion et lřaboutissement de cette thèse, lřouvrage de Klára Móricz, déjà cité, Jewish Identities. Nationalism, Racism and Utopianism in Twentieth-Century Music, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 2008, 436 p., la sociologue Clara Lévy, L‘écriture et l‘identité. Les écrivains juifs après la Shoah, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, 304 p. Lřhistorien Israélien Shlomo Sand, dans son récent ouvrage Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2008, 446 p., même sřil déconstruit les mécanismes discursifs identitaires, reprend pour lui cette notion. Enfin (et cette liste est très loin dřêtre exhaustive), lřouvrage collectif sous la direction de BECHTEL, Delphine, PATLAJEAN, Evelyne, SZUREK, Jean-François, ZAWADSKY, Paul, Ecriture de l‘histoire et identité juive : l‘Europe ashkénaze XIXème XXème siècle, Paris, éditions des Belles Lettres, 2001, 310 p.

272 La récente thèse de Clara Royer fournit un éclairage tout à fait stimulant sur cette question. Pour son compte-rendu : ROYER, Clara, « Quêtes d'identité et assimilation d'une génération d'écrivains juifs hongrois, 1920-1941

», Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin 1/2009 (N° 29), p. 141-149.

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population juive reste sédentaire. On le constate, les identités sont elles-mêmes stressées par les mouvements migratoires, par les conjonctures socioculturelles et politiques des zones de départ et dřinstallation et par des mutations internes au groupe Ŕ voire même à lřesprit dřun individu. En revient-on pour autant au constat dřune historiographie en « crise », au champ social dřinvestigation émietté ?

De plus, il est nécessaire de conserver à lřesprit que la notion dřidentité culturelle a elle-même une histoire, que Gérard Noiriel a largement contribué, en France, à mettre en perspective, y compris dans ses utilisations idéologiques273. Originellement, le terme même est un produit conceptuel de la psychologie sociale américaine, des années 1950, appliqué aux recherches sur les comportements des immigrants et envisagé, en tant que partie de

« lřidentité sociale », comme lřarticulation du psychologique et du social chez lřindividu.

Lřidentité culturelle de lřindividu, puis celle du groupe, sřinscrit donc dans une double logique de reconnaissance : les membres dřun même groupe se reconnaissent une identité (le fait dřêtre, par certains aspects identiques) et ce groupe se distingue lui-même du reste du corps social. Ainsi, le système dřinterrelations entre un groupe et la société est envisagé dans un rapport de différenciation. Plus encore, sřen tenir à cette notion dřidentité culturelle serait sřaccommoder dřune fixité que lřexpérience du réel fait sans cesse mentir : ce système dřauto-reconnaissance et de différenciation du groupe, ou de lřindividu au sein du groupe, est amené à évoluer en cela quřil est soumis à lřévolution de sa propre conjoncture et aux conjonctures propres aux ensembles avec lesquels il est en relation. En dřautres termes, il semble bien que la notion dřidentité soit soluble dans lřexpérience concrète des transferts, des contre-transferts et des maillages culturels.

Appliqué à lřhistoire des communautés juives, on voit bien comment « lřidentité culturelle », définition permanente de ce qui fonde un groupe, peut renvoyer à lřimage projetée du groupe originel : lřIsraël biblique, les Juifs oubliés du Shtetl dřIsaac Leib Peretz ? Les ouvrages musicologiques consacrés à la musique juive Ŕ dans une acception globale, reposant sur une chronologie plurimillénaire Ŕ en rappellent tous les racines bibliques, sans toutefois prendre les précautions dřAmnon Shiloah274 quant au caractère plus quřhypothétique des données rapportées. Ainsi, faire de Jubal lřancêtre des musiciens ou associer à David lřutilisation de la harpe constitue de fait une figure de style poétique : si le recours contemporain à ces références doit être étudié comme un fait culturel, peut-être est-il utile de

273 NOIRIEL, Gérard, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXème-XXème siècle). Discours publics, humiliations privées, Paris, Librairie Arthèmes Fayard, 2007, 717 p.

