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Chapitre II — Méthodologie

2.2. Lieux de recherche

2.2.1. Problèmes bureaucratiques, virtuels et accès aux espaces

Dans le cadre de ce terrain, le principal problème que j’ai rencontré était de déchiffrer l’appareillage bureaucrate que la loi 975 de 2005 a fabriqué. Le fait d’avoir choisi les tribunaux de Bogotá m’a permis de remarquer le désordre dans lequel les procès se sont retrouvés et la grande quantité d’information que recèlent ces dossiers. Lors de mon arrivée aux audiences, j’ai rencontré plusieurs obstacles générés par l’énorme éparpillement d’archives à l’intérieur de ce dispositif.

Tout d’abord, la tâche de suivre des audiences est très difficile, dépendamment du type d’audience à laquelle on assiste. Si c’est pour imputer des faits aux groupes armés en question, l’audience est ouverte. Dans le cas où c’est pour émettre une sentence, les audiences sont fermées au public. Bien sûr, nous pouvons retrouver l’information concernant les audiences qui se tiennent la journée même sur Internet, mais le problème est que le site de la Fiscalía, et de l’Unité de justice transitionnelle, n’est pas actualisé. Ainsi, il fallait se présenter aux tribunaux et demander quelles audiences allaient avoir lieu dans la journée. S’il s’agissait d’audiences portant sur une résolution

d’accusation ou une imputation de sentence, on ne pouvait malheureusement pas y participer si l’on n’était pas une des parties prenant part au théâtre juridique. D’un autre côté, on pouvait assister à des audiences de courte durée lorsque les postulés n’étaient pas disponibles ou qu’une autre raison, comme la maladie du paramilitaire, prolongeait l’audience pour un délai à long-terme — des mois pouvaient passer avant d’établir une autre opportunité de poursuivre avec le même dossier et le même groupe/bloc paramilitaire.

D’ailleurs, la quantité de blocs des AUC appartenant à plusieurs régions du pays à l’intérieur du tribunal de Bogotá m’a surpris. Pour mentionner seulement deux cas, j’ai eu l’opportunité de participer à des audiences ayant des groupes avec deux centres d’opération à des endroits complètement éloignés les uns des autres. Le Tribunal de justice et de paix à Bogotá, contrairement à mes présuppositions, ne faisait qu’aborder des cas venant des départements proches. En fait, tous les tribunaux recevaient des dossiers de différentes parties du pays. Si l’on ne connaît pas extrêmement bien cet appareil, on est désorienté aussitôt que l’on entre dans les audiences. Dans la salle 1, je pouvais suivre un groupe qui avait réalisé des opératifs dans le Magdalena Medio. D’un autre côté, en traversant dans la salle suivante, je pouvais aussi participer dans l’audience d’un groupe qui se retrouvait à l’extrême oriental du pays à l’intérieur du département d’Arauca100.

D’ailleurs, les chefs paramilitaires ayant été envoyés en extradition par le gouvernement Uribe ont eu la possibilité de continuer à participer au processus de Justice et de paix. Afin d’avoir un accès à ce type d’audience, la tâche était encore plus importante, car plusieurs des postulés ont simplement arrêté de rendre leurs versions libres ou de participer aux audiences virtuelles en raison des inconvénients et des obstacles qui ne leur permettaient pas de continuer leur collaboration avec les

100Le Magdalena medio se retrouve au centre de la Colombie et la région d’Arauca à l’Est. Il était

également possible d’observer l’activité de certains blocs de la côte atlantique ainsi que des régions plus au sud.

tribunaux colombiens101. Il faut dire que j’ai seulement eu l’opportunité de participer deux fois à une audience de ce genre. Lors de la première séance, où l’on avait commencé la connexion « skype »102 avec la prison des États-Unis, on mentionnait le fait que la représentante du postulé ne se retrouvait pas dans la salle et que le chef paramilitaire en question était malade.

L’audience en question est d’une importance majeure, car c’est la seule de tout mon terrain de recherche dans laquelle il y avait des victimes du groupe paramilitaire présentes et en grande quantité. Lorsque le magistrat a annoncé le prolongement de l’audience au mois suivant vu les circonstances, le mécontentement s’est fait ressentir dans la salle et la réaction de l’avocate défendant les victimes ne s’est pas fait attendre. La représentante des victimes présentes affirmait que ce n’était pas la première fois que l’avocate de l’autre partie ne se présentait pas et qu’il y avait eu à plusieurs reprises des manœuvres dilatoires au procès. Pour l’avocate des victimes, c’était un manque de respect envers la justice colombienne et surtout envers ses client-e-s.

À cet égard, des scénarios de ce type ont à la fois été rapportés par la littérature consultée et documentés dans les entrevues réalisées avec les acteurs qui se présentaient aux audiences (CNMH 2012). La problématique bureaucratique, dans le cas des extraditions, ralentissait déjà la vitesse. En effet, l’un des avocats d’un ancien chef paramilitaire m’avait mentionné le fait qu’il était très difficile d’accéder à ce genre de déclarations, notamment en raison des obstacles bureaucratiques internationaux entre le gouvernement des États-Unis et le gouvernement colombien.

101Les procédures bureaucratiques et les menaces de mort envers leur famille sont des obstacles

importants.

102Je le met en guillemets, car le logiciel était semblable, mais clairement il devait être un programme

2.2.2.La Fiscalía General de la Nación : le Bunker et l’Unité d’attention aux