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ÉTAT DE L’ART SUR LA TENUE AU FEU DES COMPOSITES STRATIFIÉS

I.5 Modélisation numérique du délaminage

I.5.1 Principes fondamentaux et techniques de modélisation du délaminage

La modélisation du délaminage repose sur deux aspects majeurs : (i) la prévision de l’amorçage et

(ii) la prévision de la propagation du délaminage. Ces deux aspects sont liés à des critères numériques

afin de définir l’apparition de l’amorçage et la propagation ou pas de la fissure. Pour cela, différentes approches et critères sont trouvés dans la littérature, permettant de prédire l’apparition d’une fissure, sa propagation ou les deux.

I.5.1.1 Mécanique linéaire et non-linéaire de la rupture

La Mécanique Élastique Linéaire de la Rupture (MELR) permet de décrire la propagation d’une fissure déjà amorcée en retenant l’hypothèse d’un milieu élastique linéaire avec un champ asymptotique des contraintes en pointe de fissure. Cela correspond donc au cas d’étude de la propagation d’une fissure lorsqu’une amorce est déjà présente, comme nous l’avons présenté dans le paragrapheI.4concernant les essais de caractérisation de propagation du délaminage.

La MELR est une approche globale cherchant à calculer le taux de restitution d’énergie G en pointe de fissure. Selon cette hypothèse, la propagation se produit lorsque cette énergie dépasse la ténacité de l’interface qui est équivalente au taux de restitution d’énergie critique, nommé GC [142,143]. Pour une pièce donnée préalablement fissurée, Irwin avait proposé le calcul du facteur d’intensité de contrainte sur la base de la MELR. Cela permet de calculer la quantité d’énergie disponible pour une fissure associée au niveau de contrainte autour de la fissure. Ce calcul est fait à partir de la propagation brutale de la fissure qui conduit à la ruine finale de la pièce en question [142,143]. Un des avantages de la MELR est son application simple et rapide aux calculs EF. En effet, elle repose sur la réalisation de calculs élastiques pour chaque longueur de fissure considérée. La technique la plus répandue dans la littérature reposant sur la MELR est la Virtual Crack Closure Technique (VCCT) [32]. Cette technique s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle l’énergie dissipée durant la propagation d’une fissure d’une longueur initiale à une longueur plus importante est équivalente à celle nécessaire à sa fermeture comme illustrée sur la FigureI.39.

La principale limitation de la MELR pour la prévision de la propagation d’une fissure dans un milieu quelconque provient de l’hypothèse de comportement élastique. Le domaine de validité reste alors limité aux applications où il est considéré que les effets dissipatifs associés à une propagation de fissure restent négligeables et n’ont pas une influence suffisante sur la rigidité de la structure considérée. Or, cette hypothèse est contestable dans le cadre d’une propagation de fissure en mode II en température, au vu du comportement fortement non-linéaire du matériau [21,100]. Afin de considérer des mécanismes dissipatifs ou conduisant à un comportement non linéaire au voisinage de la pointe de fissure (zones de plasticité, frottements, effets visqueux) d’autres méthodes ont été développées dans le cadre de la Mécanique Elasto-Plastique Non-Linéaire de la Rupture (MEPNLR) [144]. Dans la MEPNLR il est possible de trouver des techniques différentes et adaptées aux calculs EF. La technique d’extension virtuelle des fissures ou

Virtual Crack Extension (VCE) repose sur le principe de calculer l’énergie nécessaire pour ouvrir une

fissure de longueur finie [145,146]. Cette technique n’est pas limitée à des milieux purement élastiques, contrairement à la VCCT. Le suivi du Crack Tip Opening Displacement (CTOD) consiste à mesurer le déplacement d’ouverture en pointe de fissure comme conséquence de l’émoussement du fond de fissure dû à la plastification au voisinage de la pointe de fissure, comme schématisé sur la Figure I.40[33].

Le calcul de l’intégrale J de Rice [147] est également une méthode couramment utilisée dans la littérature. Elle est basée sur la théorie de la rupture de Griffith [148]. Dans cette dernière, il s’agit de calculer le travail lié aux efforts normaux et tangentiels autour d’un contour qui définit la zone des non-linéarités [34,149]. L’intégrale de contour pour le calcul de l’énergie associé aux efforts est indépendante du chemin d’intégration sur le chemin défini autour de la pointe de fissure, comme le montre la FigureI.41 et est définie par l’Équation I.21:

J =Z K  W ni− σij∂ui ∂x1nj  dS (I.21) avec W =Rεij

0 σij ij la fonction de densité d’énergie de déformation. nj est la composante unitaire du vecteur extérieur normal dans la direction j. σij est la composante du tenseur de contraintes et ui est la composante du vecteur de déplacement dans la direction i.

