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Définitions des critères de fondation du corpus

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 174-178)

COMPOSITEURS DE CULTURES JUIVES ASHKENAZES

2. Définitions des critères de fondation du corpus

La critique dřun écueil substantialiste ou essentialiste dans la conception de la culture conduit donc à rejeter lřidée dřune réalité « super-organique » du culturel, en partie autonome de lřaction des individus. Si lřon suit, en revanche, lřanthropologue américaine Margaret

303 Rhone Wolfstahl (1853-1924), compositeur de Tarnopol en Galicie.

304 Arnold Perlmutter (1859-1953) et Herman Wohl (1877-1936) forment un duo dès 1903 et jusque dans les années 1920, à lřorigine de succès sur la Seconde Avenue. Arnold Perlmutter a été lřorchestrateur dřAbraham Goldfaden.

305 LANDIS, Joseph C., ed., Memoirs of the Yiddish Stage, Queens College Press, 1984.

306 On peut par exemple penser à « Khosn kale mazl Tov » de Sigmund Mogulesko, tirée de son opérette de 1894 Blihmele di perl fun Varsha oder graf un Jude (petite fleur, la perle de Varsovie ou le Comte et le Juif, d'après un livre de Joseph Lateiner). La mélodie de cette marche nuptiale devient une signature musicale utilisée à de nombreuses reprises : avec un rythme de tango, par Victor Young, pour le film Folies Bergères en 1933, adaptation pour Decca en 1948 par Al Jolson et Bernie Russell dans un disque célébrant la naissance d'Israël.

Selon Jack Gottlieb, cette mélodie pourrait même être apparentée à un matériau folklorique serbe et au thème principal de la Marche Slave de Tchaïkovski, par l'utilisation du mode dorien ukrainien. Là encore, la prudence du mode conditionnel montre la fragilité de ce type dřhypothèse.

307 « Palesteena », musique de J. Russell Robinson sur des paroles de Con Conrad, Victor, 78t, [18717], 1920.

http://victor.library.ucsb.edu/index.php/object/detail/13647/Victor_18717

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Mead308, pour qui les processus de transmission entre individus font la culture, on prend peut-être le risque de ne percevoir quřune réalité pointilliste. Mais peut-on seulement procéder autrement ? Mead insiste, de plus, sur la nature évolutive du rapport dřun individu à la culture transmise, étant entendu quřil nřen reçoit quřune partie et quřil continue à acquérir sa culture tout au long de sa vie. Appliquée aux compositeurs juifs dřEurope centrale, orientale et des Etats-Unis des années 1880 aux années 1980, on comprend bien à la fois lřenjeu de prendre en compte les transmissions culturelles, comme élément structurant de la reconnaissance dřune culture commune. Les mouvements migratoires ajoutés aux violences faites aux populations juives européennes ont néanmoins fortement déstabilisé, voire détruit, les institutions éducatives religieuses et musicales. Dans quelles mesures ces transmissions culturelles restent-elles opérationnelles pour délimiter une culture à laquelle se référer ? Il est alors tout à fait clair que les processus identificatoires à la judéité ne procèdent pas seulement de la culture transmise, à lřenfance ou à lřâge adulte, par les structures traditionnelles : shul, yeshiva, fréquentation de la synagogue, de son chœur, fréquentation du théâtre yiddish, etc.

Au regard de la multiplicité des parcours et des contextes sociopolitiques, le singulier appliqué à toute « histoire du peuple juif » interroge. Les individus dont on étudie le rapport à la mort et leur manière de lřexprimer ont donc reçu la transmission de la culture partagée de plusieurs sources, pas toutes « essentiellement » juives : lřensemble reste-t-il seulement cohérent ? Existe-t-il ? Le partagé lřemporte-t-il toujours sur ce qui crée la différence ?

Le choix dřune chronologie plus restreinte pourrait faire croire à ces phénomènes de désolidarisation. Lřéchelle du siècle permet, en revanche, de laisser du temps aux effets générationnels de cette transmission. A lřéchelle de la vie dřun individu, le sentiment dřappartenance culturelle nřest pas constant : il fluctue entre volonté de sřintégrer du migrant et rejet possible de la communauté dřaccueil (selon le modèle de Robert E. Park309), éloignement et recouvrement, oubli et (ré)apprentissage. Parfois, lřéchelle de la vie nřest pas suffisante pour comprendre ces respirations du phénomène de reconnaissance culturelle. Les pratiques de musiques liées aux cultures juives sont à ce titre tout-à-fait révélatrices : on pense bien entendu au phénomène revivaliste du klezmer à partir des Etats-Unis et de lřArgentine dans les années 1970, puis en Europe centrale dans les décennies suivantes. On pense également au cas de ces compositeurs de deuxième génération qui, comme Leonard Bernstein, prennent à nouveau conscience du choc de la Shoah à la suite du procès Eichmann, à Steve Reich qui, dans les années 1970, a éprouvé le besoin dřapprendre lřhébreu, la

