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SECTION 3 : LE DEVELOPPEMENT DURABLE :

6. Les instruments et les politiques dédiés à la « durabilité » économique :

6.2. Le principe de précaution - pollueur payeur (4P) :

La mise en oeuvre de cette vue de la science nécessite une nouvelle approche de la protection de l'environnement qui reconnaît l'existence de la vraie incertitude plutôt que de la nier, et qui inclut des mécanismes de protection contre ses effets potentiellement

78 nuisibles tout en encourageant en même temps le développement de techniques à plus faible impact et la réduction de l'incertitude sur les impacts.

Le principe de précaution prépare le terrain pour cette approche - le défi réel est de développer des méthodes scientifiques pour déterminer les coûts potentiels de l'incertitude et pour ajuster les incitations de façon que les parties appropriées payent ce coût de l'incertitude et aient des motivations appropriées pour réduire ses effets nuisibles. Sans cet ajustement, les coûts totaux des dégâts environnementaux continueront à être laissés hors de la comptabilité et les subventions cachées de la société à ceux qui profitent de la dégradation environnementale continueront à fournir des incitations fortes à dégrader l'environnement au-delà des niveaux durables14.

Pendant les deux décennies passées il y a eu des discussions marathoniennes sur l'efficacité qui peut théoriquement être atteinte dans la gestion environnementale à l'aide des mécanismes du marché (Brady & Cunningham 1981, Cropper & Oates 1990). Ces mécanismes sont conçus pour modifier la structure de prix du système de marché actuel pour incorporer les coûts sociaux et écologiques totaux à long terme des activités d'un agent économique. Les mécanismes "incitatifs" suggérés incluent des taxes sur la pollution, des permis négociables de pollution, des exigences de responsabilité financière et des systèmes de consignation. Prendre en compte l'incertitude omniprésente inhérente aux problèmes environnementaux d'une façon précautionneuse est possible en utilisant de nouvelles versions de ces alternatives incitatives.

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Peskin, H. M. 1991. Alternative environmental and resource accounting approaches. In Ecological Economics: the Science and Management of Sustainability, ed. R. Costanza. New York: Columbia Univ. Press.

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6.2.1. Les instruments incitatifs :

Un instrument incitatif innovant est actuellement étudié pour gérer l'environnement par précaution dans un contexte d'incertitude, c'est un système de caution d'assurance environnementale flexible (Costanza & Perrings 1990). Cette variante du système de

consignation est conçue pour intégrer à la fois les coûts environnementaux connus et incertains dans le système incitatif et pour induire de l'innovation technique

environnementale positive. Il fonctionne de cette façon : en plus de faire payer un agent économique directement pour les dégâts environnementaux connus, une caution d'assurance égale à la meilleure estimation actuelle des plus gros dégâts environnementaux futurs potentiels serait prélevée et conservée dans un compte bloqué porteur d'intérêts pendant une durée prédéterminée. Conformément au principe de précaution, ce système nécessite l'engagement de ressources maintenant pour compenser les effets futurs potentiellement catastrophiques d'une activité actuelle. Des parties de la caution (plus l'intérêt) seraient remboursées quand l'agent pourrait démontrer que les pires dégâts soupçonnés ne se sont pas produits ou seraient inférieurs à ceux initialement estimés.

Si des dégâts se produisent vraiment, des parties de la caution seraient utilisées pour réhabiliter ou réparer l'environnement et éventuellement pour indemniser les parties lésées. Les fonds retenus en caution pourraient continuer à être utilisés pour d'autres activités économiques. Le seul coût serait la différence (en plus ou en moins) entre l'intérêt sur la caution et le retour qui aurait pu être gagné par l'entreprise si elle avait investi dans d'autres activités. En moyenne on devrait s'attendre à ce que cette différence soit minimale. De plus, "l'épargne obligatoire" que la caution impliquerait pourrait en réalité améliorer la performance économique totale dans des économies comme celle des Etats-Unis, qui est chroniquement sous capitalisée.

80 En exigeant que les utilisateurs de ressources environnementales déposent une caution adéquate pour couvrir des futurs dégâts environnementaux incertains (avec possibilité de remboursements), la charge de la preuve (et le coût de l'incertitude) est reportée du public sur l'utilisateur de la ressource. En même temps, les agents ne sont facturés d'aucune façon définitive pour des dégâts futurs incertains et peuvent récupérer des parties de leur caution (avec intérêt) en proportion de leur performance par rapport au plus mauvais cas.

Les systèmes de consignation, en général, ne sont pas un concept nouveau. Ils ont été appliqués avec succès à une gamme d'objectifs politiques de consommation, conservation et environnementaux (Bohm 1981). Les exemples les mieux connus sont les systèmes pour les conteneurs de boisson et les huiles de vidange usagées qui ont tous deux prouvé leur efficacité.

Les cautions de performance et d'assurance environnementale fonctionneraient d'une façon similaire (en fournissant une garantie contractuelle que l’industriel opèrerait d'une façon environnementalement inoffensive), mais seraient prélevées pour la meilleure estimation courante des plus gros dégâts environnementaux potentiels futurs. Les fonds dans la caution seraient investis et produiraient un intérêt qui pourrait être rendu à l’industriel. Une stratégie d'investissement "environnementalement inoffensive" serait probablement la plus appropriée pour une telle caution.