274 SHILOAH, Amnon, Les Traditions musicales juives, éditions Maisonneuve et Larose, 1996, pp. 37-49, op.

cit.

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rappeler que lřhistoire et lřarchéologie nřont que de minces possibilités dřattester quoi que ce soit de réellement factuel dans ce qui tient davantage du récit mythique que du récit historique. Aussi, envisager pour le XXe siècle un groupe socioculturel à lřaulne de ce qui se jouait dans lřAncien Temple ou même à la synagogue, après la destruction du Temple par les armées de Titus, relèverait dřune projection intellectuelle au moins discutable. Comme on lřa déjà écrit, il est dangereux dřenvisager un objet Ŕ en lřoccurrence la « musique juive » - par le biais de critères dřauthenticité, à laquelle des « racines » communes conduiraient par des chemins plus ou moins rectilignes. La notion dřidentité comporte le risque de verser dans une conception généalogique Ŕ à défaut de verser tout-à-fait dans lřécueil génétique, dont on lřa vu, certains ont pourtant recours275. Cette conception essentialiste de lřidentité culturelle conduit en outre à définir le rapport dřappartenance au groupe dřune manière définitive et binaire où lřindividu nřa pas dřalternative : il est un enraciné ou un étranger. Plus encore, lřessence culturelle étant inscrite dans le passé lointain et mythique, lřidentité du groupe ne connaît pas dřévolution possible : la nature de cette pensée conduit à envisager un temps figé, comme un fil rouge suivant les contingences du temps historique. Nřy a-t-il pas quelque chose de métaphysique dans cette conception du groupe socioculturel ?

Des enjeux fondamentaux découlent donc de cette prise de distance dřavec la notion figée dřidentité culturelle. Il sřagit bien de ne pas rejeter par dogmatisme toute forme dřidentification pour ne sřintéresser quřaux représentations des individus (ce qui conduit en dernier ressort à envisager le groupe comme une communauté purement imaginée). Plus encore, il faut veiller à ne pas noyer la pluralité et les nuances des processus identificatoires dans une appréhension complètement émiettée de la réalité sociale. En dřautres termes, le pluriel nřest pas suffisant : il convient dřenvisager les stratégies, conscientes ou moins conscientes, dřidentification des compositeurs au judaïsme culturel en acceptant une importante variété de nuances. La typologie qui en découle doit certes se fonder sur des critères dřappartenance clairs, mais ne pas contraindre le réel par une grille dřanalyse préalable, réductrice et déformante.

275 On peut ainsi sřaffranchir sans difficulté de lřhypothèse, avancée par Jehoash Hirshberg, dřun « genetic-psychological model » dont il a déjà été question en introduction. Ce type de pensée, selon laquelle la musique juive exprimerait l'essence de l'expérience d'un groupe ou d'une nation, semble à lřauteur de ces lignes verser au mieux dans la plus complète conjecture idéologique et constitue donc un parfait contre-modèle théorique.

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1.1.2. Penser les rapports à l‘identité en termes de relations

On doit à lřanthropologue norvégien Frederik Barth276 une approche du fait identitaire par les relations entre les individus au sein des groupes sociaux. Ces individus sont délivrés par Barth de toute forme de détermination « ethnoculturelle » ou plus exactement construisent leur identité par les échanges et les relations sociales. Il ne sřagit plus, alors, de chercher des critères objectifs dřappartenance (langue, religion, coutumes, attachement territorial, pratiques musicales pour ce qui nous concerne) par lesquels le groupe existerait et au sein duquel lřindividu recevrait son identité, mais de privilégier une conception à la fois dynamique et relative du processus dřidentification dans un rapport permanent dřallers-retours vers lřautre ou vers lřétranger. Michel Espagne, dans une lecture critique de la démarche comparatiste appliquée aux nations françaises et allemandes, rappelait que « les comparaisons sřopèrent toujours dřun point de vue national. La multiplication des comparaisons ne peut que conforter le concept de nation. La tâche de lřhistorien devrait plutôt consister à analyser les moments étrangers dans le processus de constitution des différents concepts de la nation277 ».

