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TITRE I : La mainmise des Michau de Montaran sur la trésorerie des États de Bretagne

Section 2 Une prise de contrôle en trois étapes en octobre

Les procès-verbaux des États de Bretagne réunis à Saint-Brieuc pour l’année 168717 se révèlent instructifs des modalités de prise de contrôle de la trésorerie des États de Bretagne par Jacques Michau de Montaran.

En rétablissant la chronologie des événements que le registre des procès-verbaux ne respecta pas, il est possible d’établir trois étapes successives.

Le 21 octobre, Nicolas Le Varlet, adjudicataire des grands et petits devoirs présenta ses cautions après l’adjudication de la ferme. Étaient cautions solidaires : Jacques Michau, sieur de Montaran, Claude Revol, Nicolas Ballet, François de La Pierre, Guillaume Le Bartz en son nom et en celui de Simon Berthelot, François de Favry, René du Rocher, Luc Doudart, Jacques Gicquel, Lubain Petit. Parmi les onze sociétaires, cinq appartenaient à l’entourage familial et professionnel de Jacques Michau : Revol, Ballet, Gicquel, Le Bartz.

Le 23 octobre 1687 : les États de Bretagne enregistrèrent la démission de Guillaume d’Harouys. Le jour même, René Le Prestre de Lézonnet – le gendre de Jacques Michau, devint le nouveau trésorier, à condition de présenter un cautionnement.

Le 30 octobre 1687, soit 7 jours plus tard, René Le Prestre présenta sa caution devant deux notaires rennais, Berthelot et Bretin : l’unique caution était Jacques Michau de Montaran. L’acte fut dressé « dans l’hostel dudit seigneur de Lézonnet » à Rennes alors que les membres des États étaient « absents ». Ce qui est intéressant, dans le cas présent est que la procédure montre que Jacques Michau a avancé masqué : il se porta caution solidaire avec René Le Prestre de Lézonnet et devint en fait le véritable trésorier de la province puisqu’il en était le responsable. D’ailleurs, le procès-verbal n’en fit pas mystère puisque c’est son domicile qui servait d’adresse en cas de conflit avec les États.

S’ouvrit alors une période de 33 années marquée par la présence des Michau de Montaran à la tête de la trésorerie des États de Bretagne. Les années qui suivirent

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l’arrivée de René Le Prestre à la trésorerie des États confirmèrent l’usage du prête-nom par Jacques Michau et conduisirent à lui accorder la qualité de trésorier des États de Bretagne : François-Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois dans son Dictionnaire

de la noblesse, contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France lui octroya cette qualité18. Daniel Dessert le présenta comme « l’homme d’affaires » des États de Bretagne19.

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François-Alexandre Aubert de LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire de la noblesse,

contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Publié par

Vve Duchesne, 1775, p. 117. 19

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Section 3 : René Le Prestre, un prête-nom pour Jacques puis Jean-Jacques Michau ?

L’association Michau-Le Prestre fut confirmée par plusieurs documents présents dans les archives de la Chambre des comptes de Nantes et dans celles de la trésorerie des États de Bretagne. Plusieurs actes mentionnent l’existence de procurations de René Le Prestre de Lézonnet envers Jean-Jacques Michau et Claude Revol, ses deux beaux- frères.

Le 9 novembre 1691, René Le Prestre de Lézonnet par devant notaire « a fait et constitué son procureur général et spécial Messire Jean-Jacques Michau […] auquel il a donné pouvoir pour lui et en son nom faire auprès du Roy et de nos seigneurs des ministres toutes les fonctions et exercices de ladite trésorerie des estats de Bretagne »20.

L’intérêt du document en date du 9 novembre 1691 est décuplé par la qualité donnée à Jean-Jacques Michau de Montaran. À cette date, Jean-Jacques avait 23 ans et était titulaire de l’office de « conseiller du roi en son grand Conseil » : il fut « receu en survivance dans la charge de trésorier desdits estats de Bretagne ». Bien qu’élective, la charge de trésorier des États était marquée par des successions « arrangées » : leur détenteur pouvait coopter un successeur pressenti. Guillaume d’Harouys avait transmis sa charge à son fils dès 168121 mais sa faillite en 1687 mit un terme à cette « succession ».

