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1. Démarche méthodologique

1.1. Problématique

Lors de nos recherches préparatoires, nous avons réalisé qu’il y avait peu de recherche sur le patrimoine vernaculaire montréalais, aussi connu sous le nom de petit patrimoine, autant sur le plan matériel que sur l’intangible. Nous avons choisi comme problématique le patrimoine de l’ère industrielle, les maisons, les anciennes usinent aussi le patrimoine immatériel qui a façonné le quartier, mais aussi ses habitants. La transformation du quartier créée des tensions entre les usages du quartier et les nouveaux utilisateurs de l’espace urbain. L’offre immobilière, essentiellement des condominiums, ou encore les rénovations visant à rajeunir, en mélangeant un ensemble de signes architecturaux, les anciennes maisons en rangée de brique rouge, alimente ces tensions que dénoncent les acteurs du milieu. Nous aborderons la question plus tard, mais soulignons le travail d’Hélène Bélanger sur les usagers du canal Lachine.

Les études sur le patrimoine sont un champ qui est encore en train de se définir. L’ontologie, l’épistémologie et la méthodologie évoluent au rythme des recherches, car, nous le verrons, elles

sont multiples. Tim Winter, chercheur à l’Institut de la culture et de la société de la University of Western Sydney, souligne l’importance et le rôle qu’occupent les revues International Journal of Heritage Studies et Journal of Cultural Heritage (Winter, 2003) dans la construction de cette discipline qui se veut multidisciplinaire. Mathieu Dormaels, dans sa thèse de doctorat souligne, à propos de l’épistémologie et la méthodologie du patrimoine, que comme « l’étude du patrimoine n’étant pas une discipline, il peut être difficile de déterminer le cadre méthodologique d’une recherche sur ce sujet. Cependant, en tant que champ de recherche constitué, on peut identifier certaines tendances méthodologiques générales ». (Dormaels, 2013 : 80) Devant cette caractéristique, dès le départ, s’est imposée la méthode scientifique. Il est admis que la science se construit par l’usage de procédés, de techniques et de méthodes, une normalisation du langage entre chercheurs.

Toute recherche commence avec une question, la nôtre fut la suivante : quel patrimoine pour quelle vision de l’histoire ? Au regard des observations que nous avons réalisées, cette question revient fréquemment en raison du caractère éphémère de l’histoire qui se réécrit en permanence au gré des découvertes et des analyses, des publications. Le patrimoine n’est pas objet défini (Le Hégarat, 2015) et il crée par un processus continu de conflit et de négociation (Daly and Chan, 2015 ; Smith 2006 ; Breglia 2006 ; Ashworth and Tunbridge 1996). Ce qui nous fait croire qu’il existe surement une manière différente de voir le patrimoine, car les définitions elle n’est pas aisée à définir. « L’histoire de la notion de patrimoine est d’ordinaire décrite comme une continuité, marquée par l’élargissement régulier de son périmètre, et ce processus serait en définitive assez organique. » (Le Hégarat, 2015) L’UNESCO définit comme suit ce qu’est le patrimoine, l’« héritage du passé, dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir » (Convention du patrimoine mondial de 1972, Paris). Pour le socioanthropologue Jean-Louis Tornatore, le patrimoine est

« d’actualité vive, excédant largement le cercle des spécialistes, libéré du monopole d’État, se développant hors de son terreau occidental d’éclosion, et qui tend à englober, par sa capacité de fixation (objet, monument, lieu, pratique culturelle, être vivant…), les formes complexes et plurielles d’objectivation d’un passé-présent ou d’un “déjà-là” : tradition, mémoire, histoire, culture, environnement, etc. » (Tornatore dans Le Hégarat, 2015)

Cette citation nous permet d’introduire la ligne directrice de l’ensemble de ce mémoire. Tornatore propose une définition du mot patrimoine qui décloisonne le concept et ouvre à l’interprétation. Il n’est pas le premier à la faire, Thibault Le Hégarat (2015) à d’ailleurs recensé dans un article l’historique de la notion de patrimoine, plusieurs définitions. Il explique aussi la différence de l’évolution de la transformation du sens que l’on donne au mot patrimoine (Jean-Pierre Babelon et André Chastel, 1994 ; Emmanuel Amougou, 2004 ; Jean Davallon, 2006 ; Olivier Poisson, 2008 ; Françoise Choay, 2009 ; Stéphane Heritier, 2013). Cependant, il reste que toutes les propositions restent centrées sur une perspective occidentale et matérielle, laquelle rend complexe la compréhension du patrimoine des régions autres que l’occident et où le patrimoine est souvent immatériel. Les acteurs du champ, qui étudient et travaillent avec le patrimoine, sont plutôt d’accord pour dire que « le patrimoine immatériel est culturel [,] comme le patrimoine matériel [. Le patrimoine] est aussi vivant comme le patrimoine naturel ». (Kirshenblatt-Gimblett 2006 : 164) Les nombreuses transformations du sens ont mené certains acteurs à déconstruire le paradigme culturel. Si dans les années 90, du côté des recherches en langue francophone, nous avons vu émerger ce qui est connu sous le nom de patrimonialisation, un phénomène similaire, mais dont la portée est plus grande se produit dans la dernière décennie de l’ancien millénaire du côté anglophone. Les Critical Heritage Studies ont remis en question notre rapport au patrimoine. Le travail d’une personne en particulier se démarque celui de Laurajane Smith, professeur et directrice du Center for Heritage and Museum Studies à la Australian National University. Smith, dans son ouvrage Uses of Heritage (2006) soutient l’idée qu’il existe plutôt un discours hégémonique qui, insidieusement, contrôle la manière dont nous pensons, parlons et écrivons sur le patrimoine. Elle développe, pour expliquer les transformations de la notion de patrimoine, le AHD (Authorized Heritage Discourse), une manière normée de concevoir et de consommer le patrimoine selon l’esthétique, la volonté de transmission. Ces derniers utilisent aussi le passé pour forger un sentiment d’identité. Smith le dit, « to forge a sense of common identity based on the past ». (Smith, 2006 : 29) Pour valider son discours, elle se réfère aux Critical Discourse Analysis (CDA) qui « offers a theoretical platform and methodological approach that aims to illuminate the links between discourse and practice, and the light this can shed on human relationships and social actions and issues ». (Smith, 2006 : 15) Cette méthodologie de recherche est pratiquée par nombres

de chercheurs pratiquant dans des disciplines diverses. La CDA se situe dans une théorie et une analyse qui souligne les relations sociales concrètes qui sous-tendent et génèrent des discours (Bhaskar 1989 ; Sayer 1992 ; Chouliaraki and Fairclough 1999 ; Fairclough et al. 2 003 dans Smith, 2006).