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Le vocabulaire employé pour caractériser « l’écosystème sociopolitique louis- quatorzien »149 oscille entre compromis, collaboration, coopération, accommodement… Pour autant, ces termes sont-ils synonymes ?

Empruntés à la sphère juridique, le compromis suppose des parties égales qui requièrent l’arbitrage d’un tiers pour régler un litige150 et l’accommodement se dit de

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Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, volume 2, édition de Charles Dreyss, 1860, Didier p. 109.

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Darryl DEE, Ibid., p. 8-9. 147

Marie-Laure LEGAY, Ibid., p. 202. 148

Joël CORNETTE, « La tente de Darius », in Henry MECHOULAN et Joël CORNETTE,

L’État classique, 1652-1715, Vrin, 1996, p. 39.

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l’accord que l’on donne à la fin d’un procès et de l’accord à l’amiable qui clôt la négociation afin de rétablir un bon ordre. Quant à la collaboration, elle s’inscrit davantage dans une action de coopération et ne présuppose pas l’égalité entre les partenaires.

Y eut-il égalité entre états provinciaux et État ? Quel fut le tiers dans les relations entre états provinciaux et pouvoir royal ? Les financiers jouèrent-ils ce rôle ? Vers un dépassement de l’opposition coercition- compromis ?

L’étude de Darryl Dee consacrée à l’intégration de Franche-Comté dans le royaume de France proposa de dépasser l’opposition schématique compromis- coercition. Tout d’abord, Darryl Dee mit en évidence « l’opportunisme pragmatique »151 de Louis XIV dans sa conquête. Le roi allia conservation et renouvellement institutionnel : il rétablit le Parlement tout en restreignant ses prérogatives et en le noyautant par de fidèles serviteurs de la monarchie. En revanche, il supprima les États comtois dont la résistance à l’autorité des Habsbourg avait conduit ces derniers à les mettre en sommeil depuis 1661. Ainsi, le roi s’assura la mainmise sur le système fiscal qui passa sous le contrôle de l’intendant de la province et qu’il rénova en profondeur en modifiant l’assiette de l’impôt. Le roi maintint donc les institutions comtoises quand elles n’étaient pas « incompatibles avec l’autorité royale »152. Car quoique le roi sanctionnât le refus d’obéissance, il récompensa aussi la collaboration. En dix années, les élites comtoises changèrent de culture politique : elles perdirent en prétentions autonomistes, elles gagnèrent un nouvel ordre politique et social qui leur donna le rôle d’intermédiaire financier (via la vénalité des offices introduit en 1692) et qui les récompensa de leur fidélité. Le roi poussa le système aux limites - création de nouvelles taxes, expédients fiscaux - qui contribuèrent, selon Darryl Dee, à redistribuer les cartes politiques. Toutefois, la guerre de Succession d’Espagne et les efforts financiers qu’elle supposa conduisirent le roi à abandonner la collaboration à travers le renforcement de l’exploitation financière de la province à partir de 1706. Les exigences fiscales croissantes de Louis XIV ne conduisirent pas comme sous Louis XIII à des rébellions. 150

Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel, tome 1. Article « compromis ». Furetière définit le compromis comme « un traité par lequel on donne pouvoir à des arbitres de juger des procès ou d’autres différents ».

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Darryl DEE, Ibid., p. 171. 152

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Darryl Dee expliqua la « résilience et la stabilité »153 du système politique par l’alliance de la fermeté de ton et de l’adaptabilité des agents royaux qui disposaient d’une bonne connaissance de la province, profitaient des divisions entre élites et disposaient du soutien sans faille de familles de clients-collaborateurs tels les Boisot. L’idée maîtresse de Darryl Dee fut de montrer que dans la relation entre le pouvoir et les élites locales, Louis XIV l’emporta, les intérêts de l’État passant avant ceux de ses sujets, la reconnaissance de l’autorité et de la souveraineté du roi étant un préalable à une collaboration. Les rapports de pouvoir entre le roi et les élites furent d’abord construits sur des fondations « autoritaires ». La seconde moitié du règne fut marquée par un durcissement de l’absolutisme : la collaboration n’était plus qu’un lointain souvenir pour la majorité des élites comtoises, remplacée par une exploitation royale forcenée. Seule une minorité de l’élite – qui était indéfectiblement fidèle au pouvoir et/ou qui assura le maintien de l’ordre dans la province– fut favorisée : la fin du règne de Louis XIV créa au sein de l’élite des fractures, dont les successeurs du Grand Roi héritèrent durablement.

