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Chapitre I — Objectifs, problématique et cadre théorique

1.3. La justice transitionnelle

Le dispositif de contrôle par excellence utilisé pour résoudre des problématiques soulevées lors de périodes de confusion politique et sociale suite à une guerre ou de périodes de violence et de conflits est la justice transitionnelle. Elle est une forme de justice parallèle, un cas qui est présenté comme une exception de l’ordre pour réconcilier les parties et reconstruire le tissu social ayant été déchiré par les épisodes de violence qui se sont présentés dans un espace-temps. Ibañez Najar (2015) affirme que la justice transitionnelle est « un ensemble de processus désignés pour faire front aux violations de Droits Humains qui sont arrivées par le passé après des périodes de confusion politique, de répression étatique ou de conflit armé, des crimes de masse ou des violations incrémentées aux Droits Humains dans le contexte d’un conflit ou de répression politique » (Traduction libre – Ibañez Najar 2014 : 54) Elle doit aussi compter avec quatre objectifs précis pour le victimes : faire valoir le droit à la justice, à la vérité et à la réparation, et plus récemment, on parle aussi des garanties de non- répétition.

La justice transitionnelle est un outil du droit, jusqu’à tout récemment. En fait, les premières tentatives de jugement sur des crimes de masse ont fait suite aux évènements de la Deuxième Guerre Mondiale. Les premiers tribunaux ayant à réaliser une sorte de transition sociale ont été ceux de Nuremberg, dans lequel plusieurs criminels de guerre nazis ont été jugés. Par contre, les figures juridiques de Nuremberg et de Jérusalem — avec le procès d’Adolf Eichmann (Arendt 2016) — ne peuvent pas rentrer nécessairement comme étant des figures exemplaires de la justice transitionnelle. Le problème est dû aux différences contextuelles entre le totalitarisme nazi et les conflits contemporains.

La transition d’une société en conflit vers une société « en paix » n’est pas assujettie seulement à la figure des tribunaux, mais aussi à celle des commissions de la vérité.

Plusieurs exemples peuvent apparaître dans ce cas-ci, notamment les conflits de l’Irlande du Nord avec la Grande Bretagne et du Pérou avec la guérilla de Sentier Lumineux, qui sont des exemples des conditions de guerre civile, ou stasis. Cependant, les questionnements autour de ces commissions et de l’appareillage de la justice transitionnelle se sont faits entendre par le manque de vérité ou par l’impunité que certains individus ont obtenu. D’autres cas existent, comme celui de la guerre civile espagnole dans laquelle la dictature de Franco s’est imposée. Il y a eu une période dans laquelle la répression et la persécution politique ont marqué le quotidien. Suite à la mort de Franco, il y a eu un débat sur la pertinence de rouvrir les blessures du passé en faisant un acte de mémoire.

Les doutes se présentant autour de la question de la justice transitionnelle et les commissions de vérité sont importants à prendre en compte. En fait, l’axe politico- moral est souvent problématique dans le cadre de la justice transitionnelle. Les processus de punition, de pardon, de resocialisation et d’autres formes de réintégration des anciens combattants posent des questions importantes par rapport aux effets de ces appareils. Le fait d’éclairer certains évènements pouvant avoir comme conséquence l’exacerbation des ressentiments ou de faire éclater des nouvelles formes de violence est toujours présent (Lawther 2016). Le rôle de la justice transitionnelle, autre que l’officiel mentionné par Ibañez Najar (2014), c’est de questionner le négationnisme des évènements qui sont arrivés par le passé. Elle – la justice transitionnelle - expose la complicité et l’omission entre acteurs sociaux et étatiques à l’intérieur des épisodes de violence.

Les éléments mentionnés selon certains théoriciens de la justice transitionnelle comme Lawther (2016), Esikovits et Volpe Rotondi (2016) permettent aussi d’aborder des problématiques liées à la mémoire collective de la violence. Ces apports permettent de tenir compte de certaines questions importantes liées au temps et à l’expérience que les communautés peuvent avoir par rapport aux événements. Le fait que l’appareil de justice transitionnelle se donne pour rôle d’administrer la violence lui permet d’établir une administration du temps. La question de reconstruction de

ces récits et de ces mémoires peut être influencée par l’imposition d’un récit collectif dans une temporalité unique. En plus d’être issue de la violence, la justice transitionnelle peut en reproduire d’autres formes. Elle doit maintenir un ordre, elle produit et applique le droit, per se elle est benjamienne.

On peut retrouver à l’intérieur de l’appareil juridique de transition l’équation double de la violence du droit, où la première forme crée le droit et la deuxième le maintient comme institution et comme dispositif (Benjamin 2014). Le rapport entre la guerre civile, l’état d’exception et la justice transitionnelle est déjà visible sur le terrain colombien. J’ai déjà mentionné que la loi de Justice et de paix est un dispositif exceptionnel par le fait d’être de transition. Par contre, nous sommes dans le contexte de la guerre civile permanente et en même temps au milieu de la zone grise juridique de l’état d’exception. En ce sens, il est matériellement possible que le dispositif de justice transitionnelle ne soit plus une exception, mais bien une norme45.