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monarchie au Grand siècle ?

Section 2 Un banquier intéressé dans les fermes de Bretagne et d’ailleurs

Les archives notariées et un premier examen des procès-verbaux des États de Bretagne pour les années 1679-1687 mettent en évidence l’intérêt de Jacques Michau pour les fermes et les affaires de finances. Cet intérêt s’inscrivait dans le fonctionnement du marché de l’argent sous l’Ancien Régime.

Les profits dégagés des activités bancaires pouvaient alimenter des prises de participations dans les fermes seigneuriales et dans les fermes d’impôts, des États et de l’État royal. Certaines participations s’inscrivaient dans le complexe « militaro- industriel » mis en place sous Colbert à travers l’exploitation de forêts et de prise d’intérêts dans des forges, témoignant là encore d’un homme au fait de la conjoncture et des opportunités économiques du moment.

I/ Jacques Michau, fermier des temporels d’évêchés bretons

Au-delà des fermes des devoirs dans lesquelles Jacques Michau œuvrait depuis les années 1650, Jacques Michau participait activement à d’autres fermes celles des temporels d’évêchés. Ainsi, en 1686, Jacques Michau était fermier du temporel de l’évêché de Rennes – sous le nom de Le Masson193 - en association avec les fermiers des grands et petits devoirs des États de Bretagne. D’autres actes des années 1664 et 1664 signalent l’intérêt de Barthélémy Ferret dans le temporel de l’évêché de Saint- Malo194.

Quelques hypothèses peuvent être posées sur la présence des fermiers des devoirs au sein de fermes des temporels d’évêché.

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Nous ne développerons pas l’intérêt de Jacques Michau pour les fermes des devoirs des États de Bretagne (Voir la partie II).

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Il s’agit de Gilles Le Masson, un associé de Jacques puis de Jean-Jacques Michau. Il fut caissier des Montaran et condamné par la Chambre de justice de 1716. (Voir la partie III) 194

A.D.35, 4 E 637, notaire Gohier, acte du 20 juin 1663 et A.D.35, 4 E 646, notaire Gohier, acte en date du 3 septembre 1664. Ces deux actes concernaient les fermes des droits de l’évêché de Saint-Malo dans l’étendue de l’archidiaconé de Porhoët. De 1663 à 1665, Barthélémy Ferret fut fermier du temporel moyennant la somme de 45 000 livres. Les deux actes ne mentionnaient pas des livraisons en nature aux ecclésiastiques.

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Tout d’abord, la prise d’intérêt dans les fermes des évêchés était une suite logique des activités financières de Jacques Michau. Parce que les dîmes étaient quérables (c'est-à-dire qu’elles étaient prélevées par le décimateur directement dans le champ et en nature), les ecclésiastiques préféraient déléguer la mission à des intermédiaires chargés de la collecte pour éviter de se constituer un réseau de collecteurs. À l’issue d’enchères, un bail était établi qui octroyait à un fermier le droit de prélever dîmes (et autres droits afférents, lods et ventes par exemple) contre une somme d’argent et, parfois, une livraison de grains au décimateur. Michel Nassiet souligna l’engouement pour les fermes des dîmes en Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles auprès de la moyenne noblesse et des bourgeois enrichis : dans une conjoncture favorable, le fermier disposait des surplus de grains qu’il pouvait commercialiser ou stocker en attendant des jours meilleurs. Pour assurer une telle mission, il lui fallait disposer d’un réseau de batteurs, de charrois pour transporter les récoltes et enfin d’entrepôts pour stocker les grains et autres productions. Un deuxième élément pourrait également entrer en ligne de compte : les activités commerciales générées par les surplus dégagés pouvaient s’inscrire dans des circuits commerciaux intégrant le commerce du vin et, plus largement, des boissons car les récoltes ne se limitaient pas aux grains mais intégraient une part de l’ensemble des produits récoltés. Dès lors, un fermier des devoirs – qui faisait commerce du vin, du cidre, de l’eau-de-vie - pouvait s’approvisionner directement à la source et éviter, par conséquent, des intermédiaires pouvant grever son prix de revient tout en limitant l’impact de la fiscalité des devoirs et des octrois en évitant des droits d’octroi195. Néanmoins, l’entreprise était périlleuse, soumise aux aléas climatiques : quelles que fussent les conditions, la récolte, le prix des céréales, il fallait acquitter les montants dus aux ecclésiastiques196.

