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2. R EVUE DE LITTERATURE

2.4 Problématique

Suite à cette double revue de la littérature consacrée à la médiation et à l’écoute, je propose de repérer des éléments qui, selon moi, n’y ont pas été suffisamment traités et méritent d’être examinés ici. Autrement dit, je tâcherai ici de dégager ce qui pose problème dans cette littérature, une problématique à laquelle cette thèse tentera de répondre dans les chapitres suivants.

Comme je l’ai expliqué tout au long de ce chapitre, les travaux sur l’écoute couvrent plusieurs domaines d’étude et intéressent le milieu académique occidental depuis environ 80 ans. Si les centres d’intérêt ont varié au cours des décennies, nous avons pu observer que les travaux abordent l’écoute essentiellement selon une approche théorique et philosophique (essentiellement phénoménologique) ou empirique et cognitive. Dans ce dernier cas, nous avons également pu constater que ces études sont plutôt quantitatives et cantonnées à des cadres artificiels et uniformes : laboratoires universitaires et populations estudiantines ou ciblées (milieux professionnels). On peut donc imaginer qu’une étude de l’écoute gagnerait en relief à enquêter sur des situations « naturelles » dans un contexte quotidien, moins homogène et contrôlé. Par « situation naturelle », j’entends donc des situations où l’on n’a pas demandé aux participants d’agir de telle ou telle manière, mais où ces derniers se retrouvent à vaquer à leurs occupations, qu’elles soient habituelles ou inhabituelles.

d’inspiration phénoménologique avec une approche résolument empirique. Autrement dit, plutôt que d’avoir à choisir mon camp entre, d’un côté, des études empiriques abordées d’un point de vue essentiellement cognitif et de l’autre, des études purement théoriques, d’inspiration phénoménologique, il me semble qu’une troisième voie consisterait à adopter un point de vue phénoménologique, c’est-à-dire, centré sur le phénomène de l’écoute tel qu’il se vit au quotidien, tout en faisant le choix d’analyser des situations concrètes où ce phénomène précisément s’incarne et semble faire une différence dans l’évolution d’une situation. C’est cette troisième voie que je compte engager ici.

Si l’on se tourne maintenant vers les études sur la médiation, nous avons noté qu’on assistait actuellement à une multiplication de travaux sur la médiation, ce qui n’est pas surprenant, étant donné l’essor exceptionnel de ce mode de gestion de conflit (Wall et Dunne, 2012). Comme l’explique Morrill (2017), nous en serions à la phase d’institutionnalisation de la médiation qui coïnciderait logiquement à une diversification des pratiques et un accroissement de la réflexion sur ce moyen de gestion/résolution de conflit. Or, selon une revue de la littérature sur la médiation effectuée par Wall et Dunne (2012), l’une des recommandations des auteurs est de mener « more empirical studies (only one fourth of the reviewed articles were empirical) » (p. 239).

Wall et Dunne (2012) notent aussi que l’essentiel des travaux sur les interactions entre le médiateur et les médiés semble tenir pour acquis que le médiateur contrôle le processus. Ceci revient, il me semble, à nier tout un pan de l’interaction (et de l’écoute) : les parties en conflit ne s’influencent-elles pas entre elles, et n’influencent-elles pas, également, le médiateur ? Peu d’études ont été menées sur ce versant de la relation. Les chercheurs expliquent cette lacune en invoquant, d’une part, une mauvaise compréhension de la définition même de la médiation (en médiation, officiellement, le médiateur contrôle le processus or ce n’est pas forcément le cas), mais aussi par le peu d’études empiriques sur les médiations elles-mêmes, compte tenu de la difficulté d’entrer dans le terrain comme chercheur. La reconnaissance de cette lacune invite ainsi à une exploration de l’ensemble de la relation, en prenant en compte tous les individus et tous les modes de communication (verbaux et non verbaux).

Enfin, j’ai relevé très peu de travaux sur l’écoute en médiation spécifiquement. Quand c’est le cas, ils sont quantitatifs (Fischer-Lokou, Lamy, Guéguen et Dubarry, 2016) ou menés

sur des jeux de rôles (Phillips, 1999). La présente étude propose donc de venir combler, en partie, ces manques et limites en se focalisant sur la manière dont l’écoute des uns et des autres se matérialise ou non dans ce type d’interaction et plus précisément sur les mécanismes d’écoute dialogique en situation de médiation. On notera d’ailleurs, suite à la revue de littérature que j’ai présentée, que de nombreux travaux concernant l’écoute semblent, eux aussi, souffrir du même manque d’intérêt pour la dimension dialogique et interactionnelle de ce phénomène dans des contextes empiriques, mis à part dans des contextes d’apprentissage (de langues).

Comme nous l’avons vu, l’écoute dialogique suppose la coexistence de l’écoute, de la parole et de la pensée en positionnant l’écoute au premier plan (Helin, 2013 ; Lipari, 2014 ; Stewart, 1978, 1983) et ce dans un contexte où la notion de dialogue affirme et reconnait la relation à l’autre dans la collaboration comme dans le conflit.L’objectif de cette étude est donc avant tout d’effectuer un travail analytique sur le processus d’écoute afin de mieux saisir le processus de médiation et les enjeux qui s’y déroulent et de contribuer à la réflexion sur l’aspect constitutif de la communication.

Choisir d’étudier les interactions en médiation en se focalisant sur l’écoute dialogique permettra, je l’espère, de mieux comprendre les mécanismes de ce processus et de l’observer par ce qui constitue, en quelque sorte, la face cachée des interactions, celle qui reste en arrière- plan, invisible, mais ressentie. Cette étude pourrait se révéler pertinente pour les médiateurs comme pour les médiés, dans leurs pratiques professionnelles pour les uns et dans la gestion et résolution de leurs conflits pour les autres. On peut également envisager un intérêt pour cette étude dans des milieux organisationnels en général.