dernières.
118. Pour autant, existe-t-il une véritable différence avec les règles applicables aux
organismes privés chargés d’une mission de service public ? On sait que ces organismes sont
en principe liés à leurs agents par des contrats de droit privé, y compris si l’agent est un
192 L. n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (JO n° 0115 du 18 mai 2011, p. 8537), articles 109 et 110.
193 D. n° 2013-292 du 5 avril 2013 relatif au régime de droit public applicable aux personnels des groupements d’intérêt public (JO n° 0082 du 7 avril 2013, texte n° 16).
194 Cf. Circ. n° RDFF1323112C du 17 septembre 2013 relative à la mise en œuvre du D. n° 2013-292 du 5 avril 2013 relatif au régime de droit public applicable aux personnels des groupements d’intérêt public.
fonctionnaire en position de détachement
195ou s’il est mis à disposition
196. En théorie, il serait
tout à fait envisageable que les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est-à-dire que le
législateur puisse prévoir des régimes d’exception applicables à ce type d’organisme. Il le fait
parfois, notamment pour les anciens monopoles nationaux, cependant, en pratique, dans la
grande majorité des cas, les seules règles du droit privé sont applicables aux personnels de ce
type d’organisme. Dès lors, il y a bien une spécificité de la situation des prestataires publics de
service marchand dont la gestion des ressources humaines connaît deux limites principales : un
manque d’attractivité d’autant plus problématique que les besoins en recrutement seront de plus
en plus forts dans les années à venir (1) et un déficit de performance (2).
1. La question de l’attractivité
119. Un enjeu fort de la gestion des ressources humaines est la politique de recrutement qui
doit non seulement être adaptée au besoin réel de l’entreprise mais aussi permettre d’attirer les
meilleurs talents et compétences.
120. La France, à l’instar de nombreux États
197, est en passe d’être confrontée à une
problématique de recrutement particulièrement forte dans les années qui viennent dans la
mesure où les collectivités publiques connaissent de nombreux départs dont il faudra assurer le
remplacement : il y a donc nécessité pour ces collectivités « d’offrir des carrières attractives
pour attirer vers elles des candidats de qualité »
198.
195 Cf. not. TC 24 juin 1996, n° 03031, Préfet du Lot-et-Garonne.
196 Cf. not. TC 10 mars 1997, n° 03065, Préfet de la région Alsace. Il faut noter, toutefois, l’exception constituée par les enseignants des établissements privés sous contrat, qui sont désormais uniquement des agents de droit public et ne sont plus également liés par un contrat de droit privé avec l’établissement privé employeur : L. n° 2005-5 du 5 janvier 2005 relative à la situation des maîtres des établissements d'enseignement privé sous contrat (JO n° 4 du 6 janvier 2005, p. 272).
197 M. Jean-Ludovic Silicani prend ainsi l’exemple du Canada où « depuis le début des années 1990, la fonction publique a été confrontée à des changements importants. Dès 1994, en effet, le gouvernement canadien a décidé de faire de la réduction du nombre des agents publics l’un des leviers du rétablissement de l’équilibre des finances publiques. À partir de 1997, des programmes de départ volontaire ont été mis en œuvre, ce qui a abouti à la suppression d’environ 60 000 postes dans la fonction publique fédérale, soit 16 % des effectifs. Un gel des salaires a également été mis en place, ce qui a entrainé le décrochage des rémunérations des agents publics par rapport à celles du secteur privé. Si cette politique a permis le retour à l’équilibre budgétaire et contribué au dynamisme du taux de croissance canadien, il a eu pour conséquences néfastes une perte de compétences dans le secteur public du fait des réductions d’effectifs, une forte diminution de l’attractivité de la fonction publique en raison notamment de la dégradation des conditions de rémunération et une certaine démotivation des fonctionnaires liée au ternissement de l’image de la fonction publique » (J.-L. Silicani, Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique, La doc. fr., 2008, p. 44).
198 B. Pêcheur, La fonction publique, Rapport au Premier ministre, 2013, Paris, La doc. fr., p. 3. Ainsi « les besoins de recrutement sont […] importants : en 2011 près de 22 000 agents ont été recrutés dans la fonction publique de l’État (dont plus de 14000 dans l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche et 2000 au ministère de la justice) ; la même année la fonction publique territoriale a recruté près de 36 500 agents et la fonction publique
121. Cet enjeu est rendu d’autant plus épineux qu’il doit être concilié avec les difficultés
budgétaires que connaît l’ensemble des personnes publiques. C’est la raison pour laquelle, un
équilibre subtil doit être trouvé entre la préservation d’un effectif adapté à la poursuite des
missions de service public que mettent en œuvre les personnes publiques et la « stabilisation »
des dépenses du personnel dont la Cour des comptes a récemment fait recommandation
199.
122. Au-delà du contexte budgétaire difficile, les contraintes sont nombreuses pour les
personnes publiques, notamment concernant le régime de la fonction publique – bien que de
nombreux personnels de droit privé soient soumis à des statuts ou des conventions collectives
assez comparables –. Tout d’abord, les procédures de recrutement font l’objet de critiques
sévères : ainsi « le critère du niveau de recrutement académique est très souvent jugé à la fois
réducteur (il a détourné les administrations d’une analyse plus fine des fonctions, de leurs
évolutions et des compétences attendues), inflationniste (il a poussé à un relèvement du niveau
de diplôme exigé des flux de recrutement) et inéquitable (les mêmes exigences de diplôme ne
sont pas requises pour les agents en fonction, pourtant eux-mêmes revalorisés à l’occasion du
relèvement des exigences de diplôme aux concours d’entrée) »
200. De la même manière, la
carrière dans la fonction publique apparaît cloisonnée. Ces critiques sont toutefois exagérées.
