• Aucun résultat trouvé

2.5 La chaîne de détection

3.1.1 Principe général

La section efficace d’un processus d’interaction est, en régime linéaire, la quantité ho-mogène à une surface et indépendante des conditions expérimentales, définie comme le quotient de la probabilité d’interaction par le flux de particules incidentes (en l’occurrence le flux de photons, cf. sous-section 1.2, chapitre 1).

La méthode de la saturation permet de mesurer une section efficace absolue d’un pro-cessus d’interaction lumière-matière. Elle consiste à observer l’évolution du nombre d’évé-nements (le nombre de neutres produits dans le cas du photodétachement, par exemple) en fonction du flux de la source de lumière. Quand le flux devient suffisamment fort, le processus sature.

Habituellement, pour mesurer une section efficace absolue, on doit calibrer l’efficacité de détection et le nombre d’ions éclairés pour connaître l’effet d’un flux lumineux donné. La saturation, en montrant à quel flux on commence à converger vers une probabilité de

photodétachement de 1, permet de s’affranchir de cette calibration.

Historiquement, la méthode fut utilisée pour la première fois par Hall et al. [HRB65]. Ils saturèrent le photodétachement de l’ion H avec un laser à rubis (λ = 684,3 nm) pulsé. Les auteurs n’apportèrent pas de précision quant au résultat numérique de la section efficace obtenue, mais indiquèrent qu’il était en accord avec celui de Geltman [Gel62]. La méthode fut ensuite adaptée, et parfois redécouverte indépendamment comme c’est le cas pour la photoionisation [AFLP76, HSZ77], pour la mesure de la section efficace (voire de la section efficace généralisée) d’une grande variété de processus (détachement multiphotonique, photoionisation etc.).

3.1.2 La méthode de la saturation dans la littérature

Saturation du photodétachement d’ions négatifs Dans leur expérience, Hotop et Lineberger [HL73] firent s’intersecter un laser à colorant pulsé avec un jet constitué d’ions Au, Ag, Pt et/ou PtN. Ils mirent en œuvre la méthode de saturation partielle du photodétachement des ions Ag et Pt (à 16900 cm−1) utilisée quelque temps plus tôt par Hall et al. sur H. À partir de la valeur de la section efficace de Ag à 16900 cm−1

et d’un modèle qu’ils élaborèrent (cf. sous-section 3.2.1), ils purent déduire la valeur de la section efficace de Pt−∗1 (à 16900 cm−1) en comparant la courbe de saturation de cet ion avec celle de Ag. Cette technique qui consiste à comparer les courbes de saturation de deux éléments dont la section efficace de l’un est connue fut réutilisée au moins à trois reprises (par le groupe de D. J. Pegg) sur l’ion Li (précision 8-11%) [DLT+92], sur l’ion C (à 2, 076 eV précision 15 %) [LBPH97] puis en 1998 sur l’ion Ca (à 2, 08 eV, précision 8-11 %) [LPH98]. Dans le cas du carbone, le photodétachement eut lieu à partir d’un terme spectral excité. En 1992, P. Balling et al. [BBAH92], dans un article consacré à la mesure de la section efficace de photodétachement de Cu, améliorèrent le modèle ébauché par Hotop et Lineberger (cf. sous-section 3.2.2).

La saturation avec des ions piégés D’autres expériences du même type furent réa-lisées sur des ions piégés. C’est Kwon et al. en 1989 [KAO+89] qui en firent la première démonstration. Ils saturèrent le photodétachement (à un, deux et trois photons) des ions F qu’ils confinaient dans un piège de Penning (somme d’un champ magnétique axial et d’un champ quadrupolaire électrique) à l’aide d’un laser Nd:YAG pulsé opérant à 1064 nm

1. D’après les auteurs, ce niveau excité correspond soit au niveau excité 2D3/2, soit au niveau 2S1/2, soit aux deux.

(et les deux premières harmoniques). L’avantage du confinement est l’apparente immo-bilité des ions durant le passage des impulsions, entraînant un découplage complet entre les coordonnées spatiales et temporelles. Leur expérience consistait à mesurer l’évolution du nombre d’ions présents dans le piège en fonction du nombre d’impulsions émises par le laser. La confrontation de ces mesures à un modèle théorique adapté leur permettait d’en déduire la section efficace avec une précision relative de 18 %. Plus tard, Champeau et al. [CCM+98] réalisèrent, avec la même technique de saturation, d’autres mesures de section efficace de photodétachement sur une large bande spectrale (447 à 532 nm) des ions Au, mais dans un piège de Paul (champ électrique RF).

Saturation multiphotonique Dans le même temps, des expériences utilisant la tech-nique de la saturation furent mises en place dans le cas du photodétachement multiphoto-nique. C. Blondel et al. saturèrent, en 1989, le photodétachement à trois photons des ions I, Br et F à 1064 nm [BCC+89]. Ils extrayèrent de ces mesures les sections efficaces associées. Pour cela, ils élargirent au cas du photodétachement multiphotonique d’ions négatifs en mouvement uniforme, le modèle d’interaction laser-neutres immobiles (photo-ionisation multiphotonique non-résonante également applicable pour le photodétachement) développé par Cervenan et Isenor (1975) [CI75], puis par Boulassier (1976) [Bou76] dans le cas d’une onde gaussienne, qu’ils comparèrent à leurs données expérimentales. La rela-tion de proporrela-tionnalité entre la probabilité d’un processus non-linéaire à k photons et la puissance kième de l’intensité de l’onde laser est à l’origine d’une modification de compor-tement de la courbe de saturation à bas flux selon le nombre de photons impliqués durant l’interaction. L’évolution est linéaire à un photon et quadratique à deux photons. On peut citer l’article de Kwon et al. sur le photodétachement de F à un, deux et trois photons réalisé dans un piège de Penning [KAO+89]. La section efficace à trois photons obtenue est en excellent accord avec celle publiée par Blondel et al. quelques mois plus tôt. Il est à noter que l’expérience avec un jet d’ions donne une meilleure précision qu’avec un piège.

