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L’environnement numérique de travail, objet initial de notre recherche, ne serait sans les usagers39

qu’une architecture de pages, de code informatique, reliée à des bases de données. Sans préjugé d’une hiérarchie de valeur, les études portant sur ce modèle ne nous concernent pas dans notre démarche. Les ergonomes mettent en relation un artéfact avec un schème d’action pour que le tout devienne un instrument (Rabardel, 1995); c’est bien le sens que prend l’ENT qui nous préoccupe.

38 Ayant terminé mon contrat en pôle d’appui, j’ai continué à garder contact avec les enseignants de mon bassin, certains collègues mais aussi à m’impliquer dans la Structure Fédérative de Recherche présente dans l’ESPE de mon académie.

Après avoir défini l’ENT comme un dispositif d’information et de communication, nous nous positionnerons au regard des analyses d’usages.

4.2.1.1 L’ENT comme dispositif

Comme nous l’avons déjà évoqué (chap 2.1.1), l’ENT est avant tout un outil institutionnel. Il diffère en cela de nombreux objets TICE dont l’utilisation est basée sur la volonté individuelle de l’enseignant.

Si la notion de dispositif pouvait être déjà rencontrée précédemment (Beuscart & Peerbaye, 2006), la plupart des ouvrages prennent comme définition initiale du dispositif socio-technique celle proposée par Foucault :

Les éléments qui relient « un ensemble résolument hétérogène comportant

des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, Le dispositif lui même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments » (Foucault, 1977, p. 299).

Cette première caractérisation, reposait sur des travaux dont les terrains comportaient une autorité très forte, cette particularité du modèle foucaldien donnait, par exemple, une définition de l’école comme « une sorte d’appareil d’examen ininterrompu qui double sur toute sa longueur l’opération d’enseignement » (Foucault, 1975, p. 218). Ce concept s’émancipera sur plusieurs voies, en atténuant ces valeurs « surdéterminantes », au profit d’une « indétermination des dispositifs » (Beuscart & Peerbaye, 2006, p. 3). Ainsi Klein et Brackelaire (1999) vont introduire la notion d’autopoiétique, ou comment dans une dynamique récursive le dispositif de communication nourrit des usages, usages qui participent à la construction du dit dispositif. Ainsi le dispositif survit aux intentions qui lui étaient programmées.

Notre objet, s’il ne peut se présenter comme un outil d’aliénation, comporte cependant une dimension hiérarchique. L’ouverture de cet outil aux parents, l’accès donné au proviseur à toutes les données publiées, additionné de son pouvoir de « signature » du cahier de texte, le verrouillant aux modifications, sont des éléments porteurs d’une notion de surveillance. Toutefois, cela dépasse l’établissement. Ainsi, l’usage de l’ENT (cahier de texte, blog…) est un des éléments d’évaluation de l’enseignant par l’inspection. La politique d’un proviseur comme les habitudes d’un inspecteur d’académie vont provoquer des pratiques mais aussi des attitudes et postures face à l’objet. Ces éléments cognitifs vont, à leur tour, influencer les pratiques et changeront l’objet.

Cette récursivité nous amène à l’approche du dispositif constructiviste regroupé sous le nom de Social Construction Of Technological System (SCOT) (Bijker, Hughes, Pinch, & Douglas, 1987). Le dispositif ne se voit plus comme le produit engendré par une chaîne linéaire de décision en (théorie du « linear model of the innovation process » (Pinch & Bijker, 1984, p. 405) mais comme une négociation des différents groupes d’acteurs présents dans ce procédé, chacun portant une interprétation différente de l’objet. Le fonctionnement devient un élément du processus de conception : « The working of an artifact is not an intrinsic property from which its development stems but is a constructed property and the outcome of its development »40 (Bijker, 1994, p. 242). Comme évoqué précédemment, l’ENT s’il repose pour tous les établissements sur une infrastructure unique, diffère selon le projet qui lui est affecté dans chaque établissement. En effet, l’accès aux outils reste modulable et des outils extérieurs peuvent être intégrés. De plus les contenus, la structure de navigation découlent de l’emploi de l’ENT par la communauté éducative. Les enseignants peuvent donc être considérés comme des acteurs de la production de l’objet ENT que nous avons sondé.

