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Les problèmes des théories et des modèles de comportements de santé

3. Perception du risque et comportements de santé

3.6. Les problèmes des théories et des modèles de comportements de santé

J’ai dressé un panorama des théories et des modèles de comportements de santé parmi les plus influents du moment. J’ai tenté de montrer leurs atouts pour la communication de santé, et ils sont nombreux. Cependant, dans la perspective d’une volonté d’amélioration constante de la psychologie de la santé et de la communication sanitaire, il me paraît approprié de présenter quelques critiques émises à leur encontre par certains scientifiques, et de dégager des perspectives de recherche alternatives susceptibles de compléter à bon escient la connaissance scientifique des comportements de santé et des attitudes des individus envers les maladies. Je vais me pencher ici en premier lieu aux problèmes conceptuels et de prédiction de ces modèles cognitifs et sociocognitifs de comportements de santé.

On remarque certaines redondances parmi les construits de ces modèles. Par exemple, il existe une similitude entre le contrôle perçu sur le comportement à réaliser (théorie du comportement planifié) et l’auto-efficacité (théorie sociale cognitive). L’intention comportementale (théorie de l’action raisonnée) trouve son corollaire dans la phase de préparation/décision (modèle transthéorique de changement). Il y a un manque de consensus à combler dans la définition et

l’utilisation de ces construits (Armitage & Conner, 2000). D’autres critiques ont été émises par Montaño et Kasprzyk (2008). Je les présente ci-après. Les relations entre les construits du Health Belief Model peuvent parfois présenter des ambiguïtés, du fait qu’elles manquent de fondement théorique, à l’instar de l’association faite entre la gravité perçue et la sévérité perçue de la maladie pour déterminer la menace perçue. Selon eux, « une augmentation de la gravité perçue de la maladie est d’abord requise pour que la susceptibilité perçue d’attraper une maladie devienne un puissant prédicteur » [traduction libre] (Montaño & Kasprzyk, 2008, p.61). Si cette éventualité s’avère vraie, c’est-à-dire que si la susceptibilité perçue est un puissant prédicteur d’adoption de comportement de santé en cas d’intense perception de gravité de la maladie, alors une variable multiplicative d’interaction doit être calculée, au lieu de considérer ces variables distinctement. L’utilisation d’une variable multiplicative d’interaction est pertinente lorsque l’on soupçonne que l’effet d’une variable indépendante (ici, la susceptibilité perçue) dépend d’une autre variable indépendante (en l’occurrence, la gravité perçue). En outre, ces auteurs soutiennent que les relations entre les construits du Health Belief Model devraient être testées plus finement, notamment sous différentes conditions. Par exemple, les bénéfices et les barrières perçus seraient, selon l’hypothèse, de meilleurs prédicteurs lorsque la menace perçue est plutôt haute que basse. Une autre limite du Health Belief Model, soulevée dans leur texte est relative au fait qu’il s’agit d’un modèle cognitif et qu’il occulte, par conséquent, les aspects émotionnels liés aux comportements de santé.

Toujours dans le même texte, Montaño et Kasprzyk (2008) énoncent également quelques limites envers les théories de l’action raisonnée et du comportement planifié, qui tentent d’expliquer des relations causales entre des variables telles que l’attitude, l’intention et le comportement. La plupart du temps, les études appliquant ces théories sont effectuées à l’aide de questionnaires et sont de type transversal. En ce sens, elles négligent le fait que les liens de causalité sont mieux démontrés au travers des méthodes expérimentales qui permettent la manipulation de variables (Coolican, 1999). Ces théories ont pour objectif de prédire les intentions et les comportements. Or, une des critiques les plus récurrentes envers ces théories est qu’elles ne prédisent pas assez précisément l’intention et encore moins bien le comportement.

Enfin, une dernière critique émise par Zani (2002) à l’encontre de ces mécanismes de perception du risque et ces modèles de comportement de santé a trait à leur optique individualiste dans laquelle le social est considéré comme une entité extérieure à l’individu, exerçant une influence sur sa perception et son comportement. Les théories de comportement de santé n’envisagent

pas suffisamment les perceptions du risque et les comportements de santé des individus à l’aune d’une construction sociale, ou d’une perception du risque façonnée par la participation de l’individu à la vie sociale (Zani, 2002).

Les mécanismes de perception du risque ainsi que les modèles et théories parmi les plus influents de comportement de santé partagent la caractéristique d’adopter une optique individualiste. Les mécanismes de perception du risque sont l’objet d’une psychologie cognitiviste, laquelle s’intéresse aux conséquences des limitations de la pensée sur la perception du risque (Kahneman, Slovic, & Tversky, 1982). Le principal point d’achoppement des modèles de perception du risque tient dans l’explication de l’optimisme des individus induit par un traitement inefficace de l’information et à des déficits cognitifs. Cette perspective conçoit les individus comme des récepteurs passifs d’informations et comme étant intellectuellement déficients par rapport à la science. Les théories de comportements de santé se limitent, elles aussi, au niveau individuel et, de ce fait, ne permettent pas de concevoir le risque comme, selon les termes employés dans l’abstract de Joffe (2003) « une entité hautement sociale, émotive et symbolique ».

Le chapitre qui suit présente l’approche des représentations sociales (Moscovici, 1961) en tant qu’alternative à ces modèles dominants dans l’explication des perceptions du risque et des comportements de santé des individus. Si les théories de perception du risque et des comportements de santé sont l’apanage des branches cognitivistes de la psychologie, les représentations, elles, constituent un objet d’étude important de la psychologie sociale du sens commun (Moscovici, 2000). Les représentations sociales ont pour but de comprendre le processus de transformation de savoirs scientifiques en connaissances de sens commun. Ces dernières sont considérées comme autant légitimes que le savoir scientifique, puisqu’elles permettent aux individus « d’agir sur le monde et autrui » (Jodelet, 1989b, p. 61) en réduisant la complexité du savoir expert et en l’opérationnalisant. Je résumerai l’approche des représentations sociales et présenterai ses concepts centraux, pour ensuite expliquer en quoi elle s’avère être un outil pour l’étude des attitudes des individus envers les maladies, en général, puis plus particulièrement envers les maladies infectieuses émergentes.