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Modèle du savoir linguistique, modèle de la dynamique des actes

3.7. Cadre général du modèle dynamique

3.7.3. Principe d'escalade

Le principe d'escalade est aussi un principe d'économie selon le profilage qu'on lui donne. Il est le suivant : la dynamique d'un acte linguistique (comme celle de toute tâche qu'il peut comporter) met en œuvre en premier recours des processus courts, donc économiques, partant des termes arguments de la tâche et atteignant des inscriptions qui en restent proches. Cette dynamique est peu abductive. Un processus court produit en priorité des formes directement attestées et peut-être anomales. Quand une dynamique courte est improductive, alors seulement, sont mis en œuvre par escalade des processus plus longs, donc plus coûteux, sollicitant des inscriptions moins proches des termes arguments. Ces processus sont plus fortement abductifs. Soit ils produisent des formes attestées mais distantes des termes de la tâche, soit ils produisent des formes non directement attestées, donc "analogiques" par assemblage, donc "régulières".

L'effet d'escalade est obtenu à peu près gratuitement, presque sans soin particulier, une architecture simple et saine favorisant l'obtention des résultats les plus directs. A cette "naturalité" contribuent les caractères du modèle dynamique (ci-dessous et

annexe) : phasage, concurrence, coopération possible de différentes voies, intégration d'effets.

L'explication qui vient d'être donnée comporte l'articulation "Quand une dynamique courte est improductive, etc.". Ce n'est qu'une manière de s'exprimer pour introduire la question simplement ; elle ne doit pas induire l'idée d'un point particulier dans la dynamique où une décision précise serait prise d'abandonner des dynamiques courtes pour passer à des dynamiques longues. Il faut plutôt voir des processus multiples de natures diverses se développant en parallèle, le succès des uns les faisant finalement prévaloir sur ceux dont les productions sont plus faibles. Toutefois l'effet final est celui qui a été indiqué.

Le principe d'escalade est illustré dans la section 6.4. Anomalie et régularité (p.190) mais il est bon de comprendre qu'il ne s'applique pas qu'au traitement de l'anomalie ; par exemple il a aussi un rôle important dans l'explication de la généralisation graduelle des acquis au cours de l'apprentissage, cf. section 8.2. Apprentissage,

réanalyse (p. 263).

La présentation du modèle dynamique va maintenant être poursuivie sur un mode technique mais qui reste introductif. Une spécification techniquement complète peut être consultée en annexe, p. 349.

3.7.4. Agents

Une approche fréquente en modélisation consiste à concrétiser une dynamique complexe en la parcellisant. Dans notre cas, parcelliser a deux raisons concourantes : - la complexité, la variété des effets linguistiques globaux et leur sensibilité à de multiples facteurs conduit à voir ces effets comme combinaison de multiples actions plus simples,

- si le substrat du langage est constitué des neurones il est accepté que chacun ait une fonction très simple et ne soit pas le siège d'une intelligence. L'intelligence (linguistique) doit plutôt être obtenue comme un effet d'ensemble. Avec Minsky112, on s'efforce donc d'expulser toute intelligence des organes élémentaires ; si l'on en voyait un faire quelque chose de complexe, il faudrait s'appliquer à le remplacer par une assemblée d'organes plus simples.

Dans ce modèle, le calcul d'une tâche linguistique est ainsi parcellisé en petites unités fonctionnelles. Chacune est dévolue à un petit organe fonctionnellement spécialisé et simple. Ces organes sont appelés 'agents' ce qui peut être vu initialement comme la métaphore d'agents économiques ou d'agents occupant une fonction parcellisée dans une organisation humaine. Toutefois, il est conseillé d'abandonner très vite cette métaphore et, pour les agents du modèle, de s'en tenir aux clauses qui spécifient leur comportement sans plus chercher à les penser d'après la notion ordinaire d'agent. Ce n'est pas une plausibilité à la lettre qui est prétendue. Un agent ne correspond ni à un neurone ni à rien d'anatomiquement identifiable, ce n'est pas ce qui est recherché. Ce travail est entièrement orienté vers la mise en œuvre dynamique de l'analogie et

c'est donc à partir de manipulations élémentaires d'analogies que les fonctions des agents doivent être définies. C'est un palier qui est un peu plus haut et un peu plus linguistique que celui de Minsky.

Les agents sont de différents types selon les fonctions élémentaires nécessaires au calcul. Les grandes fonctions qui motivent des types d'agents différents sont :

- l'analyse d'énoncé reçu

- l'émission d'énoncé (non développé dans l'état courant du modèle) - suggestion de similitude au bénéfice d'autres agents (fonction de service)

- le calcul productif dans un système pluridimensionnel qui répond de la 'productivité systémique'.