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cantillation auprès de maîtres en Israël. Ces respirations, donc, demandent à ce que lřon envisage de manière véritablement complexe et différentielle (à la fois dans le temps et dans lřespace) les processus dřidentification à la judéité ou au judaïsme Ŕ lřun nřexcluant pas lřautre mais lřun et lřautre nřallant pas nécessairement de paire. Ce faisant, le concept de maillages culturels peut permettre dřaborder de manière nouvelle, en tous les cas plus fine et plus souple, les processus de socialisation, en mettant en perspective lřanalyse durkheimienne dřune transmission par lřéducation de lřensemble des normes socioculturelles qui fonde la solidarité du groupe social.

Aussi, les cinq catégories de critères retenus ne doivent pas aboutir à une typologie rigide et par le fait trompeuse. Ils constituent plutôt des éléments de référence systématiquement retrouvés dans lřélaboration de la prosopographie et touchent aux champs culturel, social et politique. Leurs croisements permettent de parvenir à mettre en place un gradient de reconnaissance, prenant en considération les notions de maillages culturels et de processus identificatoires.

2.1. Les critères culturels

La notion de culture repose ici sur des données factuelles et concrètes. Ainsi, parmi les éléments de prosopographie, on sřattachera à connaître le parcours éducatif, religieux ou non, et à le rattacher à la spécificité des contextes chronologiques, sociologiques et spatiaux (shul dřEurope orientale, Yeshiva, écoles publiques dřEurope centrale, universités). Il sřagit également de mesurer la part de lřinfluence de la formation savante et académique non-juive reçue par les compositeurs dans les conservatoires, en prenant en considération la personnalité des maîtres (ainsi lřinfluence de Nicolaï Rimski-Korsakov sur lřécole de Saint-Pétersbourg).

2.2. Les critères professionnels

Il sřagit de comprendre les sujets dans leurs milieux professionnels, tout en pensant ces milieux comme fonctionnant en réseau. Ainsi, cela permet de cartographier les aires investies par les cantors itinérants dřEurope orientale, de reconstituer le parcours des tournées des cantors de « lřâge dřor ». Les commandes passées aux compositeurs dřœuvres liturgiques ou paraliturgiques par les institutions juives ou le travail opéré pour le Théâtre ou le cabaret yiddish, lřembauche dans les congrégations ou par les associations au titre de chef de chœur

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ou dřéducateur permettent de mesurer la variété des formes dřimplication professionnelle de ces musiciens.

2.3. Les critères spatiaux

A la prise en compte des géographies propres à chaque sujet, il sřavère nécessaire de confronter les phénomènes de mobilités, ponctuelles ou migratoires. Ainsi, lřintérêt porté aux espaces vécus prend en compte les expériences de migrations et les étapes symboliques (Ellis Island), tout autant que la fréquentation de lieux référentiels fonctionnant comme des marqueurs identitaires (shtetl, quartiers yiddishonophes, synagogue, proximité des théâtres yiddish)

2.4. Les assignations externes et le poids de lřhistoire

Préférée à la notion vague (ou apologétique, pour reprendre lřexpression de Lucy Dawidowicz) de « destin » juif, le concept dřassignation externe permet de prendre en compte tout ce qui ne ressort pas des choix individuels librement consentis. Il est bien évidemment difficile de mesurer la part du libre arbitre dans les décisions dřun individu, mais certains faits ne sont objectivement pas de leur ressort et leur impose des changements fondamentaux.

Parmi ces assignations externes, les violences antisémites (discours, discrimination, pogroms, législation antijuive et mise en œuvre du génocide) figurent au premier plan. Il peut également sřagir de conjonctures socioéconomiques, favorisant par exemple lřémigration.

2.5. Les critères de rétrospection

Ce type de critère prend en compte les phénomènes de retour à la langue alors que la génération précédente nřen avait plus la pratique, les démarches personnelles dřapprentissage dřéléments culturels marquants (comme la cantillation hébraïque, la hazzanût, le klezmer) ainsi que les voyages initiatiques (en Israël, en Pologne et vers dřautres espaces référentiels).

Par rétrospection, on caractérise la démarche mémorielle visant à comprendre les pratiques culturelles des générations précédentes par des sujets qui sřen ressentent dépositaires. La

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place du travail de deuil et/ou du travail de mémoire, personnel et/ou collectif consécutif à la Shoah joue ici un rôle déterminant.

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