Selon le modèle proposé par Pierre Bourdieu278 ces relations sont marquées par les rapports de force et la capacité du pouvoir légitime à imposer ses propres catégories. Dans un article issu dřun entretien sur lřidentité juive279, entre Pierre Bourdieu, Jean Bollak et Gershon Scholem, on peut lire que « lřidentité juive est un enjeu de luttes, dřabord entre juifs et non-juifs, et ensuite entre non-juifs, les débats internes (autour du Sionisme, autour du choix entre Israël et la diaspora, autour de la possibilité dřun Judaïsme athée, etc.) étant inévitablement affectés par le fait quřils se déroulent toujours en présence des non-juifs, cřest-à-dire en face de la possibilité (ou de la probabilité) du racisme. En sorte quřon est bien obligé de se demander si le discours scientifique peut faire autre chose que de constituer comme tel le champ des luttes à propos de lřidentité juive280 ». Il est en effet tout à fait fondamental de se dégager de tout rapport de force vis-à-vis de la relation entre lřhistorien et ses sujets, qui

276 AYMES, Marc, PEQUIGNOT, Stéphane, « Questions dřidentité : lřapport de Fredrik Barth », Labyrinthe, 7, 2000, [En ligne], mis en ligne le 05 avril 2005. http://labyrinthe.revues.org/index503.html. Consulté le 23 mars 2010.

277ESPAGNE, Michel, « Sur les limites du comparatisme en histoire culturelle », op. cit. p. 120.

278 BOURDIEU, Pierre, « Lřidentité et la représentation », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°35, novembre 1980, pp.63-72.

279 BOLLAK, Jean, BOURDIEU, Pierre, SHOLEM, Gershon, « Lřidentité juive », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°35, novembre 1980, pp. 3-19.

280 BOLLAK, Jean, BOURDIEU, Pierre, SHOLEM, Gershon, « Lřidentité juive », Ibid., p.5.

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consisterait à tordre les trajectoires individuelles, à les simplifier ou à les contraindre afin quřelles rentrent dans un cadre prédéfini. Cřest un écueil quřil ne faut pas négliger et qui doit même présider à la définition des critères de la typologie des acteurs que cette étude retient.

De surcroît, envisager les processus identificatoires dans un rapport dynamique à lřaltérité et au contexte, nécessite de prendre en considération les groupes de référence par rapport auxquels les sujets se positionnent. Ainsi, Pour reprendre le cas du violoncelliste Joseph Cherniawsky, son processus identificatoire complexe sřeffectue à la fois en référence à des espaces culturels inscrits dans le temps historique (ses lieux de formation klezmer ou classique, le Yiddish Theater new-yorkais avec Schwartz et Thomashefsky, Hollywood), sans toutefois que ces « temps » ne se succèdent et se remplacent. En dřautres termes, Leipzig nřannule pas Saint-Pétersbourg qui nřannule pas Lubny. Ces expériences formatives fondent

De surcroît, envisager les processus identificatoires dans un rapport dynamique à lřaltérité et au contexte, nécessite de prendre en considération les groupes de référence par rapport auxquels les sujets se positionnent. Ainsi, Pour reprendre le cas du violoncelliste Joseph Cherniawsky, son processus identificatoire complexe sřeffectue à la fois en référence à des espaces culturels inscrits dans le temps historique (ses lieux de formation klezmer ou classique, le Yiddish Theater new-yorkais avec Schwartz et Thomashefsky, Hollywood), sans toutefois que ces « temps » ne se succèdent et se remplacent. En dřautres termes, Leipzig nřannule pas Saint-Pétersbourg qui nřannule pas Lubny. Ces expériences formatives fondent

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