Le mercredi 26 septembre 1691, la survivance de la charge de trésorier fut octroyée par l’assemblée des trois ordres des États22. La copie de l’acte de survivance23 fit mention des motifs : « Monsieur de Lézonnet, trézorier des états étoit obligé de demeurer en province pour l’exercice de ladite charge quoy que les fonctions de ladite trésorerie, lesquelles se doivent présentement faire dans la ville de Paris, ayant augmenté considérablement tant pour le paiment du don gratuit que des arrérages des tous les contracts, emprunts, ce qui obligeoit monsieur de Lézonnet a suplier très

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A.D. 44, B 3213, acte en date du 10 janvier 1692 qui était une copie de l’acte du 9 novembre 1691.

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Armand REBILLON, Ibid., p. 147. A.D . 35, C 3356 : la survivance fut accordée au fils de Guillaume d’Harouys le 11 septembre 1687.

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A.D. 35, C2660, folio 100. 23

A.D. 35, C 3356 : copie de la survivance de la charge de trésorier de Lézonnet à Michau de Montaran en date du mercredi 26 septembre 1691.

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humblement messieurs des états d’accorder leur survivance de la charge de leur trésorier à monsieur de Montaran fils conseiller au grand conseil affin que cella pu l’authoriser à faire une partie des fonctions de ladite charge à Paris pendant que ledit sieur de Lézonnet continuoit de travailler dans la province pour leurs affaires des messieurs des états ».

Dans le texte de la procuration, le verbe « substitué » souligne bien la procuration complète donnée par le trésorier en titre à son beau-frère24. La procuration mentionnait les missions que devait remplir le « procureur général et spécial », à savoir : « payer au trésor royal le don gratuit accordé à Sa majesté aux derniers États tenus à Rennes et les rentes des contrats de constitution deues par lesdits estats et autres sommes portées par l’état du fonds et fait arresté par lesdits estats dans leur dette dernière assembléé aussi de la manière qu’il est porté par icelui, retirer toutes les quittances desdits payements en bonne et deue forme faire par ledit Sieur procureur tout ce qui sera requis et nécessaire pour lesdites estats en exécution des arrests rendus à leur proffit pour ce qui regarde les dettes et affaires de monsieur de Harouys ci devant leur trésorier ».

Caissier des États, Jean-Jacques Michau était aussi banquier puisqu’il était autorisé à « faire tous leurs emprunts et concessions de contrats » et à « faire dans ladite ville de Paris en toutes les affaires desdits estats de quelque nature et qualité quelle soient tout ce qui est du ministère dudit sieur constituant pour ce qui regarde la dite trésorerie et ce qu’il feroit ou pourroit faire ».

Enfin, un acte en date du 26 mars 1696, à l’occasion d’un prêt du seigneur de Valincourt aux États, confirma cette procuration en mentionnant une nouvelle « substitution » du Trésorier au profit de Jean-Jacques Michauet de Claude Revol par acte en date du 18 janvier 1696 passé à Paris devant notaire au Châtelet25. Dès lors, les deux procureurs généraux et spéciaux de René Le Prestre de Lézonnet étaient ces deux beaux-frères. Jean-Jacques Michau de Montaranétait épaulé à Paris par son beau-frère,

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A.D. 44, B 3213 : la procuration comporte l’expression suivante : « Comme aussi le dit sieur constituant a substitué ledit sieur procureur dans pour l’effet et exécution en la procuration donnée par lesdits états audit seigneur de Lézonnet dans leur dernière assemblée à Rennes le 27 septembre dernier ». On ne saurait être plus clair.

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A.D. 44, B 3213, acte en date du 26 mars 1696. Il s’agit de Jean-Henry du Trousset, sieur de Valincourt, secrétaire général de la Marine.

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un homme expérimenté qui gravitait dans les fermes depuis les années 166026 et dont la famille était proche des Pontchartrain depuis la fin du XVIe siècle.

