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Chapitre 1 – Constat des écarts de développement agricole dans le monde, hypothèses sur

C. Problématique

46 Pour ces auteurs, cette migration des actifs agricoles ruraux vers les villes libèrera

des terres et la taille des exploitations des actifs agricoles restants pourra croître.

Ils encouragent donc la réflexion sur des politiques de développement qui accompagneraient les migrations « rural agricole » vers « l’urbain non agricole » plutôt que de se focaliser sur un seul secteur de l’économie et un seul mode de production (ils évoquent même l’idée de subventionner les migrants).

On fera remarquer qu’un exode non pas rural (migration définitive vers les villes) mais « sectoriel », c’est-à-dire des actifs agricoles qui, tout en restant en milieu rural, travaillerait non plus dans le secteur agricole mais dans les secteurs non agricoles, libèrerait également de la terre pour les actifs agricoles restants.

Dans le même ordre d’idée, Gollin (2010) montre que la productivité du travail est supérieure dans les secteurs non agricoles dans les pays en développement, ce qui renforce l’idée que les actifs agricoles bénéficieraient de cette migration du travail agricole rural vers les villes et les secteurs non agricoles, et que cette migration contribuerait à la croissance globale des pays en développement.

Cette migration du travail est une caractéristique du processus de transformation structurelle classique, décrit par Lewis (1954). C’est la trajectoire « à la Lewis » caractérisée par les phénomènes suivants : le travail migre vers les villes et les secteurs non agricoles, la part de l’agriculture dans l’économie décroît (PIB agricole dans le PIB total et part des actifs agricoles dans le total des actifs), l’écart de revenus des actifs agricoles et non agricoles tend vers zéro et les exploitations agricoles s’agrandissent.

Cependant, la migration du travail depuis l’agriculture vers les autres secteurs est- elle, en tout lieu et tout le temps possible ? Est-elle aujourd’hui réaliste, étant données les trajectoires suivies par les différents mondes en développement ?

Contrairement à Gollin, Parente et Rogerson (2002), Dorin et al. (2013) en doutent.

Ils montrent qu’une bonne partie du monde en développement suit en réalité une autre trajectoire, qualifiée de « piège de Lewis » (« Lewis trap ») dans laquelle certes, la part de

l’agriculture diminue au cours du développement, ce qui conduit d’ailleurs certains auteurs à conclure (trop rapidement) que ces pays sont engagés dans une trajectoire de

transformation structurelle « classique» « à la Lewis », alors que le nombre des actifs agricoles continue d’augmenter et les écarts de revenus des actifs agricoles et non agricoles ne se réduisent pas. Dorin et al. s’interrogent sur la capacité actuelle et future des

secteurs non agricoles des pays en développement à absorber une quantité suffisante de main d’oeuvre agricole pour permettre de rejoindre une trajectoire de transformation structurelle « à la Lewis » et un développement agricole avec une élévation de la taille moyenne des exploitations agricoles. La migration des actifs agricoles ruraux vers les villes et leur emploi dans les secteurs non agricoles, préconisée par Collier et Dercon, est, sinon remise en cause, du moins largement questionnée.

Une controverse existe donc sur la capacité des pays en développement à suivre la

même trajectoire de développement que les pays aujourd’hui développés, avec notamment la migration des actifs agricoles hors de l’agriculture comme phénomène central.

Cependant, le point commun entre ces deux analyses est qu’elles attribuent, de manière plus ou moins explicite (plus explicite chez Dorin et al. (2013) que chez Collier et Dercon (2013)), une grande importance à la variable « surface travaillée par actif agricole » dans le développement agricole.

47 Les travaux menés dans le cadre de cette thèse cherchent à mieux comprendre les influences respectives de l’évolution de la « surface travaillée par actif agricole » et de la « productivité de la terre » dans l’évolution de la productivité du travail agricole.

Pour cela, nous analyserons les relations entre développements agricole et non agricole, transformation structurelle et évolution du nombre des actifs agricoles, en plaçant l’analyse des productivités agricoles et de leurs déterminants au cœur de notre analyse (grâce à la première des approches suivies, voir ci-après).