En effet, le législateur a multiplié depuis une vingtaine d’années les réformes pour
« décloisonner » les carrières. La logique de corps a ainsi été progressivement assouplie, tant
par la mise en œuvre d’une politique de fusion, que par la création de corps interministériels à
gestion ministérielle
201. Cependant, la « perte de sens » de la fonction publique est une réalité
qui tient tant à « la succession des modes managériales, des schémas, des plans, des politiques,
globales ou non, qui se proposent (contrairement aux schémas, plans, ou politiques précédents
...) de réformer, réviser, restructurer, moderniser », qu’à « la progressive perte de sens du
classement en catégorie »
202. Le problème se pose ainsi du système de classification fondé sur
hospitalière environ 20 000 agents. Les armées, de leur côté, malgré la déflation des effectifs, ont recruté en 2012 près de 12 000 militaires du rang et volontaires et plus de 3000 sous-officiers et officiers [et] dans les dix prochaines les collectivités publiques devront chaque année remplacer plusieurs dizaines de milliers d’agents, tous statuts confondus » (ibid., p. 61).
199 Cour des comptes, Les finances publiques locales, Rapport public thématique, p. 134 : dans sa septième recommandation, la Cour des comptes conseille, concernant le « bloc communal », de procéder à « des réductions d’effectif, une pause des mesures de revalorisation indemnitaire, une meilleure maîtrise des déroulements de carrière et le respect de la durée légale du travail ».
200 B. Pêcheur, La fonction publique, préc., p. 39.
201 Cf. supra n° 111.
le diplôme qui fait l’objet de critiques
203et du niveau de responsabilité qui n’est pas forcément
en lien avec la fonction
204. Un autre problème d’attractivité réside dans la barrière qui sépare le
monde de l’emploi public de celui de l’emploi privé : est ainsi vécue comme un frein
l’interdiction faite aux agents, ayant temporairement ou définitivement cessé leur fonction,
d’exercer des activités professionnelles ou lucratives dans les entreprises publiques qu’ils
surveillaient ou contrôlaient lorsque ces entreprises exercent leurs activités dans un secteur
concurrentiel et conformément au droit privé, bien que le délai de cette interdiction ait été
raccourci de cinq à trois ans
205. Plus largement, il paraît nécessaire « dans la durée, de répondre
aux aspirations des fonctionnaires […] et d’offrir des parcours professionnels diversifiés et
plus ouverts vers l’extérieur. Il s’agit là d’un enjeu de motivation et d’une garantie
d’attractivité de la fonction publique »
206.
123. Les difficultés que connaît la fonction publique ont un impact sur l’ensemble de l’emploi
public. L’opinion s’est ainsi forgée sur une triple représentation : d’une part, l’emploi public
serait synonyme de «"vitrine sociale", ce que permettait précisément le statut d'EPIC, statut
d'exception, assorti d'un statut du personnel dérogeant largement au droit commun du
travail »
207; d’autre part, l’emploi public empêcherait de « faire carrière » ; enfin, l’emploi
public offrirait des rémunérations inférieures à celles du secteur privé.
124. Si ces critiques puisent leurs sources dans des faits palpables, il convient toutefois d’en
relativiser la teneur. Au fond, les objectifs et les missions-mêmes des personnes publiques,
n’étant pas identiques à ceux des personnes privées, expliquent ces différences. Autrement dit,
les perspectives de carrière et les niveaux de rémunération particuliers ne seront jamais les
mêmes sans pour autant être ni avantageux, ni désavantageux. Dès lors, la concurrence pour
203 Ibid., p. 38 : « certaines organisations syndicales relèvent que la classification des corps et cadres ne correspond pas à la réalité des diplômes effectivement détenus par les agents, dont beaucoup sont ‘‘surdiplômés’’, et tirent un argument en faveur d’un relèvement du niveau indiciaire du corps ».
204Ibid., p. 38 et s.
205 D. n° 2007-611 du 26 avril 2007 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires ou agents non titulaires ayant cessé temporairement ou définitivement leurs fonctions et à la commission de déontologie ; art. 1 (JO n° 99 du 27 avril 2007, p. 7505). Comp. D. n° 95-168 du 17 février 1995 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires placés en disponibilité ou ayant cessé définitivement leurs fonctions et aux commissions instituées par l'article 4 de la loi n° 94-530 du 28 juin 1994 (JO n° 43 du 19 février 1995, p. 2717). Pour une application jurisprudentielle : cf. not., CE, Ass., 6 déc. 1996, Sté Lambda : Rec. 466, concl. Piveteau ; GAJA 19ème
éd., n° 97 ; RFDA 1997.173, concl. ; AJDA 1997.152, chron. Chauvaux et Girardot ; D. 1997.57, note Dobkine ; JCP 1997.II.22752, note Hérisson ; RA 1997.27, note Lemoyne de Forges, et 155, note Degoffe ; RD pub. 1997.567, note J.-M. Auby.
206 B. Pêcheur, La fonction publique, préc., p. 60 et s.