Ainsi, le fonctionnement des fermes des dîmes s’inscrivait pleinement dans un système de délégation de service, comparable à celui de la monarchie, en évitant aux évêchés d’employer une main d’œuvre nombreuse. Des entrepreneurs comme Jacques Michau et Barthélémy Ferret trouvaient intérêt dans de telles affaires : ils pouvaient

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Nous posons l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’activités juxtaposées mais d’activités en lien les unes avec les autres, en un mot, d’un système patiemment construit permettant de réaliser des économies d’échelle et de construire un quadrillage de la province de Bretagne.

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Michel NASSIET, Noblesse et pauvreté, la petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIIe siècle,

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accroître leur emprise sur les différentes échelles du système fisco-financier, « du village à la province » grâce à leur réseau de collecteurs déjà en place tout en diversifiant leurs sources de revenus. Enfin, ces fermes permettaient de nouer de nouvelles relations qui permettaient aux associés d’être informés de la conjoncture : des blés rares étaient des blés chers. Etre en capacité de stocker des céréales pouvait permettre de substantiels bénéfices en cas de disette197.

Jouant sur une large gamme de placements, Jacques Michau était un financier polyvalent dont les affaires dépassaient le cadre de la seule province de Bretagne.

II/ Jacques Michau, exploitant forestier

Jacques Michau était intéressé dans les forêts et forges du prince de Condé en Berry. Deux actes rennais mentionnent l’affaire qui opposa Jacques Michau et Barthélémy Ferret à leurs associés, Charles Le Beauveau, Christophe-Auguste Porlier et René Saget.

Le 26 janvier 1675, Michau et Ferret envoyèrent leur procureur René Langle dans la province de Berry pour contraindre Beauveau, Porlier198 et Saget199 d’acquitter les sommes dues en vertu des dix fermes conclues en 1672 et 1674. Ils leur demandaient d’acquitter la somme de 243 586 livres 14 sols 10 deniers relatifs aux forges et forêts de Châteauroux se composant de deux séries d’intérêts : 71 358 livres 18 sols 2 deniers depuis le premier janvier 1672 et 172 227 livres 16 sols 8 deniers depuis le 1er juillet 1674. René Langle disposait de larges pouvoirs : il pouvait faire interrompre l’exploitation des forêts tant en bois qu’en ce qui concernait les forges… et faire saisir seigneuries et autres terres appartenant aux associés.

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En 1709, soit cinquante ans plus tard, l’intendant Ferrand s’adressant aux États dépeignait la Bretagne comme « ayant sauvé le cœur du Royaume des alarmes de la famine et réparé l’injustice des saisons ». Cité par Joël CORNETTE, Le Marquis et le Régent…, p. 24. Il serait intéressant de repérer les réseaux qui ont permis de satisfaire les besoins du royaume en céréales. Les fermiers des évêchés du début du XVIIIe siècle furent-ils les serviteurs de la monarchie ?

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Daniel DESSERT, Ibid., p. 445. 199

Alain CROIX, Ibid., p.170 : En 1670, René Saget créa en Bretagne pour le prince de Condé la forge de Moisdon-la-Rivière puis celle en 1672, celle de Martigné-Ferchaud.

