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Chapitre 5: « Self-Control Strength Model » et Addiction

1. Le “Self-Control Strength Model”

1.1.1. Principe de l’« Ego Depletion »

Pour confirmer ce modèle, Baumeister et ses collaborateurs démontrent que lors d’une situation nécessitant la pratique consécutive de deux actions faisant appel à la capacité de self-control, les performances lors de la seconde tâche (différente de la première) sont très souvent altérées (Baumeister et al., 1998a ;Muraven et al., 1998). Ceci suggérant donc que la pratique du self-control nécessite de puiser et de consommer une partie des ressources qui deviennent donc indisponibles pour la réalisation d’un second effort (Baumeister et al., 1994 ; Baumeister et al., 1994 Baumeister et al., 1998a; Muraven et al., 1998). Outre le self-control, cette fatigue mentale ou « ego depletion » affecte également d’autres types de comportements volontaires et peut ainsi altérer temporairement la prise de décision mais également le contrôle inhibiteur, la mémoire de travail et la flexibilité comportementale (Baumeister and Vohs, 2016c; Vohs et al., 2008). La pratique initiale du self-control peut donc également altérer les décisions des individus et les rendre plus malhonnêtes et agressifs (Mead et al., 2009; Nathan DeWall et al., 2007).

Ce phénomène a pu être observé en laboratoire chez des participants recrutés dans le but d’étudier les effets de la pratique d’une tâche de self-control (résistance à la tentation ou d’une prise de décision et de responsabilité), sur la capacité de self-control lors d’une seconde procédure consécutive totalement indépendante de la première, mesurant un comportement différent (persistance face à une activité difficile et frustrante) (Baumeister et al., 1998a). Ainsi, dans les premières études menées pour mettre en évidence ce phénomène, les participants ont été privés de nourriture pendant quelques heures puis mis en présence de nourriture appétissante (cookies, chocolats,…). Alors que certains participants ont l’autorisation de manger cette nourriture, d’autres au contraire doivent résister à cette tentation et faire preuve de self-control. Par la suite, il est demandé à l’ensemble des participants de résoudre un casse-tête non solvable(notion qui ne leur a pas été précisée). Dans cette seconde partie de l’étude l’expérimentateur s’intéresse à la

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persévérance des participants dans la réalisation de ce casse-tête. En effet, le self-control serait nécessaire pour surmonter le désir d’abandonner et persévérer dans la réalisation de cette tâche. L’étude révèle que les participants ayant dû résister à la tentation passent moins de temps à tenter de résoudre le casse-tête et abandonnent plus rapidement (Baumeister et al., 1998a). Ainsi, en démontrant que la pratique d’une première tâche nécessitant le self- control induit une fatigue cognitive altérant la réalisation d’une seconde tâche de self- control totalement indépendante, les auteurs mettent en évidence que la réalisation de ces deux tâches est dépendante d’une seule et unique source d’énergie limitée (Baumeister et al., 1998a). De même Vohs et Heatherton montrent que des personnes au régime mises en présence de sucreries sont plus aptes à rompre leur régime que des personnes n’ayant pas été mises en présence de nourriture (Vohs and Heatherton, 2000). Une telle altération des performances lors de la seconde tâche nécessitant la pratique du self-control peut se généraliser à différentes sortes de procédures (Blain et al., 2016a; Muraven and Baumeister, 2000a). En effet, bon nombre de comportements et de procédures peuvent induire une déplétion du self–control et être à l’origine du phénomène de l’« Ego depletion ». L’élément limitant étant le fait que les procédures utilisées doivent obligatoirement impliquer la pratique d’un effort cognitif. Ainsi, hormis les situations nécessitant de résister à la tentation et aux pulsions, des procédures impliquant l’utilisation de différentes fonctions exécutives telle que la flexibilité comportementale, la prise de décision et l’inhibition sont également très utilisées pour induire une fatigue cognitive (Baumeister et al., 1998a; Blain et al., 2016a, 2016a; Christiansen et al., 2012a; Otten et al., 2014a; Vohs et al., 2008).

Pour résumer, le « Self-Control Strength Model » suggère que la pratique d’un effort cognitif intense induit un état de déplétion (« Ego Depletion ») se manifestant par une fatigue cognitive. Celle-ci peut se traduire par une altération des capacités et des processus intellectuels de haut niveau faisant entre autres appel à un raisonnement logique. En effet, une situation de fatigue cognitive, induit une diminution du contrôle inhibiteur favorisant ainsi le contrôle du comportement par les pulsions. En conditions normale, lorsque les ressources sont rechargées, le contrôle central permet de tempérer et modérer les impulsions de sorte à maintenir un comportement approprié.

