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2. R EVUE DE LITTERATURE

2.1 Le processus de médiation

2.1.5 Médiation et communication

La communication, constitutive de toute médiation (Haynes, 1989 ; Greco-Morasso, 2011), fait l’objet de travaux couvrant une multitude de facettes du processus. Avant d’évoquer quelques-unes d’entre elles, il convient de présenter comment la notion de communication est généralement conçue dans cette littérature, ce qui nous permettra, par la suite, de contraster cette acception avec la manière dont cette notion est développée dans le cadre théorique plus loin. S’inspirant d’une perspective processuelle de la communication, Millen (1994) identifie ainsi quatre caractéristiques de la communication en médiation, à savoir, la coordination, la négociation (politique), l’émergence de sens, et le contexte, qu’il illustre par des extraits de cas. La coordination renvoie, selon Millen (1994), à la notion d’émergence de sens à travers la communication, non par le partage de sens, mais par l’organisation interpersonnelle entre les participants. La notion d’émergence de sens souligne ainsi le fait que la communication est un processus continu. Bien sûr, le sens de la communication varie selon le contexte et la notion de négociation politique met en relief le fait que toute communication est sensible et influence l’environnement social. En somme, pour Millen (1994) la communication est un processus continu dans les interactions humaines en médiation. Ce processus est soumis à la négociation et sensible au contexte, qui dépend de la coordination de sens entre les individus. Je retiendrai en particulier la notion de production continue de sens par la communication pour délimiter le cadre théorique de ce projet. Je l’aborderai dans la partie consacrée au cadre théorique, en évoquant l’approche constitutive de la communication. Néanmoins, la vision de la communication comme processus pose une limite importante dans la mesure où elle tend, de mon point de vue, à être anthropocentrique et à restreindre quelque peu le cadre de la médiation.

En effet, la taille de la salle, la disposition du mobilier, la présence d’objets, de documents ou bien leur absence peut exprimer une intention ou un manque d’égard. Dans la perspective proposée par Millen (1994), la dimension artefactuelle et architecturale semble ainsi atrophiée et mériterait plus de considération. Je propose donc d’ouvrir la perspective de Millen en changeant de focale « communicative », une focale moins anthropocentrée.

Parmi les facettes communicationnelles dans les interactions en médiation, les émotions sont également à considérer. Jones et Bodtker (2001) mettent en exergue leur influence, exposant ainsi leur apport au processus. Jones (2006) décrit trois compétences nécessaires au médiateur pour gérer les émotions de personnes en conflit : (1) la capacité de décodage des émotions (le médiateur identifie l’émotion, par exemple la colère) (2) savoir faire reconnaitre l’émotion vécue par des questions incitatives (« Que ressentez-vous ? »). Enfin, elle identifie une troisième compétence qui consiste à faire évoluer l’expérience émotionnelle en facilitant la réévaluation de la situation et de l’émotion (3) (« Est-ce que ce comportement fonctionne pour vous ? »).

On comprend ainsi combien le médiateur peut en apprendre sur la situation en décelant les émotions qui la constituent pour ensuite intégrer les informations qu’elles renvoient afin de faciliter le processus. Les émotions constituent ainsi, selon Jones (2006), une strate fondamentale de la communication en médiation. Cependant, on notera que Jones (2006) n’étudie que le rôle du médiateur. Or, Kaukomaa, Peräkylä et Ruusuvuori (2015) montrent comment l’allocutaire peut modifier la trajectoire esquissée par le locuteur et comment, ensemble, ils peuvent ainsi réajuster continuellement leurs émotions au cours d’une conversation.

On imagine combien ceci peut être exacerbé dans un contexte tendu comme la médiation. Kaukomaa, Peräkylä et Ruusuvuori (2015) ajoutent que les interlocuteurs communiquent en affichant sciemment et même stratégiquement des positions pendant leurs interactions5. En somme, les émotions sont, en quelque sorte, en constant « remodelage » au

5 Cette étude est conduite dans un contexte autre que la médiation et dans des conditions contrôlées (les participants discutent pendant leur repas du midi).

cours de l’interaction. Selon leur réception, l’auditeur prête attention à l’émotion que lui renvoie son interlocuteur, et ce, de manière plus ou moins consciente. Ainsi, dans l’observation du fonctionnement des processus de médiation, il paraît incontournable d’analyser les émotions, aussi bien chez le médiateur que chez les médiés.

Une autre manière d’aborder la communication en médiation est par la voie du facework (traduit par « figuration », en français). Reprenant cette notion élaborée par Goffman (1967) Littlejohn et Dominici (2006) proposent de l’appliquer à la médiation. Définissant le facework comme « a set of coordinated practices in which communicators build, maintain, protect, or threaten personal dignity, honour, and respect. » (P. 234), le facework se discernerait selon trois niveaux : personnel, relationnel et systémique. Il évolue aussi bien dans chaque tour de parole, qu’au sein d’une conversation, ou dans un regroupement de conversations que les auteurs nomment épisode, ou encore que dans le « scénario de vie » de l’individu, d’une relation ou d’un système (ou organisation). Les auteurs (2001) identifient ainsi cinq caractéristiques de la communication positive, dans une situation de conflit ou non, et situent le facework au centre. Les quatre caractéristiques satellites sont la collaboration, la capacitation, la gestion du processus et l’existence d’un environnement sécuritaire.

Par ailleurs, l’argumentation constitue un autre élément clef de la communication en médiation. Elle est qualifiée par Van Eemeren et Grootendorst (2004) comme « part of an explicit or implicit discussion between parties who try to resolve a difference of opinion (that may be implicit) by testing the acceptability of the standpoints concerned » (p. 21). Sans que ce mode de communication soit toujours aussi apaisé que le suggère cette définition, l’argumentation constitue ainsi l’une des dimensions essentielles des échanges interpersonnels, ancrée dans le langage.

Pourtant, Jacobs et Aakhus (2002) remettent en question sa présence dans le contexte de la médiation. Il existe, selon eux, trois modes opératoires de rationalité en médiation qui ne répondent pas aux mêmes attentes : thérapeutiques, de discussion critique et de négociation. L’hypothèse du mode opératoire thérapeutique est de concevoir le conflit comme le résultat d’un malentendu entre les parties en conflit ou encore comme un manquement au respect du point de vue de l’autre, malentendu ou manquement qui peut être rectifié par la médiation, laquelle

chacun reconnaît le point de vue de l’autre.

Selon ces mêmes auteurs, le modèle dominant en médiation est celui de négociation (bargaining). Ce modèle reposerait ainsi sur ce que veulent les parties en conflit et non sur ce qu’ils croient. Ici, il s’agit donc d’arriver à trouver un terrain commun. Enfin, le modèle de discussion critique suppose que le différend résulte d’un désaccord relatif aux faits et aux valeurs. C’est la nature publique qui va permettre aux parties en conflit d’échafauder une résolution à travers la co-construction d’une solution issue des valeurs communes. L’argumentation est particulièrement présente dans le modèle de discussion critique et présente à une moindre échelle dans les deux autres. L’étude de Jacobs et Aakhus (2002) démontre la tendance des médiateurs à privilégier les modèles thérapeutiques et de négociation au prix d’une approche de discussion critique où l’argumentation serait plus présente. On pourrait imaginer que le modèle varie en fonction du type de médiation.