Julian Swann essaya lui aussi de proposer une autre voie que le seul schéma opposition – coopération. Il appliqua le concept de « culture juridique des relations publiques » définies comme « une série de règles et de conventions non écrites par lesquelles les relations entre le gouvernement, les parlements, les états provinciaux et les autres grands corps furent organisés, y compris les rituels, langages et stratégies du pouvoir en même temps que leurs expressions formelles telles que les remontrances ou lits de justice »154.

Les états, relais de la monarchie en province et éléments de la centralisation en province ?

Centrés sur le XVIIIe siècle et affichant la volonté de sortir de l’opposition schématique autonomie-centralisation en rejetant l’idée de conflit entre les états et le pouvoir royal, les travaux de Marie-Laure Legay consacrés au XVIIIe siècle ont mis en

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Darryl DEE, Ibid., p. 175. 154

Julian SWANN, « Coopération, opposition ou autonomie ? Le Parlement de Dijon, les États de Bourgogne et Louis XIV », in Gauthier AUBERT, Olivier CHALINE, Les Parlements de

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évidence la participation des états provinciaux à la construction de l’État moderne. La monarchie parvint à les intégrer et à en faire au XVIIIe siècle des acteurs de la politique royale en province via le Bureau des états installé au Contrôle général en 1723155. Les états sortirent renforcés via des transferts de compétences, confortant l’idée de régénération développée notamment par Mark Potter et Julian Swann. Le travail de Marie-Laure Legay a souligné le cœur de la relation entre le pouvoir et les états à savoir, les relations financières et « la confusion »156 entre les caisses provinciales et les caisses royales au XVIIIe siècle. Le pouvoir s’appuyait sur le crédit des assemblées des pays d’états : la Bretagne comme les autres pays d’états fut sollicitée157 bien que les États bretons refusassent « toute ingérence du gouvernement dans les finances provinciales », ce qui constitua, selon l’historienne, « un cas particulier »158.

Ainsi, depuis 30 années, les études régionales consacrées à l’exercice du pouvoir royal et aux rapports entre les élites régionales et la couronne dans les pays d’états renouvelèrent et enrichirent considérablement la perception de la monarchie dite absolue. Le concept de compromis développé par William Beik et James Collins dans la décennie des années 80 a été confirmé par des travaux plus récents sur les pays d’états, en Bourgogne avec Julian Swann et Mark Potter, en Artois avec Marie-Laure Legay. Tout en défendant les intérêts des élites provinciales, les assemblées locales contribuèrent à la mise en œuvre de la politique royale. Ainsi, à un pouvoir coercitif, se substitua un pouvoir central collaborant avec les élites locales. Le cœur de la relation entre les élites et le pouvoir était constitué par les questions financières. Moyennant la satisfaction des besoins financiers de la monarchie, le pouvoir royal laissait les états gérer leurs finances et leur fiscalité pour le plus grand profit des élites provinciales.

Cependant, des nuances sont apparues dans cette vision d’un compromis. Des nuances régionales, tout d’abord, Darryl Dee souligna la flexibilité du pouvoir royal, son adaptabilité à la conjoncture et aux situations locales, prenant en compte les acteurs locaux et leur influence : les États francs-comtois furent supprimés. Nuances chronologiques ensuite, puisque la conjoncture internationale pesa sur les finances et sur le dialogue avec les élites. La seconde moitié du règne de Louis XIV a même été

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Marie-Laure LEGAY, Ibid., p. 516. 156

Marie-Laure LEGAY, Ibid., p. 343. 157

Marie-Laure LEGAY, Ibid., p. 343. La province de Bretagne a emprunté 42 millions de livres entre 1740 et 1789 et 40 millions pour le rachat des droits domaniaux en 1759.

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marquée selon Darryl Dee par un abandon de la collaboration au profit d’un pouvoir autoritaire, la guerre de Succession d’Espagne ayant mis à l’épreuve le système fisco- financier tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle provinciale. Ainsi, les stratégies royales ont été marquées par la collaboration et/ou la force, le pouvoir combinant à la fois la force pour affirmer son autorité et la finesse des relations interpersonnelles, des réseaux que servait l’usage des pensions et gratifications. Toutefois, les historiens ont appréhendé de manière divergente les dynamiques à l’œuvre : pour Mark Potter et Julian Swann, ce qui domina c’est la continuité, pour James Collins, Sarah Chapman, Darryl Dee et Marie-Laure Legay, la monarchie évolua au tournant du siècle.

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Le système fisco-financier breton, expression d’un compromis à la