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1.1.2. « Ego Depletion » et théorie du glucose

Selon la théorie du « Self Control Strength Model », la pratique d’un effort cognitif dépendrait d’une ressource ou d’une énergie limitée (Baumeister et al., 2007; Muraven and Baumeister, 2000a). L’hypothèse la plus populaire concernant la nature de cette énergie a été proposé par Gailliot et ses collaborateurs qui suggèrent que le glucose sanguin correspondrait à cette ressource limitée qui serait épuisée suite à la pratique d’un effort cognitif (Gailliot and Baumeister, 2007b; Gailliot et al., 2007a). Dans leur étude les auteurs démontrent que la glycémie semble être réduite suite à la pratique d’une procédure de self- control, que ce faible taux de glucose sanguin pourrait prédire les déficits comportementaux lors d’une seconde tâche et enfin que l’ingestion d’une boisson sucrée permettrait de restaurer le taux de glucose et d’améliorer les performances lors de la seconde tâche (Gailliot et al., 2007a). Cette hypothèse semble toutefois être controversée. En effet, alors que certaines études semblent démontrer une augmentation des performances cognitives lors d’une tâche de mémoire de travail ainsi qu’une augmentation des capacités d’inhibition suite à une consommation de glucose (Denson et al., 2010; Owen et al., 2012), de nombreux travaux réfutent cette théorie (Boyle et al., 2016; Dang, 2016; Vadillo et al., 2016a). D’un point de vue théorique tout d’abord, l’hypothèse du glucose semble présenter quelques incohérences puisque le modèle suggère que la pratique du self-control réduirait le taux de glucose par une consommation d’énergie par le cerveau. Or les travaux de Gailliot ne démontrent qu’une variation de glucose sanguin qui ne semble pas refléter le métabolisme cérébral (Vadillo et al., 2016a; [CSL STYLE ERROR: reference with no printed form.]). De plus il semblerait que malgré la déplétion, il soit possible de trouver suffisamment d’énergie pour contrecarrer les effets de celle-ci et parvenir à exercer un acte de self-control (pour revue (Baumeister and Vohs, 2016a). De nombreuses études ont d’autre part échoué dans la réplication des travaux de Gailliot et ne montrent pas de diminution de la glycémie suite à la pratique d’un effort cognitif (Job et al., 2013; Lange and Eggert, 2014; Lange et al., 2014; Vadillo et al., 2016a). De plus, de nombreux travaux et méta-analyses ont par la suite démontré l’absence de lien entre le glucose et la théorie de Baumeister invalidant ainsi l’hypothèse d’une diminution des ressources énergétiques dans le cerveau (Dang, 2016; Vadillo et al., 2016a).

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1.1.3. “Ego depletion”, et ressources résiduelles

Les mécanismes sous-jacents au phénomène d’« Ego Depletion » étant encore méconnus, de nouvelles théories ont vu le jour. En 2015, Evans et ses collaborateurs proposent un potentiel mécanisme pouvant expliquer le phénomène de fatigue cognitive en se basant sur des théories concernant la fatigue musculaire (Evans et al., 2015). Après un exercice physique, les muscles perçoivent ce que l’on considère comme étant de la fatigue musculaire alors que d’un point de vue physiologique ils n’ont pas encore atteint leur limite de fonctionnement puisqu’il semblerait qu’ils conservent une certaine quantité d’énergie (pour revue : Baumeister and Vohs, 2016a). Se basant sur cette théorie, Evans et ses collaborateurs proposent que le phénomène d’« Ego Depletion » proviendrait de la directive d’un gouverneur central qui, ayant perçu la réalisation d’un effort cognitif, ordonnerait de conserver les ressources énergétiques restantes (Evans et al., 2015). Cette théorie de la conservation des ressources résiduelles permet d’expliquer les résultats d’une étude réalisée au début des années 2000 lors de laquelle les auteurs montrent qu’une récompense sociale et financière constitue une motivation suffisante pour permettre aux participants de maintenir une bonne performance lors d’une seconde procédure de self–control malgré la pratique d’une première tâche (Muraven and Slessareva, 2003). Ainsi, bien que les participants soient en situation d’« Ego Depletion » leur motivation est suffisamment forte pour contrecarrer les effets de la fatigue cognitive en puisant dans les ressources résiduelles qu’ils avaient conservés. De plus, en rapport avec cette théorie de conservation des ressources, Muraven et collaborateurs, ont également montré que la sévérité des déficits et de la déplétion induite suite à la pratique d’un effort cognitif variait en fonction des attentes des individus, à savoir la connaissance de futurs conflits ou d’autres demandes. De ce fait, si des individus ont conscience de devoir réaliser une seconde tâche de self-control dans un futur proche ils auront tendance à réduire sévèrement leurs performances et leurs capacités lors de la première tâche et induire une très forte déplétion de sorte à pouvoir anticiper la réalisation de la seconde (Baumeister et al., 2007; Muraven et al., 2006). Un processus de conservation des ressources semble donc se mettre en place dans ce genre de situations. Les individus semblent donc être plus aptes à fournir une meilleure performance lorsqu’ils n’anticipent pas les demandes futures, car ils auraient donc moins besoin de conserver leurs ressources énergétiques. De même, Weeb et Sheeran démontrent qu’il est également

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possible de moduler la sévérité de cette déplétion en indiquant aux individus la meilleure façon de se comporter dans telle ou telle situation. De cette manière ces intentions peuvent être perçues comme des plans et des règles à suivre ce qui semble donc réduire l’utilisation du control exécutif (Webb and Sheeran, 2003). Ainsi, outre les limites physiologiques, la motivation et la dimension mentale jouent un rôle important dans le phénomène d’ « Ego

Depletion » (Dang, 2016; Inzlicht et al., 2014).