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ÉTAT DE L’ART SUR LA TENUE AU FEU DES COMPOSITES STRATIFIÉS

I.3 Modélisation de la tenue au feu des composites

I.3.3 Modélisation de la réponse thermomécanique d’un composite soumis à un flux thermique

I.3.3.2 Prise en compte de la température sur le comportement du stratifié

Au vu de la complexité de la modélisation et du caractère fortement couplé des mécanismes d’en-dommagement observés dans les composites soumis au feu, il s’avère important de ne se focaliser que sur les mécanismes prioritaires susceptibles d’affecter fortement les performances mécaniques résiduelles des structures composites stratifiés [19]. De cette manière, l’adaptation des modèles au comportement thermo-mécanique passe par une bonne description des phénomènes (linéaires et non linéaires) en fonc-tion de la température. Ces phénomènes vont affecter le comportement et les propriétés mécaniques du pli, mais également les propriétés de l’interface [3,77]. Il s’agit donc de prendre en compte l’influence de la température dans la modélisation (i) des propriétés mécaniques du matériau et (ii) de la dilatation thermique. Il en va de même pour la prise en compte de l’endommagement thermique tant à l’échelle du pli (dégradation par décomposition du matériau) qu’à l’échelle de l’interface (délaminage) sur les proprié-tés thermomécaniques. Nous présentons ensuite ces aspects en nous appuyant sur les travaux précédents de la littérature.

Propriétés mécaniques en fonction de la température Les propriétés mécaniques du matériau sont largement dépendantes de la température, avant même l’apparition du char [3]. Pour cela, Ma-hieux et Reifsnider [98] ont proposé des approches phénoménologiques pour décrire les propriétés mé-caniques avec une dépendance explicite à la température. Dans un premier temps, les approches ne considèrent pas la présence d’une dégradation volumique (char) et se focalisent sur la relaxation de la résine avant la température de transition vitreuse. Il s’agit donc de fonctions semi-empiriques pour l’ajus-tement des propriétés mécaniques expérimentales en fonction de la température et de celle de transition vitreuse suivant une distribution d’accumulation de type Weibull :

P(T ) = PR+ (PU− PR) exp

T T0

m

(I.11) avec les indices U et R concernant la valeur dans l’état initial ou assoupli tandis que T0est la température de relaxation et m l’exposant de la fonction de Weibull à identifier expérimentalement.

Par une approche plus physique et moins phénoménologique, Bai et al. [75] ont proposé une dépen-dance en température des propriétés élastiques d’un matériau composite en fibre de verre. Les propriétés élastiques sont simplifiées par des formulations basées sur des lois d’homogénéisation, supposant que le matériau est un mélange des différents états du matériau (vitreux/cristallin, caoutchouteux et fluide) :

Em = Eg(1 − αg) + Erαg(1 − αd) (I.12) avec Em la propriété élastique du matériau et α le degré de conversion entre phases du matériau. Les indices g et d font référence à la transition vitreuse et la fusion des cristaux du polymère respectivement. Ces travaux montrent en effet que les propriétés mécaniques de la matrice polymère sont forte-ment influencées par la température et présentent un comporteforte-ment visqueux même à température ambiante. L’endommagement de la matrice devrait alors être affecté par une telle dépendance, avant même toute perte de masse du composite. Afin de modéliser plus finement les effets de la température Mahieux et al. [98,99] ont évalué l’influence de la température sur le comportement de la matrice en considérant la microstructure des constituants.

L’élévation de température conduit à la destruction de liaisons chimiques faibles (liaison de type hydrogène, Van des Waals) et par conséquent, à la relaxation du polymère. Cela est modélisé par une évolution du module élastique suivant une distribution de type Weibull en considérant les deux transitions principales du matériau avec la température entre leurs différents phases (vitreux/cristallin, caoutchou-teux et fluide) :

E(T ) = (Eglassy− Erubbery) expT

Tg !mg! + Erubberyexp T Tflow mf (I.13)

