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Être un compositeur de musique liturgique : entre pragmatisme et foi

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 197-200)

La figure du hazzan, à la fois officiant, compositeur, improvisateur ou adaptateur de mélodies afin de leur conférer un caractère sacré, est à distinguer de celle du compositeur de musique sacrée. Lřune et lřautre fonction sont certes parfois occupées par la même personne, mais souvent le compositeur occupe une place et une fonction autonomes. Il existe, de surcroît, plusieurs types de compositeurs œuvrant pour la liturgie. Rapportée à notre gradient de reconnaissance, cette distinction concerne les degrés 1 et 2, à savoir, dřune part, les compositeurs qui consacrent lřessentiel de leur production et de leur activité professionnelle à la synagogue et à la communauté et, dřautre part, les compositeurs dont la musique liturgique nřoccupe quřune partie du temps ou de lřœuvre. Dřun point de vue matériel, cette distinction est fondamentale : elle est liée, de manière évidente à la notoriété du compositeur et aux opportunités de varier sa production tout en rencontrant lřapprobation du public. Elle implique, également, que certains compositeurs, dont la notoriété sřinscrit dans un cercle restreint, parfois circonscrit à un réseau de communautés religieuses, nřont dřautre choix que dřécrire de la musique fonctionnelle, soit-elle religieuse, pour vivre. Cette position nřest pas sans susciter des frustrations que certains expriment. Dřun autre point de vue, le compositeur Ŕ dřune manière encore différente du hazzan Ŕ est celui par qui les innovations peuvent passer de manière plus ou moins radicale. De ce point de vue, il peut entrer en conflit avec le rabbin et/ou avec la communauté, notamment sur la place laissée aux fidèles dans lřinterprétation des mélodies avec le chœur ou lřorgue. Ce caractère participatif revêt là encore des implications dans la technicité de musique même : elle nécessite de penser à sa « chantabilité » pour des non-professionnels. La fonction du compositeur de musique sacrée doit ainsi répondre à de nombreuses contraintes et éventuellement accepter une série de limitations Ŕ dřordre liturgique ou technique - à sa propre créativité.

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1.1. Entre Ouest et Est : les évolutions du répertoire synagogal européen et du statut du compositeur au tournant du siècle

Tout comme le reste des répertoires de musique liturgique juive ashkénaze, les mises en musique des textes sacrés relatifs à la mort et au deuil ont été soumis aux évolutions de style et aux enjeux à la fois esthétiques, institutionnels et religieux que cela a impliqué. Plus encore que pour le reste de la liturgie peut-être, les musiques funèbres mettent en exergue la position complexe de la musique Ŕ envisagée dans son caractère dynamique et évolutif - au sein de la synagogue. Son absence de fixité, les influences constantes quřelle subit des mondes non-juifs environnant, de la sphère profane voire divertissement, pose Ŕ comme pour la hazzanût Ŕ le problème dans des termes de stricte observance des règles. Lřévolution du répertoire synagogal dans son ensemble a bien été étudiée par les auteurs « classiques », dřAbraham Zvi Idelsohn317 à Eric Werner318, à la suite des grands travaux de collecte dont lřun des plus importants reste celui de Gershon Ephros319.

1.2. Figures américaines du compositeur liturgique

La musique liturgique juive américaine, a largement héritée des réformes du XIXe siècle. Toutefois, dans les années de lřaprès Seconde Guerre Mondiale, ce répertoire commence à être critiqué, aux Etats-Unis, comme une « pseudo-tradition », dont la validité historique et esthétique est mise en question à lřaulne de matériaux musicaux considérés, quant à eux, comme authentiquement juifs : les modes des prières et la cantillation. Une série dřarticles cherchent ainsi à définir « la vraie nature de la musique juive320 », parmi lesquels ceux du compositeur Herman Berlinski (1910-2001). Selon lui, « Synagogue music is ideational music. Its criteria, therefore, are historical tradition, authenticity, artistic quality and workmanship. None of these elements may be missing ».

Néanmoins, ces chercheurs dřauthenticité doivent faire face à des réalités institutionnelles et pragmatiques. Ainsi, ils doivent compter avec le positionnement des autorités du courant réformé et avec celles du courant conservateur, dont les conceptions sur la place de la

317 IDELSOHN, Abraham Z., Jewish Music in its Historical Development, [1929], Wesport, Greenwood Press, 1981.

318 WERNER, Eric, A Voice Still Heard : The Sacred Songs of the Ashkenazic Jews, University Park, Pennslyvania State University, 1976.

319 EPHROS, Gershon, The Cantorial Anthology : Traditional and Modern Synagogue Music, 6 volumes, New York, Bloch Publishing, 1929-1975.

