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Notre étude se fonde sur 4 objets à la temporalité différente. Si l’environnement numérique de travail est récemment arrivé, le métier d’enseignant, la communication et l’information dans ce dernier sont permanents dans l’histoire de l’école. Cette particularité nous oblige à questionner la chronologie d’une représentation. La vie de ce savoir commun peut être décomposée en trois périodes, l’émergence, la stabilité et la transformation (Moliner, 2001c). Si cette évolution est naturelle- le changement faisant partie intégrante du processus (Rouquette & Moscovici, 1994), chaque temps aura des répercussions sur la structure et sur le contenu de la RS. Nous aborderons ces processus et caractéristiques dans les parties qui suivront.

3.2.3.1 Genèse de la représentation

L’émergence d’une représentation sociale est donc faite de sélections d’éléments mais aussi de l’intégration de ces derniers. Le modèle socio-génétique des RS (Moscovici, 1976) a formalisé ces activités sous les notions d’objectivation et d’ancrage. Ces deux processus, s’ils sont présentés ici successivement, doivent être lus comme simultanés, l’un se nourrissant et influençant l’autre, l’un étant incomplet ou privé de sens sans l’autre : « c’est le processus d’objectivation qui produit la figure et c’est le processus d’ancrage qui lui donne sens » (Moliner, 2008, p. 13).

3.2.3.1.1 L’objectivation

De nombreuses définitions pourraient être proposées et nous avons choisi de nous appuyer sur deux d’entre elles :

 « Objectiver, c’est faire une construction sélective, c’est choisir un sens en le matérialisant » (Jodelet, 1984, p. 361).

 «Par ce processus, les connaissances relatives à l’objet de représentation n’apparaissent plus comme des concepts, des constructions intellectuelles destinées à rendre compte de cet objet mais bien comme des éléments tangibles de réalité » (Moliner, 2001a, p. 19).

Ces éléments font ressortir la nécessite de réduction face à un objet trop complexe sur lequel les informations sont dispersées. Cette sélection permet une manipulation mentale et l’émergence d’échanges en aboutissant à une forme plus simple, plus concrète, plus proche de nous. Ce processus peut se décomposer en trois actions (Jodelet, 1984) :

 construction sélective : cette action consiste en la sélection, la déformation des éléments. Ce décalage avec la réalité sera fonction « de critères culturels (tous les groupes n’ont par un égal accès aux informations relatives à l’objet) et de critères normatifs (n’est retenu que ce qui concorde avec le système de valeur du groupe » (Moliner & Guimelli, 2015a, p. 23) .

 schématisation structurante : la représentation étant à la recherche de cohérence, les éléments sélectionnés plus haut vont se réorganiser en « noyau figuratif » (Moscovici, 1976, p. 122) permettant une vision concrète et accessible, les éléments entrant en contradiction avec les valeurs du groupe seront évacués.

 naturalisation : ce noyau figuratif va « remplacer » naturellement le concept lui-même, structuré en accord avec l’environnement social du groupe, il est concret et cohérent, il se « substitue à la réalité même de l’objet et devient naturel. La représentation prend alors un statut d’évidence » (Pétard, 2007, p. 171).

3.2.3.1.2 L’ancrage

Comme évoqué précédemment, sur les 4 objets que nous avons sondés lors de cette étude, certains sont arrivés récemment et d’autres bien avant la naissance de notre population. Quoi qu’il en soit, aucun objet n’arrive jamais sur une « table rase » (Jodelet, 1984, p. 381). Quelle que soit l’originalité d’un objet, il devra s’intégrer dans le « déjà là pensé » (Jodelet, 1984, p. 381) du groupe. Ainsi, bien avant de devenir enseignant, notre échantillon avait déjà une expérience, ne serait-ce que comme élève, du métier, de la communication et de l’information. De même, avant l’arrivée des ENT, il connaissait l’intranet de leur université, les services numériques du rectorat, ou encore le site internet des établissements. À ces expériences personnelles ou sociales, vont s’ajouter les connaissances portées par les discours médiatiques, institutionnels ou sociaux (chap 6.1). Cette intégration du nouveau dans l’ancien est, dès le début du concept, définie par l’ancrage. « Ce processus permet d’incorporer quelque chose qui ne nous est pas familier et qui nous crée des problèmes dans le réseau de catégories qui nous sont propres et nous permet de la confronter avec ce que nous considérons un composant ou membre typique d’une catégorie familière. » (Doise & Palmonari, 1986, p. 22).

Cependant, tout objet de représentation sociale n’a pas vocation à devenir totalement familier. Ainsi, certaines représentations de concepts peuvent tout en continuant à exercer leur fonction garder une caractéristique d’étrangeté à l’objet (Kalampalikis, 2011; Kalampalikis & Haas, 2008).

Cet ancrage va être décliné sous trois niveaux (Doise, 1992) :

 psychologique : au niveau intra et inter-individuel, ou comment les valeurs générales « auxquelles adhèrent avec des intensités différentes les membres d’une société » (Doise, 1992, p. 190) vont interférer avec le rapport que l’individu entretient avec l’objet de représentations.

 sociologique : au niveau inter-groupe, l’objet est cristallisé par une pression exercée sur le groupe qui l’oblige à prendre une position. Dans ce cas, c’est la relation intergroupe qui est mise en avant ; l’objet prend son sens en rapport à l’autre groupe.

 psychosociologique : c’est la position symbolique qu’entretient l’individu et son groupe dans la société qui vont interférer avec la représentation de l’objet.

L’objectivation et l’ancrage vont se nourrir l’un de l’autre. L’objectivation, en synthétisant le concept, rend plus facile son intégration aux représentations (attitudes et idéologies) préexistantes. L’ancrage, en instituant un cadre mental, va orienter (et justifier a posteriori) la focalisation par laquelle se fait l’objectivation. Ce double processus va permettre l’émergence d’une représentation stable.

3.2.3.2 Stabilité des RS

Une fois les représentations insérées dans la pensée sociale, leur fonction n’est plus de pallier un manque d’informations ou de maîtriser l’inconnu, puisqu’elles remplacent le concept anciennement nouveau. C’est sur ce temps que s’exprimeront réellement leurs fonctions.

Concernant les objets et groupes anciens, cette étape de la RS se démarque par un discours consensuel et explicatif. La stabilité d’une représentation sociale ne doit pas cacher sa faculté d’adaptation à l’environnement social. En effet, ce dernier étant mouvant, il va influencer la RS. La structure de cette dernière peut supporter un certain aménagement tant que ses éléments fondateurs restent constants. C’est à ce moment-là que la modification doit avoir lieu.

3.2.3.3 Modification des représentations

Lorsque l’objet, le groupe ou encore le contexte sont modifiés, à tel point que la représentation n’est plus opérationnelle, elle ne peut plus assumer ses fonctions (chap 3.2.4) et sera donc transformée. Sur cette étape nous retrouverons les indicateurs contextuels similaires à la phase d’émergence d’une RS : l’intensification de la communication collective (interpersonnelle, discours public, média (Moliner, 2001a) composant des discours sur l’objet diversifiés et juxtaposés. Ces productions discursives se distribueront entre déni et rationalisation, pointant les éléments perturbant l’ancienne RS. De plus, la résistance de ce savoir si stable pendant la période précédente va créer des sous-catégorisations pouvant amener à observer la formation de sous-groupes et la coexistence de plusieurs versions de la RS.