Un acte linguistique typique engage entre quelques dizaines et quelques milliers d'agents selon l'acte dont il s'agit et selon la congruence de ses termes avec le contenu du plexus.

Un agent113 est une entité myope, son champ est restreint : a) à sa charge, b) à quelques données du plexus qui sont afférentes à sa charge et c) au point où il doit livrer ses résultats s'il lui arrive d'en produire. Un agent, à sa création, se voit assigner une charge qui est la spécification d'un besoin à remplir. La charge assignée à un agent est prise par lui comme une tâche à remplir mais l'agent ne la remplit pas lui-même entièrement. Il en remplit une partie, qui peut être vue comme un pas incrémental. L'action d'un agent, au cours d'un pas incrémental, comporte, selon les données du plexus afférentes à sa charge, de déterminer des charges dérivées de la sienne comme propres à poursuivre (abductivement) l'accomplissement de cette tâche. Il recrute alors d'autres agents et leur assigne ces charges. Les agents recrutés sont dits les commissaires du précédent lequel devient ainsi leur client. Ceci s'accomplit au cours d'une phase du calcul linguistique. La dynamique complète d'une tâche comprend en général plusieurs phases, jusqu'à sept, dix ou quinze, il n'y a pas de limite déterminée à ce nombre. Ainsi, phase après phase, se construit une structure d'agents qui est dite la structure heuristique. On trouvera des exemples de structures heuristiques Figure 33 p. 356 et Figure 44 p. 384. La structure heuristique comporte en réalité plusieurs modes d'édification ; elle est le siège d'effets globaux qui tempèrent la myopie des agents, on se reportera à l'annexe. Tel agent, ce n'est pas le cas de tous, peut rencontrer une condition favorable qui s'établit entre les données de sa charge et des données du plexus afférentes à sa charge ; une telle condition est toujours une coïncidence mais il y en a de différents types ; c'est une condition résolutoire, l'agent opère une résolution. Une résolution est toujours associée à un élément qui en est caractéristique, par exemple un terme ou une occurrence de terme dans le plexus ou encore un élément d'une autre nature. Cet élément est une trouvaille : une résolution évoque une trouvaille. Une trouvaille donnera un résultat mais entre trouvailles et résultats intervient une opération importante, la fusion : des trouvailles de même contenu sont fusionnées. L'opération de fusion n'est pas détaillée ici, se

113 Dans cette section, les mots soulignés sont ceux qui ont un sens spécifié dans le modèle. Ils sont employés avec ce sens de manière cohérente dans ce travail. Ils ne sont pas interprétables d'après leur sens commun. Se reporter au glossaire à la fin.

reporter à l'annexe. On trouvera un exemple de strucure heuristique montrant des résolutions et une fusion Figure 33 p. 280.

Une dynamique ainsi organisée est une 'résolution par agents' et a été dénommé ABS (agent-based solving). Pour la technique d'ABS cf. l'annexe 14, p. 349, qui la spécifie. Les principales notions d'ABS figurent aussi au glossaire.

3.7.5. Forces

La dynamique comporte des forces qui traduisent des longueurs de voies abductives, c'est-à-dire des coûts (la convention est qu'un résultat faible est un résultat coûteux à obtenir). Dans le modèle réalisé, ces coûts se présentent comme des coûts computationnels et ils sont interprétables comme analogues des coûts cognitifs associés aux actes linguistiques.

Le premier facteur qui agit sur les forces est la distance des termes de départ. Plus un résultat est distant, plus il est faible. Un second facteur est le renforcement : quand deux voies abductives aboutissent au même résultat, celui-ci s'en trouve renforcé par le mécanisme de fusion. La dynamique des forces est décrite en détail p. 366.

3.7.6. Canaux

A côté des agents, le second composant important d'ABS est le canal. Les canaux sont les points de la structure heuristique qui reçoivent les résultats, lesquels sont obtenus par fusion des trouvailles. Tout agent rapporte à un canal qui est son point de livraison. Il est légitime de voir les canaux comme assurant, dans le traitement d'une tâche, la dimension syntagmatique : quand une tâche comporte des termes en position mutuelle syntagmatique, il s'ouvre exactement un canal par position. Par contraste, les populations d'agents, entre eux en relation de clients à commissaires et entre lesquels n'interviennent pas de canaux, ont une position mutuelle paradigmatique : entre toutes leurs trouvailles et les termes qui en résultent par fusion, un choix exclusif doit être fait. La syntagmatique des canaux est d'application plus large que l'acception reçue pour 'syntagmatique' mais il est vrai qu'elle s'applique notamment exactement aux questions de syntaxe dans le sens le plus classique.