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Chapitre 1 Introduction 1

1.4.   Caractéristiques organisationnelles en lien avec l’accessibilité aux services de

1.4.1.   Priorisation des demandes de consultation 19

La priorisation des demandes de consultations serait une pratique organisationnelle largement répandue dans les services de physiothérapie en clinique externe, notamment lorsque la demande excède la capacité à fournir les services [22, 103]. Le processus de priorisation est parfois appelé triage, et il peut inclure ou non un rationnement des demandes [26]. Il convient donc de définir ces trois concepts. D’abord, la priorisation, de l’anglais prioritization, correspond au processus de classement de patients dans un ordre donné selon la priorité qui leur est accordée pour recevoir un service. Ensuite, le triage fait référence à un procédé de regroupement de patients en fonction de critères tels que l’urgence ou le type de services requis. Enfin, le rationnement se rapporte à une intervention visant à limiter ou éliminer l’accès aux services pour certains types de patients, selon des critères d’éligibilité [26].

Ces processus ont pour objectifs de s’assurer que les patients qui ont les besoins de services les plus importants soient priorisés afin de leur garantir un accès rapide aux services, dans un contexte où la demande excède l’offre de services [26]. Toutefois, malgré que les processus de priorisation soient largement utilisés dans les contextes de réadaptation physique [21, 22, 111], les évidences scientifiques révèlent certaines critiques quant à leur efficacité. En effet, ils peuvent détourner des ressources cliniques vers des tâches administratives et réduire l’efficacité des services [26, 28] et auraient peu d’effet sur le temps d’attente [24]. Aussi, les processus de priorisation seraient rarement basés sur les données probantes [111, 112]. De plus, les évidences démontrent un faible

niveau d’accord entre évaluateurs impliqués dans le processus de priorisation en réadaptation physique [113, 114]. Dans une étude de Harding et al. [115], les évaluateurs assignaient une priorité différente aux patients dans 30% des cas. Par ailleurs, une meilleure fidélité inter-évaluateurs a été observée dans une étude où le processus de priorisation comprenait une évaluation en personne de 30 minutes réalisée par des physiothérapeutes formés pour la priorisation [116]. Cependant, une formation donnée aux physiothérapeutes afin de standardiser le processus de priorisation ne permettrait pas toujours d’améliorer le niveau d’accord [117].

1.4.1.1. Critères de priorisation

Dans son ouvrage Comprendre le système de santé pour mieux le gérer, Pineault [76] a proposé trois critères à considérer pour établir une priorité d’intervention : la gravité ou l’importance du problème, la capacité du système à intervenir efficacement et le caractère réalisable des interventions proposées. Ainsi, ce n’est pas seulement la nature de la condition de santé du patient qui devrait être analysée lors du processus de priorisation, mais aussi la capacité à fournir des interventions efficaces et réalisables pour ce patient. Par exemple, les évidences scientifiques supportent l’efficacité des interventions en physiothérapie pour certaines conditions telles que l’arthroplastie de la hanche [118] ou les cervicalgies [46], mais l’efficacité des interventions n’est pas autant reconnue pour les ruptures du tendon d’Achille [119] ou les capsulites à l’épaule [120]. Ces évidences pourraient donc être prises en considération lors de la planification de l’offre de services en physiothérapie. Dans son analyse parue dans le British Medical Journal, Norheim [121] précisait que le clinicien qui doit établir des priorités cliniques a besoin de se baser à la fois sur la sévérité de la condition (prognosis without the intervention) et sur les résultats escomptés suite à l’intervention (prognosis with the intervention). Norheim et al. [122] ont ensuite présenté un outil appelé Guidance for Priority Setting in Health Care (GPS-Health) qui énumère une liste de critères relatifs au principe d’équité, dont la sévérité de la condition, le potentiel de l’intervention, les pertes associées à la condition, les

caractéristiques sociodémographiques et enfin les considérations financières (p. ex. l’efficacité coûts-bénéfices). Les auteurs ont proposé d’utiliser ces critères conjointement aux analyses de coûts afin d’établir des priorités d’intervention dans un système de santé, tout en précisant que la transparence est l’une des clés pour établir un processus de priorisation juste et légitime [122].

Des critères de priorisation ont été examinés dans le contexte plus spécifique des services de physiothérapie en Ontario et en Australie. Le critère le plus utilisé était le stade de la condition (acuity), une priorité plus élevée étant accordée aux conditions aiguës comparativement aux conditions chroniques [22, 112]. Les autres critères utilisés fréquemment étaient la douleur, les limitations des activités de la vie quotidienne et la source de référence [22, 112]. Malgré leur importance, les facteurs psychosociaux représentaient le critère le moins utilisé [112]. De plus, la sélection des critères de priorisation dans chaque milieu était très variable et cela reflèterait le manque de guide de pratique et le faible nombre d’évidences à ce sujet [22, 112].

