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Il est possible de classer les métabolites secondaires de plusieurs façons. La partie 1.2.1. présente ces derniers en fonction de leurs activités biologiques et de leurs intérêts pour l’Homme, mais il est également possible de classer ces molécules sur des bases structurales et de modes d’assemblage. En étudiant ces familles de molécules, ainsi que les enzymes impliquées dans leur assemblage, il est parfois possible de prédire des éléments de leur voie de biosynthèse. Il est également possible de prédire la localisation et la fonction des gènes impliqués dans cette biosynthèse. Ces prédictions sont particulièrement utiles pour la recherche de nouveaux métabolites secondaire (Cf partie 3.1.). Cette partie se concentre sur la description de familles majeures du métabolisme secondaire. Il ne s’agit pas ici de donner une liste exhaustive de ces familles, mais plutôt d’offrir un regard sur les mécanismes d’assemblage et la diversité des molécules synthétisables par quelques familles relativement bien étudiées comme les peptides non ribosomaux ou les polycétides.

1.3.1. Les NRPS et peptides non ribosomaux 1.3.1.1. Organisation des NRPS

Les peptides non ribosomaux (non ribosomal peptide : NRP) constituent l’une des principales familles de métabolites secondaires. Ces molécules sont assemblées par des méga- complexes enzymatiques appelés synthétases de peptides non ribosomaux (non ribosomal peptide synthetase : NRPS). Les NRPS sont constituées d'un ou plusieurs modules qui ont pour rôle l’incorporation d’un acide aminé dans la chaîne d’assemblage du peptide. Chacun de ces modules est lui-même subdivisé en domaines. Tous les modules contiennent obligatoirement le domaine d’adénylation (A), le domaine porteur de peptide (peptidyl carrier protein : PCP) et le domaine de condensation (C), à l’exception du module d’initiation qui lui ne contient pas de domaine C. Il existe d’autres domaines, accessoires, qui ne sont pas nécessairement présents mais qui permettent d’apporter des modifications au peptide en cours de synthèse. Ce sont, par exemple, les domaines méthyltransferase (MT) ou épimérase (E). Enfin, le dernier module contient un domaine thioestérase (Te) capable de libérer le peptide (Figure 9) (Finking and Marahiel, 2004).

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Figure 9 : Chaîne d’assemblage classique d’une NRPS

1.3.1.2. Mode d’assemblage

Le recrutement d’un acide aminé se fait de façon spécifique au niveau du site actif du domaine A. Ce dernier est capable de recruter les 20 acides aminés protéinogéniques mais également d’autres acides aminés (ex : ornithine, β-alanine). L’étude du domaine A- phénylalanine de la gramicidine S a permis de déchiffrer le code de reconnaissance des acides aminés par les domaines A (Stachelhaus et al., 1999). Une fois l’acide aminé recruté, celui-ci est converti en aminoacyl-AMP (consommation d’une molécule d’ATP). Le domaine PCP sur lequel vient se fixer le substrat est préalablement modifié par une enzyme phosphopantétheinyltransferase (PPTase). Celle-ci ajoute un groupement phosphopantétheinyl sur un résidu sérine du module PCP. Cette action permet l’attachement par liaison thioester de l’aminoacyl adénylé par le domaine A sur le domaine PCP ainsi activé (Figure 10) (Lambalot et al., 1996). Le domaine C catalyse la réaction de condensation par liaison peptidique. Cette réaction va de l’acide aminé situé sur le domaine PCP du module en amont vers le PCP situé sur le même module que le domaine C, les facteurs contrôlant cette direction de l’élongation sont encore très mal connus (Fischbach and Walsh, 2006). L’élongation de la chaîne peptidique est unidirectionnelle et se termine au niveau du domaine Te par hydrolyse de la liaison thioester au niveau du dernier domaine PCP. Il existe cela dit des exceptions à ces règles. C’est par exemple le cas de la NRPS impliquée dans la synthèse de la coelichéline, dont un module fonctionne de façon itérative (Lautru et al. 2005).

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1.3.1.3. Diversité des NRPS

De nombreux métabolites secondaires sont assemblés par des NRPS. On peut notamment citer le groupe ACV (L-aminoadipyl-L-cysteinyl-D-valine), tripeptide impliqué dans la synthèse des antibiotiques de la famille des β-lactames. Les antibiotiques vancomycine (glycopeptide) et daptomycine (lipopeptide) font également partie de la famille des NRP. On peut également citer des molécules ayant d’autres activités, comme la cyclosporine (immunosuppresseur) ou encore la bléomycine (antitumeur).