L’ensemble des méthodes non-linéaires repose sur l’hypothèse que la zone de dissipation d’énergie reste petite par rapport à la dimension la plus petite de l’éprouvette où la propagation a lieu. Ces dernières méthodes ne peuvent donc plus être utilisées lorsque le matériau subi de grandes déformations pendant la phase de propagation, qui pourraient amener à des Process Zones importantes et non constantes durant la phase de propagation.

Il est également important de rappeler ici que l’ensemble des méthodes basées sur la mécanique de la rupture ne permettent que la description de la phase propagation. D’autres approches s’avèrent donc nécessaires afin de prévoir la phase d’amorçage des délaminages, voire les deux phases.

Figure I.41 – Schéma du chemin d’intégration autour d’une singularité pour le calcul énergetique de

l’intégrale J [34]

I.5.1.2 Critères de rupture

La prévision de l’amorçage par critère de rupture reste une approche classique, qui a été utilisée depuis plusieurs décennies. Il s’agit de comparer l’état de contraintes ou déformations calculé par un modèle de prévision à un seuil en contraintes ou en déformation à partir duquel l’apparition du délaminage est considérée. Cela correspond donc au cas d’étude de l’amorçage, comme nous l’avons présenté dans le paragrapheI.4concernant les essais de caractérisation d’amorçage du délaminage.

Dans la littérature, le critère de la contrainte maximale [150] compare le champ de contraintes aux contraintes interlaminaires sans aucun couplage entre les modes de ruine.

σ33≥ Zt , τ13≥ S13 , τ23≥ S23 (I.22) avec Zt, S13 et S23 les résistances interlaminaires relatives aux modes I, II et III respectivement. Afin d’avoir un couplage des modes de ruine, d’autres critères existent comme le critère quadratique [97].

σ33 Zt 2 +τ13 S13 2 +τ23 S23 2 ≥1 (I.23)

Cette approche est simple à utiliser, mais elle est limitée à la prévision de l’amorçage. Ces approches sont donc très limitées en présence d’un champ de contraintes singulier. Des approches du type Point

Stress [151] permettent de définir l’amorçage en présence d’une singularité.

σ(dC) > σC (I.24)

avec dC une longueur interne imposée. Lagunegrand [152] utilise ces approches pour l’étude du délaminage comme conséquence des effets de bord.

Cependant, les critères de rupture ne permettent pas de décrire la propagation du délaminage, que ce soit en absence ou en présence d’une singularité.

I.5.1.3 Critères couplés

Afin d’établir des critères qui permettent de prévoir l’apparition d’une fissure lorsque l’amorçage se produit au voisinage d’une singularité, Leguillon et al. [153,154] ont proposé des doubles critères en contrainte et en énergie pour prévoir l’amorçage du délaminage. Le principe est de déterminer une longueur de fissure interne minimale pour laquelle un critère en énergie et un critère en contrainte sont vérifiés à l’amorçage de la fissure. Le niveau de contrainte interlaminaire doit être supérieur à un seuil

considéré.

Une fois la fissure amorcée, il suffit d’utiliser la MELR pour la description de la propagation.

Certains auteurs ont présenté des travaux afin d’étendre les critères couplés pour des sollicitations 3D [155–158]. Cependant, la principale limite des critères couplés reste leur limitation à l’amorçage. I.5.1.4 Approches locales, discrètes et non-locales de la modélisation du délaminage

Afin de prendre en compte les effets non-linéaires au voisinage de la pointe de fissure, il existe dans la littérature d’autres approches qui cherchent à améliorer la modélisation du comportement non-linéaire et leurs effet sur l’amorçage et la propagation d’une fissure. Une première catégorie de ces approches comprend des modèles locaux continus basés sur la mécanique de l’endommagement continu et des cri-tères de rupture en contrainte et/ou énergétiques [159–162]. Ces approches dites volumiques décrivent l’endommagement comme un effet au sein du pli. La bonne description de la fissuration dépend alors d’assurer une estimation correcte du champ de contraintes autour d’une singularité au prix d’un coût de calcul élevé afin de garantir la convergence au maillage.