Parallèlement, et c’est un second volet de la problématique de cette thèse, nous

analyserons les stratégies des agriculteurs évoluant dans un contexte démo-économique « défavorable », c’est-à-dire caractérisé par une baisse tendancielle de la surface travaillée par actif agricole. Cette baisse tendancielle tire en principe à la baisse la productivité de leur travail agricole. Comment réagissent-ils ? Quelles stratégies concrètes, observées in situ, adoptent-ils pour maintenir leur revenu ? A quelles contraintes font-ils face pour les mettre en œuvre ?

Nous anticipions deux grandes catégories de modifications du comportement des ménages agricoles « piégés » dans un tel contexte : 1) des tentatives d’élévation de la productivité de la terre, via différentes modalités : i) rendements physiques des cultures et produits animaux et ii) la reconversion productive (modification de la nature des spéculations agricoles depuis des cultures à faible valeur ajoutée brute par hectare à des cultures à plus haute valeur ajoutée brute par hectare), et 2) une participation accrue aux marchés du travail hors exploitation agricole.

Pour tester ces hypothèses, c’est une des originalités de ce travail, nous avons mené une enquête de terrain pendant trois années consécutives. Ces questions seraient restées sans réponse si l’on était resté au niveau des comparaisons internationales, faute d’éléments dans les bases de données20 mobilisées sur :

 les mécanismes de croissance de la productivité de la terre qui est un des leviers d’élévation de la productivité du travail agricole,

 la pluriactivité des actifs agricoles.

Nous présentons ci-après les deux approches suivies dans la thèse pour traiter cette problématique.

20 On ne dispose en effet pas de données précises sur toutes les composantes de la productivité de la terre ou

sur la pluriactivité des actifs agricoles ni dans les bases de données internationales, à l’échelle des pays, ni dans les statistiques nationales mexicaines.

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1. Décomposer la productivité du travail agricole en facteurs et procéder à

des analyses comparatives des trajectoires du développement agricole et

de leurs mécanismes sous-jacents à l’échelle mondiale et à l’intérieur

même d’un pays (le Mexique, états fédérés et Municipes)

L’agriculture est une activité économique dont une caractéristique spécifique est l’occupation de l’espace : la terre est un facteur de production. La productivité partielle du travail agricole (valeur ajoutée brute par actif agricole) peut se décomposer en un produit de facteurs. C’est le produit de la productivité partielle de la terre (valeur ajoutée agricole brute par hectare) par le nombre d’hectares travaillés par actif agricole :

Valeur ajoutée agricole brute / actif agricole =

Valeur ajoutée agricole brute / Hectares travaillés x

Hectares travaillés / actif agricole

Deux leviers de croissance de la productivité du travail agricole sont mis en lumière par

la décomposition factorielle ci-dessus : l’élévation de la valeur ajoutée agricole brute par

hectare travaillé (productivité de la terre) et l’élévation du nombre d’hectares travaillés par actif agricole.

Cette décomposition factorielle a déjà été employée, notamment par Benoit-Cattin (1976) pour comprendre, dans le cas de l’agriculture ivoirienne, l’évolution de la croissance, de la productivité et la formation du surplus agricoles, mais également par Benoit-Cattin (1977) pour analyser la dynamique temporelle des performances technico-économiques d’exploitations agricoles (appelés « carrés suivis ») sénégalaises adoptant plus ou moins certaines des nouvelles techniques proposée par la recherche agronomique ; par Ruttan (2002) et par Timmer (1988), pour décrire de manière générique la transformation de l’agriculture, stade par stade, au cours du développement et par Benoit-Cattin et Dorin (2012) avec une approche calorique de la production agricole sur le continent africain entre 1961 et 2003 (déclinaison de la prospective « Agrimonde » aux pays du continent africain).

Comment contribuent ces deux leviers au développement agricole, à différentes échelles géographiques : (comparaisons) internationales et intra-nationales (focus sur des unités administratives du Mexique) ?

De l’élévation de la productivité de la terre ou du nombre d’hectares agricoles travaillés par actif agricole, quel est le levier le plus puissant de croissance de la productivité du travail agricole ?

D. Présentation de deux approches suivies dans la thèse, questions