Cette diversité des NRP s’explique par le nombre de substrats pouvant être sélectionnés par les domaines A, estimé à 500 acides aminés différents. Ces substrats peuvent être modifiés au cours de la chaîne d’élongation (en cis) par exemple par des domaines E ou MT. A ces modifications, s’ajoutent d’autres types de modifications (en trans), par exemple l’ajout de sucres sur la vancomycine (glycosylation) ou encore l’ajout de chaînes d’acides gras sur la daptomycine. Afin de répertorier ces molécules, une banque de données a été créée : NORINE qui compte plus de 1000 NRP (Caboche et al., 2008).

Figure 10 : A) Activation du domaine PCP par la phosphopantétheinyl transférase. B) Recrutement d’un substrat par le domaine A et fixation sur le domaine PCP. C) Réaction de condensation entre les substrats des modules n-1 et n par le domaine de condensation C (adapté de « Antibiotics » Walsh 2003)

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1.3.2. Les Polycétides synthases

Les polycétides synthases (PolyKetide Synthase : PKS) sont responsables de la synthèse des polycétides, une des grandes familles de métabolites secondaires. Ces métabolites présentent des activités biologiques variées : antibiotique (érythromycine), antifongique (nystatine), antiparasitaire (avermectine) ou encore antitumorale (daunorubicine). Les polycétides sont assemblés à partir de petits acides carboxyliques par les PKS qui peuvent fonctionner de façon modulaire (PKS de type I) ou de façon itérative (PKS de type II et III). Le système d’assemblage des PKS est souvent comparé à celui des synthases d’acide gras (Fatty Acid Synthase : FAS) avec lequel il existe de nombreuses analogies.

1.3.2.1. Mécanisme d’assemblage

Les PKS assemblent de petits acides carboxyliques en une longue chaîne acyle grâce à un nombre défini de cycles d’élongation incorporant chacun 2 à 3 atomes de carbone. Le choix du substrat d’initiation de la chaîne d’assemblage est diversifié, cela peut être de l’acétyl-, du malonyl-, du malonamyl-, du propionyl- ou du butyryl-CoA par exemple. Le choix du substrat d’élongation est en revanche plus réduit, généralement le malonyl- ou méthylmalonyl-CoA (Figure 11).

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Comme pour les NRPS, les PKS fonctionnent grâce à des domaines ayant chacun un rôle défini. Le substrat est sélectionné par le domaine Acyltransférase (AT) et fixé sur un domaine porteur d’acyle (Acyl Carrier Protein : ACP) préalablement activé grâce à l’ajout d’un bras phosphopantéthéinyl par une phosphopantéthéinyltransférase (PPTase) (Lambalot et al., 1996). La condensation entre les substrats n et n+1, se fait par l’intermédiaire du domaine

céto-synthase (Keto-Synthase : KS) qui, par une décarboxylation, génère un carbone nucléophile permettant la liaison carbone-carbone (C-C) entre les deux substrats. La terminaison de la chaîne se fait grâce au domaine Te (Thioestérase) qui permet la libération de la molécule, par hydrolyse de la liaison thioester, et dans certains cas la cyclisation du polycétide (Weissman, 2009). Tous les domaines précédemment cités sont nécessaires à la synthèse du polycétide. D’autres domaines, accessoires, permettent d’apporter une plus grande diversité de structure. Ces domaines sont les domaines cétoréductase (KetoReductase : KR), déhydratase (DH) et énoylréductase (ER). Le domaine KR seul permet de transformer un groupement β-cétone en groupement alcool. Les domaines KR+DH permettent la déshydratation de l’acyle tout en laissant une liaison Cα=Cβ insaturée. L’action des trois domaines KR, DH et ER laisse cette fois-ci une liaison Cα-Cβ saturée. A ces modifications peuvent s’ajouter d’autres types de modifications post-assemblage, notamment des glycosylations, des réductions et/ou des oxydations.