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Le 7 juin 1675, Nicolas Ballet – au nom d’un consortium composé des sieurs Galpin, de la Veuve Gillot, Haniau, sieur des Marests et « aultres »- contesta l’absence de livraison de bois tel que stipulé dans l’accord consenti le 8 juin 1671 à Angers. En 1671, Nicolas Ballet et ses associés avaient acheté aux fermiers des bois marins des forêts de Bommiers (en Berry) et consenti une avance de 20 000 livres, avance qui devait être remboursée par des prélèvements en nature sur les livraisons de bois à venir. L’absence de livraison conduisit Nicolas Ballet à interrompre ses versements. Il se trouva donc débiteur de la somme de 60 741 livres à l’égard des fermiers. Méfiant, il refusa d’acquitter les sommes dues, précisant que les bois de marine avaient été « saisis à requeste de monseigneur le prince de Condé ». Pour éviter toute tension entre les associés – « lesquelles contestations eussent pu faire naître des différans entre lesdites partyes » c'est-à-dire entre Nicolas Ballet, Barthélémy Ferret et Jacques Michau, un accord fut conclu : Nicolas Ballet acquitta à Ferret et Michau 38 241 livres en espèces et conserva les 22 500 livres comme nantissement200. En cas de non remboursement par Porlier et Saget, Ferret et Michau s’engagèrent à se substituer à Ballet.

En fait, Michau et Ferret et leurs associés furent les victimes de l’« opération d’extorsion »201 organisée par Gourville, l’intendant du duc de Condé. Ce dernier avait exigé 200 000 livres de pots-de-vin pour réduire le montant du bail des forêts de Bommiers, ravagées par un incendie et octroyer des délais de paiement aux fermiers. Devant le refus de Porlier d’obtempérer, Gourville l’asphyxia financièrement. Ce dernier fut dans l’incapacité de faire face à ses obligations On ne sait ce que fut la suite de l’affaire pour Michau et Ferret : Katia Béguin précisa qu’un certain Chauveau racheta les parts des associés de Porlier : étaient-ce Michau, Ferret, Ballet et « les aultres »?

Cette affaire est riche d’enseignements sur les affaires et leur conduite par Jacques Michau et Barthélémy Ferret.

Si l’acte ne mentionne ni le montant initial investi par Jacques Michau dans les forêts de Berry ni sa part dans la société constituée, les intérêts d’un montant de 243 586 livres 14 sols 10 deniers constituaient une somme importante et témoignaient d’un

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Nantissement : c’était une sûreté donné par un débiteur à son créancier. (Dictionnaire

universel de Furetière).

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investissement initial conséquent. L’horizon géographique de Jacques Michau dépassait donc la province de Bretagne : ses affaires le mettaient en relation avec les Grands et le duc de Condé. Cet intéressement dans les affaires d’un prince du sang pourrait s’expliquer par la présence en Bretagne de René Saget qui créait des forges à la même période pour le duc de Condé.

Le second enseignement est la participation de Jacques Michau au « complexe militaro-industriel » via ses intérêts dans des exploitations forestières et métallurgiques. Les bois marins mentionnés dans les actes étaient des pièces destinées à la marine, dont l’essor initié par Colbert depuis 1661 créait une tension sur le marché du bois – avec un enchérissement de leur valeur- car la construction marine exigeait des pièces de qualité irréprochable. La guerre de Hollande raviva la demande et le pouvoir royal entreprit une large prospection à l’intérieur du royaume pour dénicher les meilleurs chênes. Quant aux forges, elles produisaient canons et autres pièces d’artillerie. Des serviteurs et des hommes d’argent comme Daliès202 mobilisèrent toutes les ressources forestières, ravivèrent des forges et associèrent des financiers à « l’exploitation des domaines condéens au service du roi »203. Jacques Michau en fit partie, mêla ses proches à l’entreprise bien que l’expérience fût semée d’embuches et sans profit assuré204.

III/ Quand la banque croisait la finance

Bien que banque et finances fussent des mondes différents, ils n’en demeuraient pas moins marqués par une certaine porosité. Un acte notarié en atteste.

