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5. Le quartier de Pointe-Saint-charles

5.2. Le contexte général

Le Sud-Ouest est marqué par la présence du chemin de fer. Dans leur ouvrage paru en 1991, Pignon sur rue, Michelle Benoit et Roger Gratton utilisent le titre suivant « Voies de fer et voies d’eau » (Benoit et Gratton, 1991) lorsqu’ils décrivent le secteur. Gilles Sénécal a lui aussi décrit le secteur de cette manière. Dans un article intitulé Aspects de l’imaginaire spatial : identité ou fin des territoires ? Il présente le secteur de la manière suivante : « autrefois oppidum ouvrier sis entre le rail et l’eau, entre le canal et le fleuve » (Sénécal, 1992 : 156). Ces éléments semblent bien ancrés dans l’imaginaire populaire et malgré les désavantages que peuvent causer la présence de voies ferrées et plus généralement le monde ferroviaire, ils constituent des éléments identitaires encore présents aujourd’hui. Un autre élément marquant et symbolisant Le Sud-Ouest est le canal de Lachine. Sa création au milieu du XIXe siècle et son élargissement en 1843 et en 1872 ont changé la vocation du secteur. Les changements furent significatifs et marqués par l’industrialisation. L’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959 a rendu obsolète le canal. Suite à cela, il fut utilisé par les petits navires durant quelque temps pour ensuite être fermé à la navigation. Ayant perdu sa fonction commerciale il fut observé que progressivement les entreprises industrielles ont délaissé ses rives laissant derrière elles de nombreux bâtiments et terrains en friches (Shearmur dans Klein et Shearmur, 2017 : 212).

Tel que présenté dans le profil de l’arrondissement du Sud-Ouest sur le site internet de la ville de Ville de Montréal, « l’arrondissement du Sud-Ouest compte parmi les secteurs offrant les meilleurs potentiels de développement à Montréal ; presque la moitié de son territoire est composé d’espaces ou de secteurs en transformation, d’anciennes usines à réaffecter et de secteurs complets à redéfinir ». (Ville de Montréal, Profil de l’arrondissement)

D’une superficie de 15,7 km2 et avec une population de 71 546 habitants (en 2011), soit 4,3 % de la population de Montréal22, le Sud-Ouest offre de nombreux avantages. Néanmoins, des défis de taille attendent les prometteurs, les résidents ne sont pas indifférents aux changements et les différents acteurs que nous avons décrits dans le chapitre 2, se mobilisent face aux changements. Dans une étude de 2010, la professeure Hélène Bélanger y constate une gentrification.

« Ces ménages “gentrifieurs”, au mode de vie davantage axé sur le travail et les loisirs que sur la vie familiale comme en banlieue, seraient attirés par la proximité

du centre des affaires et des infrastructures culturelles et de loisir [s], dans des quartiers possédant d’importantes qualités architecturales et urbanistiques (Podmore, 1998 ; Ley, 1996 ; Dansereau et L’Écuyer, 1987). En investissant des quartiers traditionnellement ouvriers, ils participeraient à leur transformation sociale et physique » (Bélanger, 2010).

Cette gentrification exerce des pressions sur les populations déjà en place (Bélanger, 2010). Le réaménagement récent du secteur de Griffintown a modifié l’équilibre social, mais, nous l’espérons, sonnera l’alarme sur l’importance de la mixité sociale et de l’initiative communautaire. Dans ce cas précis, le mouvement est initié par des acteurs économiques privés dont l’objectif est de marchandiser un territoire. En effet, pour des raisons à la fois historiques et économiques liées au développement et à la planification du territoire, le secteur de Griffintown est depuis quelques années le théâtre d’une transformation en profondeur. Dans Griffintown : son histoire et son cadre bâti, David Hanna (2007) souligne certains éléments symbolisant ce qu’était le quartier. Il parle, entre autres, des églises qui, construites entre la moitié du XIXe siècle et la moitié du XXe siècle, étaient les symboles des communautés irlandaises catholiques, francophones catholiques et anglophones protestantes. Il mentionne dans son ouvrage que ces lieux qui ont marqué l’histoire du quartier furent presque tous démolis. Dans le passé, l’arrondissement a pris des décisions qui, aujourd’hui, nous sembleraient non-éthiques. Hanna (2007) écrit que « les résidents pauvres de Griffintown ne comptent tout simplement pas aux yeux de la Ville » (Hanna, 2007 : 26). Les autorités municipales ont préféré la fonction industrielle en votant en faveur d’un changement de zonage en 1963. Suite à cette décision, la population de Griffintown est « en chute libre. De 1 600 personnes en 1966, on en passe à 800 en 1971 et la chute continue » (Ibid. : 27). Toutefois, les efforts mis en place pour revitaliser le secteur semblent bien fonctionner. La population de Griffintown est passée en2001 de 1 118 à 6 446 habitants en 2011 (Boulanger, 2015)23, c’est-à-dire une augmentation de 477 % en 10 ans (Poitras, 2017 : 120). Cette augmentation de la population est due aux nombreuses constructions, sur le bord du canal, de tous offrant de l’habitation en copropriété.