1.3.2.2. Les différents types de PKS

Comme expliqué précédemment, il existe trois classes de PKS (I, II et III) Les PKS de type I fonctionnent selon un mode analogue aux NRPS. Celles-ci sont organisées sous forme de méga-complexes enzymatiques constitués d'un ou plusieurs modules, chacun impliqué dans l’incorporation d’un acyle dans le polycétide. Dans le cas d’un assemblage faisant intervenir plusieurs complexes enzymatiques, l’ordre d’intervention est déterminé par des séquences spécifiques situées en C-terminal et en N-terminal des complexes, appelés « docking domains » (dd). L’extrémité C-terminale de la PKS n s’accroche spécifiquement à l’extrémité N-terminale du complexe PKS n+1 (Buchholz et al., 2009) (Wu et al., 2002). Chaque module est au moins constitué des domaines AT, PCP et KS à l’exception du module d’initiation qui ne comporte pas de domaine KS et du module de terminaison qui s’accompagne d’un domaine Te nécessaire à la libération du polycétide. Chaque domaine n’est en principe utilisé qu’une seule fois, bien qu’il existe des contre-exemples où un module peut intégrer plusieurs substrats à la chaîne d’acyle. C’est le cas de l’aureothine produite par Streptomyces thioluteus, qui est assemblée par une chaîne PKS de quatre modules exécutant

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cinq extensions du polycétide (He and Hertweck, 2003). Dans ce cas, on parle de PKS de type I itératives, elles sont néanmoins peu présentes chez les bactéries.

L’exemple le plus cité est celui de l’érythromycine A chez Saccharopolyspora erythraea. Cet antibiotique, dérivé hydroxylé, glycosylé et méthylé du 6-déoxyérythronolide B (6dEB), est assemblé par une PKS constituée de trois chaîne polypeptidiques/sous-unités : DEBS1, 2 et 3 (6-DeoxyErythronolide B Synthase) (Cortes et al., 1990). Deux de ces enzymes (DEBS 2 et 3) sont responsables de l’incorporation de deux acides carboxyliques et une (DEBS 1), responsable de l’incorporation de trois acides carboxyliques (Figure 12).

Figure 12 : Synthèse de l’érythromycine A par des PKS de type I. Les modifications post-PKS sont représentées en rouge sur la molécule finale (adapté de Staunton & Weissman, 2001)

Les PKS de type II sont dites itératives. Chaque enzyme possède une fonction unique, elles se regroupent pour former un complexe multi-enzymatique qui assure la synthèse du polycétide. Contrairement aux PKS de type I, les domaines sont utilisés plusieurs fois pour intégrer les substrats dans la chaîne d’élongation. Une PKS de type II « minimale » est constituée d’un domaine ACP unique et de deux domaines KS (KSα et KSβ) (Figure 13A). Le domaine KSα assure les réactions de condensation entre les différents substrats. Le domaine KSβ est lui impliqué dans le contrôle du nombre de cycle d’élongation. Il est également

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appelé CLF (Chain Length Factor). A ce complexe minimal peuvent s’ajouter d’autres enzymes pouvant modifier la structure de la chaîne. Ces enzymes sont les cétoréductase (KetoReductase: KR), les cyclases (CYC) et les aromatases (ARO). A ces modifications peuvent s’ajouter des oxydations, des hydroxylations et des méthylations une fois la chaîne d’assemblage terminée (Rix et al., 2002). Le substrat d’initiation choisi est la plupart du temps l’acétyl-CoA, bien que d’autres choix soient possibles (propionyl-CoA dans le cas de la daunorubicine). La seule unité d’élongation connue pour les PKS de type II est le malonyl- CoA, apporté du métabolisme primaire par une enzyme MAT (Malonyl-CoA:ACP AcylTransferase). Les polycétides générés par les PKS de type II sont en général aromatiques (famille des tétracyclines) et moins complexes que ceux synthétisés par les PKS de type I.

Le dernier type de PKS, le type III est sans doute le moins bien connu. Cette classe est également appelée chalcone synthase en raison du fait qu’il s’agit de la première enzyme de ce type qui fut caractérisée. La majorité des PKS de type III connues sont synthétisées par les plantes bien qu’il existe des exemples au sein du règne bactérien (1,3,6,8- tetrahydroxynaphtalene chez Streptomyces griseus (Funa et al., 1999)). Les produits des PKS de type III sont la plupart du temps des molécules aromatiques monocycliques ou bicycliques (Yu et al., 2012). Ces enzymes diffèrent des PKS de type I et II par l’absence de domaine ACP. L’incorporation d’unité d’élongation se fait directement sur l’acyl-CoA par un unique module KS (Figure 13B) (Austin and Noel, 2003).