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Daniel DESSERT, Les Daliès de Montauban, p. 144-171. 203

Daniel DESSERT, Ibid., p.164. 204

Jacques Michau protégea Nicolas Ballet qui épousa sa fille deux ans plus tard, preuve que l’affaire n’entacha pas la relation entre les deux hommes.

Il convient de noter que Jacques Michau était également en affaires avec Guillaume Le Court, maître de forges de la Poitevinière dont Alain Croix, souligna la rentabilité. (A. CROIX, Ibid., page 169). En 1668, les forges furent cédées à un financier vannetais (le nom n’est pas mentionné par Alain Croix) pour la somme de 180 000 livres. Or Jacques Michau était en affaire avec le maître de forges Le Court en 1676 : un acte notarié en date du 11 avril 1676 précisa que ce dernier devait à Jacques Michau et Barthélémy Ferret la somme de 33 700 livres « suivant le compte arrêté entre eux sous seing privé ». (A.D.35, 4E 696, Gohier notaire). L’acte n’en dit pas davantage sur l’accord qui lié les trois hommes : Ferret et Michau étaient-ils les prêteurs de Guillaume Le Court dans son acquisition de la forge, si c’est lui qui en fit l’acquisition en 1668 ?

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Jacques Michau et Barthélémy Ferret consentirent le 9 avril 1676 par devant le notaire Gohier à un prêt de banque d’un montant de 13 264 livres à François, Gilles, Estiennette et Noëlle Allain205. François Allain était trésorier et receveur général du taillon en Bretagne et receveur général des fouages de l’évêché de Tréguier206. Les Allain s’endettaient car ils devaient acquitter le dernier terme des fouages de la recette générale. Ne disposant des liquidités nécessaires –dans l’attente de recevoir le produit de la succession bénéficiaire d’Allain de Kercado-, ils empruntèrent aux banquiers rennais, emprunt consenti au denier 16. L’acte stipule que François Allain consentait que lesdits sieurs Ferret et Michau en retirassent déclaration « en libre nom de monsieur Loyseau, receveur des finances et qu’ils demeureront subrogés en son lieu et place »207. Dès lors, Jacques Michau et Barthélémy Ferret avaient un pied indirectement dans la recette des fouages. En cas de défaillance du débiteur, ils devenaient maîtres d’une partie de la recette.

Ainsi, entre banque et finance, les liens étaient parfois tenus, peut-être plus tenus que les travaux de Daniel Dessert ne le laissent supposer. Banquiers et financiers appartenaient au monde des manieurs d’argent dont les chemins se croisaient.

Ainsi, Jacques Michau fut un banquier et financier qui profita de toutes les bonnes occasions de faire des affaires en Bretagne et ailleurs. Il se constitua ainsi une confortable fortune.

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A.D.35, 4E 696 Gohier notaire, prêt de Barthélémy Ferret et Jacques Michau à François Allain, sieur des Poiriers.

206

Cette famille Allain est-elle celle citée par Joseph Daumesnil et Adolphe Allier (Joseph DAUMESNIL et Adolphe ALLIER, Ibid., p. 425) ? Une famille Allain (d’origine anglaise) résidait à Morlaix en 1685. C’était une famille identifiée comme protestante en 1685.

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En 1674, Charles Loyseau prit la succession d’Yves de Santo-Domingue comme receveur général des finances. Nicolas Ballet versa aux parties casuelles le droit annuel de la charge pour 1673 et 1674 et les taxes de résignation. Cette intervention de Nicolas Ballet est le signe pour Dominique Le Page d’une « interpénétration des différents milieux d’argent provinciaux et parisiens à Nantes ». Dominique Le Page, « Gérard Mellier (1674-1729), portrait d’un ambitieux ou Mellier avant Mellier », in Gérard Mellier, maire de Nantes et subdélégué de

l’intendant de Bretagne (1709-1729) : l’entrée de Nantes dans la modernité, Société

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