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Comparaison des profils du métabolisme secondaire d’espèces proches de Streptomyces

S. ambofaciens DSM40697.

3.4. Existence d’un « core secondary metabolome » chez les Streptomyces

Nous venons de voir que, chez trois Streptomyces phylogénétiquement proches, il existe une dichotomie clusters conservés / clusters spécifiques. S'il apparait vraissemblable que les clusters spécifiques de chacune des souches ne seront pas retrouvés (dans leur ensemble) dans les génomes d'autres espèces, on peut se demander si les clusters décrits comme « conservés » le seront également chez d'autres Streptomyces. En effet, les espèces étudiées étant très proches, il pourrait s’agir de clusters retrouvés uniquement dans un groupe taxonomique très restreint. Afin de vérifier si ces clusters apparaissent effectivement comme très conservés chez les Streptomyces, leur présence a été recherchée chez des espèces plus éloignées.

3.4.1. Clusters conservés chez Streptomyces collinus Tü365

Streptomyces collinus Tü365 est un organisme au génome séquencé et assemblé qui apparaît comme « modérément » éloigné du groupe S. ambofaciens/S. coelicolor/M1013 au sein du genre Streptomyces (Figure 1). La présence de plusieurs gènes, essentiels à la synthèse

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des métabolites conservés chez les trois espèces précédemment étudiées, a été recherchée chez S. collinus. Parmi les 13 clusters précédemment identifiés comme conservés, 10 sont retrouvés également chez cette espèce (avec typiquement entre 80 et 90% d’identité protéique). Ces clusters sont responsables de la synthèse des molécules géosmine, isorenieratène, mélanine, ectoïne, albaflavenone, desferrioxamine, pigment gris des spores, ATBH. On retrouve également les deux clusters putatifs siderophore-like. Trois clusters ne sont donc pas retrouvés chez cette espèce : le cluster coelichéline et deux clusters potentiellement responsables de la biosynthèse de bactériocines (Tableau 4).

Tableau 4 : Comparaison des clusters conservés chez différents groupes d’espèces.

3.4.2. Clusters conservés chez Streptomyces griseus NBRC 13350

Les clusters conservés du groupe S. ambofaciens/S. coelicolor/M1013 ont également été recherchés chez Streptomyces griseus NBRC 13350. Selon les phylogénies représentées Figure 1, il s’agit d’une des espèces les plus éloignées du groupe précédemment cité, au sein du genre Streptomyces. Il est donc raisonnable de penser que si un cluster est commun aux trois espèces étudiées en partie 3.3., ainsi qu’a S. griseus, ce cluster est probablement présent chez la très grande majorité des espèces de Streptomyces. 7 clusters apparaissent également présents chez S. griseus (identité protéique entre 60 et 80%). Ces clusters sont impliqués dans la synthèse des métabolites desferrioxamine, géosmine, mélanine, ectoïne, ATBH et isorenieratène (Tableau 4). On retrouve une fois encore un cluster putatif NIS dont le/les produit(s) sont inconnus. Il est intéressant de noter que le cluster responsable de la synthèse du 2-méthylisobornéol est retrouvé chez S. collinus et S. griseus. Ce cluster avait initialement

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été exclu des « clusters conservés » de par son absence chez Streptomyces M1013. Ce cluster, constitué de seulement deux gènes (Wang and Cane, 2008) pourrait ne pas avoir été détecté chez cette souche du fait du séquençage partiel de ce génome. Il pourrait donc s’agir d’un cluster conservé chez les Streptomyces.

Sur les 13 clusters initialement identifiés comme conservés chez le groupe S. ambofaciens/S. coelicolor/M1013, sept (ou huit en comptant le cluster 2-méthylisobornéol) sont très probablement retrouvés chez l’ensemble du genre Streptomyces. Cette étude mériterait cela dit d’être enrichie par des comparaisons avec plus d’espèces pour une plus grande fiabilité. En effet, Streptomyces venezuelae, très éloignée du groupe S. ambofaciens/S. coelicolor/M1013 possède, par exemple, le cluster responsable de la biosynthèse du pigment gris des spores. L’absence de ce cluster chez S. griseus pourrait donc constituer une exception pour un cluster très conservé au sein du genre. Ces clusters, facultatifs en conditions de laboratoire mais apparemment indispensables en habitat naturel, apparaissent donc comme à l’interface entre métabolisme primaire et secondaire. On peut se demander pourquoi certains clusters sont très conservés quand d’autres sont très spécifiques. Il n’existe aujourd’hui pas d’élément permettant de formuler une réponse à cette question.

Une hypothèse consisterait à dire que les clusters conservés et spécifiques seraient responsable de la synthèse de métabolites agissant sur différents « domaines ». Les métabolites conservés chez la plupart des espèces pourraient, par exemple, avoir un effet sur l’organisme producteur, dont la physiologie et le métabolisme restent comparables entre les souches. Des molécules capables d’assurer la capture du fer (sidérophore) ou de protéger contre des stress (mélanine, ectoïne..), seront, par exemple, conservées une fois ces fonctions acquises. Au contraire, les métabolites ayant un effet sur l’environnement dans lequel évolue le producteur, apparaîtront comme très spécifiques. Les communautés microbiennes, le pH et l’humidité sont des exemples de caractéristiques variables d’un environnement à l’autre. Il est donc envisageable que des espèces proches phylogénétiquement, situées dans des environnements différents, aient développé des arsenaux métaboliques différents. En particulier, toute molécule agissant sur un microorganisme (ex : antibiotique), exercera une pression de sélection sur ce dernier (ex : apparition de résistance). Cette pression sera d’autant plus grande si plusieurs espèces produisent les mêmes métabolites. La production de métabolites spécifiques d’espèce/souche pourrait donc, dans cette optique, être vue comme permettant de limiter l’adaptation des compétiteurs à ces métabolites.

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4. Conclusion

L’analyse des profils du métabolisme secondaire de S. ambofaciens ATCC23877, de S. coelicolor A3(2) et de Streptomyces sp. M1013 a permis l’identification d’un total de 53 clusters putatifs ou non du métabolisme secondaire. La comparaison de ces profils révèle que 36 de ces clusters sont spécifiques d’une des trois espèces (70%), et que 13 clusters sont conservés (25%) (les 4 clusters restant étant partagés par deux des trois espèces étudiées). Cette étude montre donc une grande diversité du métabolisme secondaire, et ce même au sein de groupes taxonomique restreints. D’autre part, ce travail met en évidence l’existence d’un « core secondary metabolome », ensemble de clusters, à l’interface entre métabolisme primaire et secondaire, retrouvés chez des espèces de Streptomyces très éloignées au sein du genre. De façon intéressante, les fonctions de certains de ces métabolites très conservés, restent encore aujourd’hui obscures. C’est par exemple le cas du terpène géosmine dont le rôle biologique est encore inconnu.

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