Or, « chaque groupe cherche à imposer sa propre définition de l’objet ou du

dispositif technique […] il s’agit de privilégier une fonction de l’objet technique au détriment d’une autre, d’où ces notions de flexibilité dans l’interprétation et de luttes sémantiques dans la définition que les uns et les autres pourront donner du même objet technique. Outre sa fonction utilitaire, ces controverses techniques mettent ainsi en jeu la signification symbolique de l’objet ou du dispositif. » (Proulx, 2006, p. 6).

Ce positionnement social, compatible avec une approche psychosociale, repose sur « les interdépendances entre les acteurs participant aux différentes étapes que parcourent une invention, la diversité de ces acteurs et l’impossibilité de séparer les techniques des sociétés dans lesquelles elles sont inventées » (Coutant, 2015, p. 3).

4.2.1.2 La sociologie des usages

Notre thèse peut sembler ne pas porter sur les usages, ainsi, nous ne mesurerons pas les connexions, ou n’observerons pas de cours utilisant l’ENT. Cependant, selon Moeglin41,la nuance entre les utilisations et les usages peut se présenter ainsi : « ils [les usages] s’inscrivent dans des projets et ils sont portés par des représentations conférant aux usagers une dimension collective, des statuts et

40 Traduction personnelle : le fonctionnement d’un artefact, n’est pas une propriété intrinsèque dont il tirerait son développement, mais il est une propriété construite et le résultat de son développement.

aussi des droits et des devoirs » (Moeglin, 2008, p. 323). Nous considérons l’étude des représentations (sociales et/ou professionnelles) comme une porte d’entrée dans l’analyse des usages. En effet, analyser les usages, dépasse la réflexion technique sur l’outil, pour accéder aux « significations d’usage projetées et construites par les usagers » (Mallein & Toussaint, 1994, p. 318) afin de comprendre comment l’artéfact s’insère dans la pensée enseignante. Cette posture nous situe dans la continuité des réflexions exposées par Proulx :

« L’usager se représente les fonctionnalités de l’artéfact ; ces cartes mentales influencent l’éventail des usages possibles imaginés par lui. Les représentations mentales (mental maps) individuelles de ces objets informationnels surgissent dans un contexte social plus large ; il y a une interinfluence entre ces représentations mentales individuelles et le stock de représentations enchevêtrées agit sur la matérialité des pratiques des individus avec les objets communicationnels. » (Proulx, 2009, p. 18)

4.2.1.3 De l’analyse des TIC aux TICE

Les recherches sur les TICE ont été la source d’un courant réunissant les sciences de l’éducation et les sciences de l’information et communication. Portée par Genviève Jacquinot, cette « démarche dispositive, hybride par nature, se propose de rendre compte des logiques d’usage et des interactions entre les éléments hétérogènes qui interviennent dans la mise en œuvre du dispositif lui-même innovant » (Jacquinot & Choplin, 2002, p. 187). Dans ces recherches, l’innovation pédagogique ne devient effective que lorsqu’il y a changement ou transformation des pratiques, certes, mais également des attitudes et des représentations.

Ce cheminement dans les modèles des SIC nous montre la difficulté à appréhender un dispositif. Ce dernier est composé d’éléments inter-reliés, éléments eux même hétérogènes (publics, enjeux, objet d’information et de communication) (Couzinet, 2009). La structure même de l’ENT nous amène, dans une visée heuristique, à explorer les représentations de l’artéfact ENT mais également des objets sur lesquels il est fondé et dans lesquels il doit prendre sens. Cette motivation de croisement de représentations nous amène à réfléchir à une seconde phase de la problématique.