Application à la photoionisation La technique de la saturation fut et est encore très couramment utilisée pour déterminer les sections efficaces de photoionisation. Ambart-zumian et al. [AFLP76], en 1976, furent les premiers à décrire cette méthode (pour la photoionisation et indépendamment du photodétachement). Ils saturèrent un jet de ru-bidium atomique avec un laser à rubis pulsé dont les atomes avaient été préalablement envoyés vers l’état excité 6 2P1/2 ou 62P3/2, à l’aide d’un laser à colorant également pulsé. Ils déterminèrent de cette manière des sections efficaces précises à 25 %. Ils n’étaient pas les

premiers utilisateurs de la méthode puisque en 1977, Heinzmann et al. [HSZ77] publièrent un article commentant celui de Ambartzumian et al. pour préciser qu’ils avaient mesuré, trois ans plus tôt, et avec une méthode similaire certaines sections efficaces de photoionisa-tion du césium. Depuis, la méthode a été utilisée sur un grand nombre de transiphotoionisa-tions pour un grand nombre d’éléments [SGNS80, BLXL88,HBCL91, SIS+12] (précision pouvant at-teindre les 10 %) et fut également appliquée comme diagnostic de mesure de la densité d’ions ou d’atomes présents dans un jet [BLXL88].

La saturation utilisée comme diagnostic dans les plasmas d’ions négatifs Paral-lèlement à ces travaux, la saturation du photodétachement fut utilisée pour la réalisation de diagnostics permettant la mesure de la densité et, jusqu’à une certaine mesure, de la température des ions négatifs au sein de plasmas. La technique consiste à envoyer dans le plasma une onde laser impulsionnelle de manière à photodétacher les ions négatifs présents dans son sillage. Il est possible par un choix de longueur d’onde appropriée du laser, de ne photodétacher efficacement qu’une seule espèce ionique (H, O etc.) tout en évitant, en raison de la faiblesse des affinités électroniques, les autres processus générant des électrons (par exemple la photoionisation). De plus, si l’énergie des impulsions est suffisamment grande, le photodétachement est saturé et chaque ion présent donne lieu à la libération d’un électron. La mesure (réalisée par exemple par une sonde de Langmuir placée dans le faisceau laser) de la densité électronique durant le passage de l’impulsion permet d’avoir accès à la valeur de cette surdensité générée par photodétachement qui est exactement égale à celle des ions négatifs présents juste avant le passage du laser. Cette technique a été appliquée pour la première fois par Joseph Taillet pour mesurer la densité d’ions O

au sein d’une décharge [Tai69], puis, dix ans plus tard, sur H et D par M. Bacal et G.W. Hamilton [BH79] dans un plasma d’hydrogène.

En plus de la mesure de densité, a été démontrée la possibilité de mesurer la tempé-rature des ions en déterminant l’évolution de la densité d’ions en fonction du temps après l’impulsion [DAB+89]. Pour ce faire, une seconde impulsion (sonde) superposée spatiale-ment à la première est envoyée pour photodétacher les ions qui se sont entretemps réunis dans la zone balayée par la première impulsion. Une succession de mesures de ce type permet de connaître la progression de la densité d’ions après la première impulsion. Un modèle théorique décrivant l’évolution du plasma dans cette situation permet de déduire la température des ions négatifs. Cette technique ne fonctionne cependant que dans un certain domaine de densité, tel que le rapport densité d’ions sur densité électronique soit inférieur à 0, 2. Au-delà plusieurs problèmes interviennent [Bac00].

Ces diagnostics sont beaucoup utilisés pour comprendre le comportement des plasmas dans les sources d’ions négatifs dont les développements sont cruciaux pour l’injecteur de neutres d’ITER.

Saturation du photodétachement de H Les seules mesures de la section efficace de photodétachement de H effectuées avec un laser sont celles de Hall et al. [HRB65] (cf. supra) et de Frost [Fro81, BBC+81] qui réalisa des mesures relatives depuis le seuil de détachement à un électron jusqu’au delà du seuil à deux électrons à l’aide d’un laser Nd:YAG pulsé. Il exploita, pour ses mesures, le faisceau d’ions relativistes en sortie de l’accélérateur du LAMPF (cf. chapitre 1, section 1.3.3.1).

Pour extraire une section efficace précise de photodétachement de H à 1064 nm à partir des données expérimentales, il convient d’établir le modèle décrivant l’interaction laser-jet. Sa construction se fait en deux étapes. Dans la première, le faisceau laser et le jet d’ions sont considérés comme étant homogènes et immobiles de manière à mettre en lumière les points clés de la méthode de la saturation. Dans la seconde étape, est intégré au modèle l’ensemble des aspects spatio-temporels et notamment les profils d’intensité du faisceau laser et du jet d’ions qui sont à l’origine, en raison de certains effets de volume, de déformations de la courbe de saturation.