Figure I.23 – Modèle micromécanique pour le déscription de la fracture longitudinale des fibres pour des

matériaux composites [20]

avec Eglassy et Erubbery les modules instantanés mesurés au début des plateaux des transitions vitreuse et caoutchouteuse. Les indices g et f correspondent à des températures de transition vitreuse ou de fusion. De manière analogue, ils ont proposé un modèle pour l’estimation de la résistance en traction des composites sous l’hypothèse que les endommagements dans le composite dus à la charge sont uniquement des ruptures dans les fibres. La rupture de fibres est modélisée par une distribution de Weibull, et la charge est distribuée dans les fibres non rompues. Ces fibres non rompues sont immergées dans un matériau homogène dont les propriétés apparentes sont calculées par une loi de mélanges classique. Cette représentation de la microstructure du matériau est schématisée dans la Figure I.23[20].

Nous remarquons la complexité de ces dernières approches plus physiques à une échelle inférieure (échelle des constituants), tant pour la caractérisation des mécanismes que leur modélisation. Afin de simplifier tant la caractérisation que la modélisation, des approches intermédiaires ont été proposées et sont présentées dans le paragraphe suivant pour la prise en compte de la température dans le comporte-ment du pli.

Équivalence temps-température pour la prise en compte de la température Gibson et al. [77] proposent une expression pour fitter les propriétés mécaniques des stratifiés thermodurcissables basée sur l’Equation (I.11). L’expression suivante décrit le comportement sous l’hypothèse du principe d’équivalence temps-température. P(T ) = PUPU− PR 2 1 + tanh k H R 1 Tg − 1 T !!! (I.14) avec PU, PR , kH

R et Tg les quatre constantes à fitter.

Berthe et al. [21,100] ont identifié une dépendance à la température via un comportement de matrice visqueuse à l’échelle des plis, sur la base du principe de superposition temps-température [101]. Il s’agit

Figure I.24 – Courbes de comportement contrainte-déformation pour différentes températures et vitesse

de sollicitation pour des éprouvettes T700GC/M21 [±45]s [21]

d’un modèle viscoélastique spectral non linéaire du pli, formulé dans un cadre thermodynamiquement admissible et basé sur le modèle du pli présenté dans le paragrapheI.3.3.1à la page 29. Berthe et al. [21] ont étendu ce modèle pour des composites stratifiés en fibres de carbone et résine époxy (T700GC/M21) à des vitesses de sollicitation faibles (de l’ordre de 10-4 à 10-1m/s) et à de faibles températures (entre -100C et 20C). Le matériau est similaire à celui de notre étude. Ces conditions ont permis d’iden-tifier le comportement viscoélastique du pli dans ces conditions pour des sollicitations transverses et en cisaillement hors plan. La FigureI.24 montre l’influence des effets visqueux sur le comportement en cisaillement du pli. Nous remarquons la formulation à l’échelle mésoscopique de cette approche, ce qui permet d’envisager une caractérisation du comportement du pli à des hautes températures.

Des études ont suivi et ont permis d’identifier cette dépendance à la température sur le comportement des plis pour notre matériau d’étude. Pour cela une base de données fournie par le projet européen Future

Sky Safety (FSS) [8] a été utilisée et complétée par des tests expérimentaux supplémentaires. Ces essais sont principalement des essais de traction en température et des DMA (Dynamic Mechanical Analysis) équivalents à ceux exposés dans le paragraphe I.2.1 [8,22]. La Figure I.25 montre une comparaison entre les données expérimentales et les résultats obtenus par des simulations par éléments finis pour des essais de traction transverse et de cisaillement (FigureI.25aetI.25b) pour trois températures différentes (20, 80 et 140C). L’essai de traction transverse consiste à réaliser un essai de traction sur un [90]8 unidirectionnel alors que l’essai de cisaillement consiste à réaliser un essai de traction sur un [±45]4s[22] à vitesse de déplacement contrôlée.