L’interprétation de certains critères peut parfois porter à confusion, c’est pourquoi un comité du Western Canada Waiting List Project a proposé quelques définitions [81]. La sévérité a été définie comme le « degré ou l’ampleur de la souffrance, des limitations d’activités et de risque de mort » (traduction libre, p. 858) [81]. Le niveau d’urgence est équivalent au concept de besoin et réfère à la sévérité à laquelle « s’ajoute la considération des bénéfices potentiels et de l’évolution naturelle de la condition » (traduction libre, p. 858) [81]. La priorisation devrait ainsi être basée sur le niveau d’urgence et peut tenir compte ou non des facteurs sociaux [81]. Afin de structurer le processus de priorisation en fonction des nombreux critères énumérés précédemment, plusieurs milieux utiliseraient un outil de priorisation. Raymond et al. [111] ont recommandé que ceux-ci soient constitués d’une majorité de critères précis et objectifs ainsi que de quelques critères subjectifs laissant place au jugement clinique. Au Québec, des initiatives ont été expérimentées au cours des dernières décennies afin d’établir un

outil de priorisation standardisé pour les services de physiothérapie en clinique externe [116]. Cet outil pouvait être administré en 30 minutes et considérait des critères subjectifs (p. ex. douleur, capacités fonctionnelles, limitations d’activités de la vie quotidienne) et des critères objectifs (p. ex. force musculaire, amplitude articulaire, présence d’œdème). Bien que cet outil ait démontré une bonne fidélité inter-évaluateur, sa capacité à distinguer les patients ayant des besoins plus urgents des autres patients n’a pas été évaluée [116].

1.4.1.2. Méthodes de priorisation des demandes de consultation

Différentes méthodes peuvent être utilisées pour prioriser des demandes de consultation : entretien téléphonique avec le patient, discussion avec le référent, consultation du dossier du patient ou une rencontre d’évaluation en personne. Selon les résultats d’une revue systématique, plusieurs de ces méthodes ont un effet bénéfique sur le temps d’attente, mais les évidences actuelles ne permettent pas d’identifier le meilleur mode de priorisation pour les troubles musculosquelettiques [123]. Les résultats de cette revue indiquent que la priorisation effectuée par téléphone offre une bonne précision diagnostique, une satisfaction élevée de la part du patient et une réduction du temps d’attente. Cette méthode, jugée efficace en termes de coût-bénéfices, permettrait aussi d’éliminer ou de réorienter les demandes inappropriées [124]. Par contre, des experts consultés ont signalé le fait qu’il n’est pas possible d’identifier des signes et symptômes physiques au téléphone et que les cas complexes peuvent être plus difficiles à diagnostiquer [123]. Par ailleurs, bien que la priorisation basée sur la prescription médicale puisse aussi réduire le temps d’attente, cette méthode serait limitée par les difficultés de partage d’information entre différents milieux de soins de santé (p. ex. les cliniques médicales et les hôpitaux). Enfin, la priorisation effectuée en personne est un processus jugé très satisfaisant par les patients qui permet un meilleur processus d’évaluation et de diagnostic des troubles musculosquelettiques, en plus de réduire le temps d’attente [123].

La méthode de priorisation effectuée en personne a d’ailleurs été étudiée dans le contexte des services de physiothérapie en clinique externe. En effet, une équipe de chercheurs en Australie a mis en place une stratégie de priorisation prometteuse inspirée de l’accès adapté [125]. L’accès adapté est une méthode appliquée aux médecins en première ligne qui a fait ses preuves en termes d’amélioration du temps d’attente [126]. Ce modèle de pratique préconise les rendez-vous médicaux donnés le jour même en limitant les rendez- vous prévus à l’avance. L’équipe de recherche de Harding et al. [125] s’est donc inspirée de l’accès adapté afin d’instaurer un système visant à réduire la liste d’attente dans un programme de réadaptation : le specific timely appointments for triage (STAT). Dans le programme de réadaptation où l’expérience a été menée, les cliniciens réservaient préalablement des plages horaires destinées à l’évaluation de nouveaux patients, ce qui permettait de planifier un rendez-vous initial très rapidement. Les cliniciens avaient ensuite la possibilité de prioriser les patients et d’ajuster leur suivi en tenant compte du nombre de dossiers actifs qui leur étaient attribués et des besoins des patients. Certains patients pouvaient donc bénéficier d’un suivi hebdomadaire alors que d’autres recevaient un programme d’exercice à domicile qui était ajusté quelques semaines plus tard [125]. Les cliniciens avaient alors tendance à utiliser davantage les séances en groupe et à modifier la fréquence des traitements [127]. Le modèle STAT a entrainé une diminution de 22 à 43% du temps d’attente [125, 128] et ses bénéfices ont été reconnus par les cliniciens et les patients [127]. Ce modèle a aussi permis de diminuer le nombre de séances par patient et d’augmenter la proportion de patients n’ayant besoin que d’une seule séance [128]. De plus, il permettait aux cliniciens de mettre en perspective les besoins des patients qui reçoivent actuellement des services avec ceux des nouveaux patients, ce qui peut mener à des prises de décisions plus informées en termes de priorisation [26]. Il convient de préciser que le temps d’attente moyen pour ce programme de réadaptation était de 18 jours avant l’implantation du modèle STAT; d’autres recherches sont donc nécessaires afin d’évaluer l’efficacité du modèle dans un contexte où l’attente est plus longue. Les auteurs précisaient d’ailleurs que ce modèle est probablement idéal pour les services de santé où la demande et les ressources sont proportionnelles [125].

Ainsi, les évidences sont mitigées quant à l’efficacité et la fidélité des processus de priorisation des demandes de consultations. Certaines méthodes de priorisation pourraient avoir des effets sur le temps d’attente, mais ces effets sont encore méconnus dans le contexte des services de physiothérapie en clinique externe au Québec. D’autres caractéristiques organisationnelles sont susceptibles d’avoir un impact direct ou indirect sur le temps d’attente, notamment certaines pratiques cliniques.