En contrepartie, il existe des approches dit surfaciques. Il s’agit des modèles locaux de rupture progres-sive basés sur la mécanique de l’endommagement continu tel que les modèles de zone cohéprogres-sive (Continuum

Cohesive Zone Model). Ils permettent de localiser les effets non linéaires à des interfaces entre les plis,

dans une zone nommée Process Zone [163–178]. Ces approches ont été notamment développées par le LMT-Cachan, permettant de séparer l’endomagement du pli de celui des interfaces [179]. Ces modèles ont l’avantage de modéliser à la fois l’amorçage et la propagation sans une modélisation explicite des phénomènes non linéaires, qui sont assumés compris dans une surface définie comme la Process Zone. Le principal inconvénient reste le chemin de fissuration, qui doit être fixé au préalable pour l’insertion des éléments cohésifs où la fissure va potentiellement propager. Cependant, cet inconvénient n’est clairement pas une limite dans le cas des composites puisque le délaminage est situé à l’interface entre plis et est donc bien localisé. Ce type de modèle est décrit plus en détail dans le paragrapheI.5.2.

Une deuxième catégorie comprend les modèles discrets et non-locaux, soit par le biais de la mo-délisation explicite des fissures discrètes, soit par des modèles d’endommagement discrets basés sur la rupture discrète (Discrete Damage Approach - DDA). Dans le premier axe, il existe dans la littérature des techniques différentes de raffinement adaptatif du maillage (Adaptive Mesh Refining - AMR) [180,181]. L’inconvénient principal du raffinement du maillage est le coût de calcul associé à la discrétisation de la fissure pour des simulations numériques EF [182,183]. Dans le deuxième axe, il existe des modèles DDA basés sur la rupture discrète. Cela repose sur des approches non locales basées sur la partition de l’unité (Partition of Unity Method - PUM) [184,185]. L’avantage principal par rapport aux modèles continus est l’indépendance au maillage, qui n’a pas besoin d’être régénéré pour la caractérisation de la croissance d’une fissure. Cela grâce à des éléments qui permettent de décrire une cinématique enrichie des méca-nismes de fissuration. Ces méthodes sont alors adaptées à des topologies complexes et à des chemins de fissuration tortueux de la fracture [184]. Dans la littérature il existe des modèles d’endommagement pro-gressif par des éléments discrets (Discrete Element Method - DEM) [186]. Ils permettent de modéliser à la fois l’amorçage et la propagation d’une fissure, par une représentation discontinue de l’unité du matériau

Figure I.42 – Schéma du modèle d’endommagement discrète de zone cohésive sur un cas préfissuré [35]

composite via des assemblages discrets [186], en évitant le passage par les méthodes continues pour gérer la problématique associée à la création d’une fissure. Il existe aussi d’autres techniques non locales telles que la méthode des éléments finis généralisés (Generalized Finite Element Method - GFEM) [187,188], la méthode des éléments finis intégrés (Embedded Finite Element Method - EFEM) [184,185] et la mé-thode des éléments finis étendue (eXtended Finite Element Method - XFEM) [189,190]. Ces méthodes reposent sur l’approche DDA, et sont développées sur la base de la méthode classique des EF et de la partition du domaine. Il existe aussi des modèles discrets de zone cohésive (Discrete Cohesive Zone

Model - DCZM) [35,191–193]. Ils sont basés sur des éléments de type ressort pour modéliser l’interface du stratifié et des lois d’endommagement pour décrire à la fois le ramollissement du ressort interfacial et la perte de rigidité du matériau afin d’étudier la propagation des fissures. Le principe de modélisation est représenté dans la FigureI.41.

Cependant, ces méthodes sont complexes à mettre en œuvre dans une simulation numérique par EF et partent souvent de l’existence d’une préfissure ainsi que de la connaissance au préalable du chemin de fissuration pour le calcul d’un taux de restitution d’énergie pour la faire propager. Elles sont donc adap-tées à la propagation de la fissure et à la prise en compte des effets non linéaires d’origine matériau ou géométrique. En conclusion des avantages et inconvénients des différents types de modélisation présentés dans ce paragraphe, la variété de modèle la plus appropriée à notre étude est le modèle de zone cohésive puisqu’il permet la modélisation à la fois de l’amorçage et la propagation et prend en compte les effets non-linéaires associés au comportement matériau. De plus, ce modèle semble bien adapté pour la modé-lisation du délaminage en température, où le trajet de fissuration reste connu en raison des observations expérimentales des propagations essentiellement en mode II. Le paragraphe I.5.2 rentre plus en avant dans les détails de ces formulations.

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