On peut constater sur la FigureI.25 l’influence importante de la température sur le matériau et que cette influence est plus marquée pour le comportement en cisaillement que pour le comportement trans-verse. On remarque ensuite que la comparaison entre la réponse du modèle et les essais est parfaitement convaincante pour les essais transverses et le semble moins pour les essais en cisaillement. Cela s’explique principalement par l’absence d’endommagement à l’échelle du pli dans les essais transverses contraire-ment aux essais sur des stratifiés de type [±45]4s. Ainsi le comportement non linéaire dû à la viscosité de la matrice s’exprime avant le plateau des courbes de cisaillement et pour des niveaux de déformations inférieurs à 1.5% à l’échelle du stratifié. Enfin, il est important de souligner que ce modèle traduit non pas un comportement uniaxial mais un comportement multiaxial nonlinéaire quelle que soit la sollicitation vu par le pli. Ainsi, il est remarquable que par une unique une distribution de mécanismes visqueux, le modèle soit capable de traduire à la fois l’influence de la température sur le comportement et les effets de vitesses. La question concernant les effets de vitesses et de la température reste une question ouverte dans la littérature pour le comportement des interfaces [3,8,22,59]. Ce point est très peu traité dans la littérature comme nous le verrons dans un paragraphe dédié à la page36.

(a) Essais de traction sur [90◦]8 (b) Essais de traction sur [±45◦]4s Figure I.25 – Comparaison entre l’expérience et les simulations numériques pour des essais traction

transverse et de cisaillement en température [8,22]

Influence de la dilatation thermique La modélisation de l’influence de la température sur la défor-mation passe par la définition des coefficients de dilatation thermique sous l’hypothèse que la défordéfor-mation d’origine thermique évolue de manière linéaire avec l’écart à la température de référence comme présenté dans le paragraphe I.3.3.1à la page31. Cette hypothèse est souvent valable pour de petites variations de température, mais elle est discutable dans le cas de matériaux soumis à de grandes plages de variations de température. Du fait de l’élévation de température et de la production de produits gazeux issus des réactions physico-chimiques, il est observé expérimentalement l’apparition de pores au sein du matériau contribuant à une augmentation significative de la dilatation apparente du matériau [3]. Florio et al. [52] proposent une modélisation de la dilatation mesurée en fonction de la température. Ils proposent un modèle décrit par une équation différentielle de la dilatation dans la direction de l’épaisseur :

1 Lo ∂L ∂t = αvF∂T ∂t + αc(1 − F )∂T ∂t + ∂t  ηT + ξ m mo  (I.15) avec F la fraction massique du matériau vierge, v et c les indices qui caractérisent l’état vierge ou char du matériau et α le coefficient de dilatation du matériau. η et ξ sont, quant-à eux, des paramètres de forme pour fitter les essais et traduisent l’influence de la vitesse d’échauffement et de la décomposition du matériau.

Ce modèle met en évidence le couplage entre la déformation thermique et l’évolution de la tempé-rature issue du modèle thermique proposé également par Florio et al. [52]. Les analyses des données expérimentales en comparaison avec des prédictions du modèle expliquent l’influence de la température sur la dilatation thermique. Dans un premier temps, en absence de dégradation de la matière, le matériau se dilate en fonction de l’incrément de température. Les gaz de pyrolyse issus des réactions de thermociné-tiques ne sont pas évacués par une trop faible perméabilité du milieu et induisent une augmentation de la pression au sein des pores du matériau. Sous l’action combinée de la pression interne et de la dégradation du matériau, celui-ci se fissure permettant de relâcher les gaz stockés par cette augmentation importante de la perméabilité conduisant à une contraction apparente du matériau.

D’autres auteurs, tels que Dimitrienko et al. [65,66,102,103] , McManus et al. [23,104] et Luo et Desjardin [67,105] proposent des modèles prenant compte explicitement la montée en pression et la dégradation volumique de la matière par pyrolyse. Cependant la prise en compte de la pression rend ces modèles complexes à intégrer dans un code de calcul par éléments finis.

Vers la prise en compte de l’endommagement thermique La complexité des modèles est plus importante lorsqu’on ajoute les effets d’endommagement thermique. Afin de prendre en compte l’effet de

la décomposition matricielle par pyrolyse, Gibson et al. [77] et Feih et al. [56,58] ont ajouté un terme additionnel à l’Equation (I.11). Ce terme représente la fraction massique en résine associée à la perte de masse. Ces approches restent donc pragmatiques et peuvent être utilisées à l’échelle du pli (mésoscopique) ou du stratifié (macroscopique).