Ces cautions pourraient être administrées par l'autorité régulatrice qui gère actuellement l'opération ou la procédure (par exemple, aux Etats-Unis, le Ministère de l'Environnement). Mais on peut débattre du fait qu'il est meilleur de mettre en place une agence complètement indépendante pour administrer les cautions. La conception détaillée des institutions administrant la caution mérite une réflexion et une analyse complémentaire considérable et dépendra des exigences de chaque situation individuelle.

81 La caution serait retenue jusqu'à ce que l'incertitude ou une certaine partie de celle ci soit supprimée. Cela fournirait une incitation forte au principal pour réduire l'incertitude sur leurs impacts environnementaux aussi rapidement que possible, soit en finançant la recherche indépendante ou en changeant leurs processus pour d'autres qui soient moins destructeurs. Un corps quasi judiciaire serait nécessaire pour résoudre les désaccords sur la date et le montant des remboursements des cautions. Ce corps utiliserait la dernière information scientifique indépendante sur les pires dégâts écologiques qui pourraient résulter des activités d'une société, mais avec la charge de la preuve sur l'agent économique qui recherche un gain dans l'activité, pas sur le public. Le protocole pour l'analyse la plus pessimiste existe déjà au sein du Ministère de l'Environnement américain. En 1977 le Council on Environmental Quality américain a exigé l'usage d'analyse la plus pessimiste pour mettre en oeuvre le NEPA (National Environmental Policy Act de 1969). Cet acte exigeait de l'agence régulatrice qu'elle considère les pires conséquences environnementales d'une action quand une incertitude scientifique était impliquée (Fogleman 1987).

6.2.2. Les instruments incitatifs sont ils sélectifs ? :

Un argument potentiel contre la caution est qu'elle favoriserait les sociétés relativement grandes qui pourraient se permettre de supporter la responsabilité financière d'activités potentiellement dangereuses pour l'environnement. C'est vrai, mais c'est exactement l'effet désirable, puisque les sociétés qui ne peuvent pas supporter la responsabilité financière ne devraient pas transmettre le coût de dégâts environnementaux potentiels au public. « Dans l'industrie de la construction, les petites sociétés "qui déménagent à la cloche de bois" sont empêchées (à l'aide des cautions de performance) de prendre des raccourcis et de mettre en danger le public pour faire une soumission moins chère que les sociétés responsables »15.

15

82 Cela ne veut pas dire que les petites entreprises seraient éliminées. Loin de là. Elles pourraient soit former des associations pour gérer la responsabilité financière d'activités environnementalement risquées, ou, de préférence, elles pourraient changer vers des activités environnementalement plus inoffensives qui n'exigeraient pas de grosses cautions d'assurance. Cet encouragement au développement de nouvelles techniques environnementalement inoffensives est une des séductions principales du système de caution et les petites start-ups montreraient certainement le chemin.

Les éléments individuels du système 4P ont un large support théorique, et ont été mis en oeuvre auparavant sous des formes diverses. Le principe de précaution acquiert une large acceptation dans beaucoup de secteurs où la vraie incertitude est importante. Les procédés de règlement environnemental à base d'incitation sont également reçus comme des façons plus efficaces d'atteindre des buts environnementaux. Par exemple, l’U.S. Clean Air Act contient un système de permis négociables pour contrôler la pollution atmosphérique.

Le principe de précaution comme le principe pollueur-payeur sont incorporé dans l'Agenda 21, les résolutions finales de la Conférence de 1992 des Nations unies sur l'Environnement et le Développement (Agenda 21,1992). En liant ces deux principes importants, nous pouvons commencer à prendre en compte effectivement l'incertitude d'une façon économiquement efficace et écologiquement durable.

Dans un sens, nous allons déjà dans la direction du système 4P. Plus la responsabilité stricte pour les dégâts environnementaux devient la norme, plus les entreprises prévoyantes commencent déjà à se protéger contre des possibles futurs procès et des demandes de dommages et intérêts en mettant de côté des fonds à cette fin. Le système 4P est, en fait, une exigence que toutes les entreprises soient prévoyantes. C'est une amélioration par rapport à la responsabilité stricte parce que cela :

83 § Déplace explicitement les coûts dans le présent où ils auront un impact maximal sur

le processus décisionnel, et les reporte du public sur l'utilisateur de la ressource, § Fournit des évaluations centrées sur les limites des impacts potentiels dans une

perspective économique écologique complète, pour assurer que la taille des cautions soit assez grande pour couvrir les pires dégâts,

§ Assure qu'une utilisation appropriée des fonds est faite en cas d'un défaut partiel ou

total dans le processus de production.

Grâce à sa logique, son équité, son efficacité et sa capacité à mettre en oeuvre, le système 4P promet d'être à la fois économiquement pratique et politiquement faisable. Cette promesse est assurée par l'utilisation de mécanismes légaux et financiers qui ont des précédents longs et couronnés de succès par le passé.

Nous pensons qu'il peut faire beaucoup pour aider à sortir de la crise environnementale actuelle avant qu'il ne soit trop tard.