23 Luc Boulanger. 2015. « La renaissance de Griffintown ». La presse.ca, débat. Éditoriaux. Consulté le 19 mars

2016. Http://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/luc-boulanger/201508/04/01-4890314-la-renaissance-de- griffintown.php

Dans le Portrait statistique de la population du territoire de l’arrondissement du Sud-Ouest (2015), l’auteur du document Christian Paquin nous informe qu’« en 2010, sur le territoire du Sud-Ouest, 23 040 personnes vivant en ménage privé avaient un faible revenu, soit 32,7 %, comparativement à 26,4 % des Montréalais. » En étudiant le revenu moyen avant impôts pour les particuliers, nous constatons une différence considérable entre les différents secteurs. Cet indicateur de défavorisation matérielle nous indique que le revenu total moyen avant impôt est de 31 311 $, soit inférieur de 2 548 $ à la moyenne montréalaise. Toutefois, c’est l’écart entre Côte-Saint-Paul (28 570 $) et Griffintown (43 085 $) qui retient notre attention. Cet écart est encore une réalité compte tenu du développement intensif qui caractérise Griffintown.

Bien que le développement de Griffintown soit significatif, depuis 2011, les estimations de la Communauté métropolitaine de Montréal indiquent une forte accélération de la croissance du Grand Sud-Ouest24. Considérant le potentiel su secteur, il ne faut pas s’étonner que des initiatives économiques aient été mises en place. Le Quartier de l’innovation de Montréal, qui se situe au sud du centre-ville, mais dont le territoire plus large couvre Griffintown, Pointe-Saint-Charles et Saint- Henri/Petite-Bourgogne, vise à favoriser la recherche et le développement. Toutefois, même si l’initiative est lancée depuis 2009 et inaugurée en 2013, « le quartier de l’innovation est, à ce stade- ci de son développement, un quartier imaginaire, il est imaginaire parce qu’il n’existe que de façon virtuelle » (Shearmur dans Klein et Shearmur, 2017 : 217). Plusieurs institutions d’envergure se sont investies dans le projet tel que l’ÉTS (2009), la Cité Multimédia, la Cité du commerce électronique, mais aussi les universités Concordia et McGill (2010). Si des projets innovants ont vu le jour depuis,

« le Plan particulier d’urbanisme (ou PPU) de Griffintown, paru en 2013 (Ville de Montréal, 2013) [même s’il est innovant arrive trop tard], les cinq années […] entre l’appel de 2008 et le dépôt du PPU en 2013 [ont permis la construction de] tours d’habitations en copropriété sans grande cohérence et sans souci de leur insertion dans le quartier ou dans l’agglomération plus large : “Too Little too Late”, selon les experts interrogés par The Gazette (Friede, 2015). » (Shearmur dans Klein et Shearmur, 2017 : 21)

24PME MTL Grand Sud-Ouest : accompagnement et financement pour les entrepreneurs. 2018.

« À propos de PME MTL Grand Sud-Ouest ». PME MTL. Consulté le 27 mai 2018. https://pmemtl.com/sud-ouest/a- propos

Afin de crée une peu de cohérence, en 2017-2018, la Ville de Montréal à acheter trois terrains qui, ensemble, occupent plusieurs milliers de mètres carrés. Un de ces terrains, dont la superficie est de 8 300 m2, est située entre les rues William, Ann, Dalhousie et Ottawa et sera transformée en parc, lequel sera nommé Mary Griffin, importante propriétaire terrienne. Elle fut, jadis, la propriétaire de ce terrain et c’est pour cette raison que le quartier se nomme Griffintown. Cette initiative de la Ville cherche à améliorer la qualité de vie des citoyens en plus d’offrir des espaces verts qui ont le potentiel d’attirer les familles tel que le souligne Craig Sauvé, conseiller de Ville dans le district Saint-Henri-Est-Petite-Bourgogne-Pointe-Saint-Charles-Griffintown25. Un autre parc sera aménagé au coin de la rue Saint-Thomas et de la rue Ottawa, un troisième espace vert doit accueillir un complexe culturel de trois étages conçus à l’aide des voitures de métro qui ne servent plus. Selon le Cabinet de la mairesse et du conseil exécutif, « ces nouveaux parcs s’inscrivent dans la volonté de la Ville de faire de Griffintown un quartier durable, habité, dynamique, innovant et diversifié qui s’appuie sur son héritage industriel26 ». Rappelons-nous que dans le passé, le plan de développement du quartier fut mainte fois critiqué en raison du manque de parcs, d’écoles et d’autres services publics pour les familles. Le document issu du Cabinet de la mairesse et du conseil exécutif explique que l’aménagement du parc A, qui n’a pas encore de nom, fut conçu autour du thème « raconter l’histoire du quartier ». On devrait y reconnaître le tracé de la Petite Rivière, le passé industriel et les anciens rangs agricoles. Toujours selon le conseiller de ville Craig Sauvé, « ces parcs vont aussi contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance des résidents et résidentes de Griffintown », un élément qui jusqu’à présent semblait manquer.