Figure 13 : A) Schéma d'assemblage des PKS de type II. B) Schéma d'assemblage des PKS de type III (Weissman 2009)

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1.3.3. Autres familles du métabolisme secondaire

Outre les polycétides et les NRP (et les hybrides polycétide-NRP), il existe de nombreuses familles de métabolites secondaires. On peut citer les composés C-P (ex: fosfomycine) (Rogers and Birnbaum, 1974), qui comme leur nom l’indique, contiennent des liaisons carbone-phosphate. Les lantibiotiques (ex : nisine) (Buchman et al ., 1988), qui sont des peptides ribosomaux utilisant des acides aminés reliés par des liaisons thio-esters (lanthionines et méthyllantionines) ainsi que des acides aminés déshydratés (Asaduzzaman and Sonomoto, 2009). Les cyclodipeptides sont, quant à eux, de petites molécules cycliques constituées de deux acides aminés qui, dans certains cas, ne sont pas assemblés par un système NRPS (ex : albonoursine) (Gondry et al., 2009 ; Lautru et al., 2002). Contrairement au NRP et au polycétides, certaines familles de métabolites secondaires sont relativement peu caractérisées et/ou avec peu de molécules décrites. Cette partie propose de s’intéresser à deux familles de métabolites bien caractérisées et dont les mécanismes d’assemblage diffèrent de ceux explicités précédemment : les terpènes et les aminoglycosides.

1.3.3.1. Les terpènes

Les terpènes sont une large famille de métabolites secondaires possédant des structures variées. Bien qu’identifiées principalement chez les plantes, ces molécules sont également présentes chez les bactéries, en particulier les Actinobactéries comme les Streptomyces (Cane and Ikeda, 2012). Ces métabolites peuvent avoir différentes activités biologiques. Certaines de ces molécules ont des propriétés odorantes, comme la géosmine qui donne aux Streptomyces une odeur de « terre humide ». D’autres peuvent posséder des propriétés antibiotiques comme le pentalenolactone ou le terpène glycoside phénalinolactone (Figure 14) (Binz et al., 2008).

Les terpènes sont assemblés à partir d’unités d’isoprène (5 carbones) reliées les unes aux autres selon un mode tête-queue. On distingue les hémiterpènes (C5), les

monoterpènes (C10) les sesquiterpènes (C15), les diterpènes (C20), les sesterterpènes (C25),

les triterpènes (C30) et les tétraterpènes (C40). La synthèse d’un monoterpène se fait à

partir d’isopentenyl pyrophosphate (IPP) et de son isomère le diméthylallyl pyrophosphate (DMAPP) pour donner une molécule de géranyl diphosphate (GPP). L’ajout successif de monomères d’IPP permet d’obtenir une chaîne allant jusqu’à 25 carbones (Figure 14). Des chaînes plus longues peuvent être obtenues par la dimérisation de chaînes de 15 ou 20

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carbones. La diversité des terpènes s’explique par la présence de cyclases permettant d’obtenir une grande variété de composés mono ou pluricycliques.

Figure 14 : A) Quelques exemples de structures de terpènes. B) Schéma de synthèse des terpènes linéaires C10 et C15

1.3.3.2. Les aminoglycosides

Les aminoglycosides, représentent une famille de métabolites secondaires dont certains sont produits par des Actinomycètes. C’est notamment le cas de la streptomycine isolée en 1944. Ces molécules sont constituées d’un aminocyclitol (cycle à 6 carbones possédant au moins trois groupes hydroxyles et des groupements amine) relié à deux ou trois hexoses par des liaisons glycosidiques. On distingue deux classes d’aminoglycosides. Les aminocyclitols de type streptidine (streptomycine) situés à une extrémité de la chaîne

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glycosidique et les aminocyclitols de type 2-déoxystreptamine (gentamicine A, kanamycine) où l’aminocyclitol est situé en milieu de chaîne (Figure 15).

Figure 15 : A) Structure de la streptomycine (streptidine). B) Structure de la kanamycine (2- déoxystreptamine)