320 BERLINSKI, Herman, « Music in synagogue today », The american organist, janvier 1959, pp.11-15

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musique au sein de la liturgie divergent, tout en nřétant pas chacune hermétiquement close.

En effet, traditionnellement, les conservateurs cherchent à mettre lřaccent sur la tradition au détriment dřautres influences musicales, réfrénant la créativité musicale et lřinnovation. Cette règle, toutefois, nřest pas généralement applicable : la synagogue de Park Avenue, avec David Putterman, a été lřun des grands centres de création musicale liturgique au XXe siècle. Par principe, le courant réformé encourage, quant à lui, une nouvelle approche créative, allant jusquřà éliminer la cantillation biblique dans la synagogue réformée. Les travaux de musicologues et praticiens de la musique liturgique, tels que Solomon Rosowski (1957, Cantillation of the Bible) dřobédience conservatrice, ont cherché à restaurer une pratique de la cantillation sur des bases rigoureuses. Des voix sřélèvent donc pour restaurer dans la synagogue réformée cette nouvelle pratique de la cantillation, débarrassée de ses erreurs cumulées.

De fait, le compositeur liturgique (cřest-à-dire, dans notre gradient de reconnaissance, le compositeur de premier degré) revêt donc un statut très particulier : comme lřindique Herman Berlinski, « il ne doit pas se préoccuper uniquement de musique, mais doit coller aux attentes religieuses de sa congrégation321 ». Plus encore, il sřagit pour lui de trouver du lien commun : le philosophe Martin Buber parlait de situation dialogique entre le compositeur et la congrégation. Dřoù lřimportance et le rôle dřun usage de mélodies traditionnelles, pouvant figurer cette médiation et satisfaire au besoin dřauthenticité (même si cette notion sřavère une construction) des fidèles du culte réformé.

Toutefois, la congrégation elle-même nřest pas un corps homogène : des questions générationnelles fondamentales, en particulier entre la fin du XIXe siècle et au début du XXe oppose les plus anciens aux plus jeunes, dont lřoreille a été modelée par lřenvironnement sonore profane, savant ou populaire, et qui revendique des exigences (ou tout du moins des attentes) que les précédentes générations nřavaient pas. De fait, la question de la qualité esthétique et technique de la liturgie est posée : les simples et modestes mélodies traditionnelles, dans les années 1940 et 1950, ne semblent plus satisfaire les horizons dřattentes des jeunes fidèles ou des jeunes musiciens les plus éduqués. Un sondage a été effectué en 1960 pour la revue The american organist au sein des rabbins réformés et conservateurs américains : le résultat publié met en évidence une disproportion entre la participation importante des rabbins et des chantres du courant réformés et lřindigence de la participation des autorités du courant conservateur (une seule réponse enregistrée)322. En

321 BERLINSKI, Herman, « Music in Synagogue today », op. cit.

322 Id. The american organist, june 1960, p. 17.

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réalité, le courant conservateur est lui-même divisé entre une tendance proche de lřattitude réformée (incarnée, notamment par lřarchitecture novatrice de la synagogue de Philadelphie par Frank Lloyd Wright) et une autre différant peu de la position rigoriste des orthodoxes.

Le rapport entre le poids des contraintes rabbiniques sur la création musicale et la créativité effective des compositeurs change donc radicalement au cours du XXe siècle. Outre la synagogue conservatrice de Park Avenue, il est important de mentionner le rôle moteur joué par le Temple Emanu-El de San Francisco et par Lazare Saminsky, suivi par dřautres responsables de la congrégation : parmi eux, le rabbin Perilman, du Temple Emanu-El de New York et le rabbin Bertram Korn pour la congrégation Kenesseth Israel dřElkinřs Park en Pennsylvanie. Dřautres insistent sur la nécessaire synthèse à opérer entre la tradition et lřinnovation, comme le rabbin Louis I. Newman, de la congrégation Rodeph Sholom de New York. Enfin, le comité pour la musique synagogale de la Metropolitan Synagogue de New York, dirigée par le rabbin Judah Cahn, met en place un programme ambitieux de création de musique synagogale contemporaine, passant commande à de nombreux membres de lřAmerican Composers Alliance.

Dans ce cadre institutionnel mobile et évolutif, impliquant conflits de générations, attentes des fidèles et nécessité de rester fidèle à la loi, la pratique musicale lors des rituels funéraires et des services mémoriels se décline sous plusieurs formes et doit se soumettre à certains impératifs rituels, au fondement du judaïsme et de lřun de ses commandements essentiels : préférer la vie à la mort.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 197-200)