Jean-Jacques Michau jouissait donc de toutes les prérogatives du trésorier des États de Bretagne : il avait « carte blanche » pour agir car il était le représentant de René Le Prestre comme « s’il y étoit présent en personne ». René résidait en Bretagne et Jean- Jacques à Paris. La présence de bureaux parisiens était ancienne, Guillaume d’Harouys faisait des séjours à Paris comme en témoignait l’existence de quittances établies dans cette ville27 et les États de Bretagne entretenaient une présence parisienne, à travers l’envoi des députés de Cour qui siégeaient entre les sessions28. Le mémoire du trésorier Montaran en 1717 confirma dans son état de frais, la présence de bureaux parisiens, rennais, nantais et morlaisiens29. C’est à Paris que le trésorier pouvait activer ses réseaux et trouver des investisseurs. René ne disait pas autre chose lorsqu’il demanda que la charge passa en survivance à son beau-frère. Près de la Cour, le trésorier était au contact du pouvoir et des réseaux financiers. Cette mission parisienne de Jean-Jacques Michau l’inscrivait pleinement dans le rôle de trésorier des États de Bretagne. Dès lors, lorsque le 30 décembre 1699, ce dernier –ayant acquis une charge de président à mortier au Parlement de Bretagne- démissionna de son office de trésorier et transmit la charge à Jean-Jacques, l’acte fut une simple formalité30. Enfin, Claude Revol se porta caution pour Jean-JacquesMichau de Montaran, témoignant d’une solidarité familiale31. L’acte de survivance pouvait souligner que René n’était qu’un prête-nom.

Curieusement, Jacques Michau n’apparaît pas dans les actes susmentionnés alors qu’il mourut le 10 septembre 1699, 12 années après la prise de contrôle de la trésorerie des États. Néanmoins, il était présent comme en témoigna un mémoire rédigé par les États de Bretagne à destination du roi en 1723 demandant une révision générale de la

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Daniel DESSERT, Ibid., p. 75 et 718 (note 20). Daniel Dessert donna la date de 1680 comme celle de l’entrée de Revol dans la province de Bretagne comme receveur du taillon. Claude Revol fut dans les années 1660 le prête- nom d’Adrien Bence, fermier général.

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A.D. 35, C 5869, quittance en date du 14 mai 1664 relative au premier quartier de la ferme des devoirs des évêchés de Saint-Malo et de Dol.

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Armand REBILLON, Ibid., p. 160 29

Armand REBILLON, Ibid., p. 150 qui renvoie à A.N. H 225, Mémoire du trésorier Montaran folio 107 à 111.

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A.D.35, C 2660, folio 596. 31

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comptabilité de René Le Prestre. Accusant leur ancien trésorier d’anatocisme32, les députés des États écrivaient : « À l’égard des intérets de ses avances, les suppliants sont obligés de dire (ce qui est de notoriété publique) que le sieur de Lézonnet aidé de sa bonne conduite et du grand crédit du sieur de Montaran, son beau-père, puisoit à son gré dans les bourses de la province et que pendant que les états luy payoient du denier 14, il avoit tout l’argent qu’il vouloit au denier 25 et 30 et souvent pour deux ou trois ans sans intérest ». Si René était le trésorier, Jacques Michau n’était pas très loin toutefois et participait activement au fonctionnement de la Trésorerie.

Dès lors, le rôle de Jacques Michau consistait à drainer l’épargne en direction de la trésorerie grâce à son crédit tout en jouant sur les taux d’intérêts. René Le Prestre assumait lui la fonction de trésorier et le titre. De la prise de contrôle de la trésorerie en 1687 à la démission de Jean-Jacques Michau en 1720, la trésorerie des États de Bretagne fut donc plus que jamais une affaire de famille.

Pour accéder à la trésorerie, l’aptitude à drainer l’épargne était essentielle ; toutefois, il fallait remplir d’autres conditions : obtenir l’accord des États et recevoir l’approbation du pouvoir royal puisque le trésorier négociait avec le contrôleur général des finances. En Bourgogne, Katia Béguin montra comment le duc de Condé intervient dans la succession du trésorier des États de Bourgogne en 1684. Antoine Chartraire accéda à la prestigieuse fonction de trésorier avec le soutien de Condé33.

Mais que sait-on des soutiens qui permirent à Jacques Michau de prendre le contrôle de la trésorerie des États ?

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Claude Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, contenant l’explication

des termes de droit, d’ordonnances, de coutumes et pratiques, volume 1, 1779, p. 84.

L’anatocisme est « la conversion des arrérages en principal, ce qui n’est pas permis. La raison est qu’on ne peut pas exiger des intérêts d’intérêts ».

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