P(T ) =PU+ PR

2

PU − PR

2 tanh (k (T − Tg))Rn(T ) (I.16) avec Tg la température de transition vitreuse. R représente l’avancée de la réaction, par la teneur en résine restante pendant la décomposition thermique. k et n sont des paramètres de forme (constantes empiriques) qui traduisent l’évolution expérimentale des propriétés mécaniques avec la perte de masse et la température.

Dans le même esprit, Mouritz et Mathys [55] ont proposé des approches pragmatiques pour décrire les propriétés mécaniques par des modèles dits bi-constituants car ne considérant que deux phases ; une pour le char et une autre pour le matériau vierge. Donc, pour chaque propriété mécanique effective, une expression est déduite comme la contribution associée à l’épaisseur relative du char et à celle de la partie non dégradée selon l’Equation (I.17) :

P = d − dc

d P0+dc

dPc (I.17)

avec dc l’épaisseur de char et P une propriété mécanique (module ou résistance) et les indices 0 et c les valeurs de la propriété du matériau dans son état vierge ou pyrolysé. Ces travaux supposent que le matériau se compose de deux couches bien définies, une région thermiquement dégradée et une vierge et néglige l’influence de la zone de décomposition (transition entre le char et le matériau sain).

Négliger cette zone de transition pour des épaisseurs de matériau importantes est envisageable mais plus discutable pour de très faibles épaisseurs surtout lorsque d’autres mécanismes de dégradation inter-agissent comme par exemple la fissuration matricielle et le délaminage. Pour ce qui concerne la prévision de ce dernier mécanisme, peu de modèles sont capables de prendre en compte un tel couplage entre la dégradation thermique, la température et la fissuration par délaminage. McManus et Springer [23,104] ont présenté la première approche permettant de prévoir l’apparition de délaminage dans un composite stratifié Carbone / phénolique exposé au feu.

Le modèle consiste en une équation directrice permettant de calculer la déformation totale en tenant compte de différentes contributions physiques ; à savoir, une contribution mécanique (a), une contribution thermique (b), une contribution par changement de pression (c), une contribution due à l’humidité (d) et une contribution associée à la formation de char (e) :

εij = Sijklσklm | {z } a + Λ∆P | {z } b + αij∆T | {z } c + βij∆(MC) | {z } d + χij∆νc | {z } e (I.18) où α, β and χ sont les coefficients de dilatation dépendant de la température, de l’hygrométrie et de la formation de char. ∆P , ∆T , ∆(MC) and ∆vc représentent les variations relatives de pression, tem-pérature, teneur en humidité et fraction volumique de char. S est le tenseur de souplesse du matériau sous chargement mécanique et Λ est la souplesse du matériau sous une pression interne. Le calcul de la déformation totale permet d’estimer le niveau de contraintes et déduire la profondeur du délaminage par application d’un critère en contrainte (contrainte maximale ou Tsai-Wu). Cette approche permet d’obtenir des bonnes prévisions du temps et de la température auxquelles ce mécanisme d’endomma-gement apparaît pour les différentes interfaces dans l’épaisseur du composite, comme représenté dans la Figure I.26 [23]. Ce type d’approche permet de prévoir l’amorçage des délaminages mais pas leurs évolutions [104]. L’influence de cet endommagement sur le comportement thermique ne peut donc être pas simplement pris en compte comme dans le cas présenté sur la Figure I.17. La vision macroscopique adoptée dans les modèles précédents n’est a priori pas adaptée pour traiter des cas pour lesquelles plu-sieurs stratifications sont envisageables. De plus, les chemins de fissurations sont dans ces cas bien connus et orientés par les interfaces qu’il convient alors de modéliser explicitement.

Figure I.26 – Comparaison entre la prévision du modèle et les données expérimentales de la profondeur

de l’apparition de l’endommagement (délaminage) en fonction du temps d’exposition pour un composite Carbone / phénolique [23]

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