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Connu depuis près de 60 ans pour produire deux métabolites antimicrobiens, la congocidine et la spiramycine, Streptomyces ambofaciens ATCC23877 est aujourd’hui un organisme dont le génome est séquencé et assemblé. L’analyse de ce génome par des outils modernes de détection de gènes du métabolisme secondaire (antiSMASH, Medema et al., 2011, Blin et al., 2013), a permis l’identification de 26 clusters putatifs, un nombre comparable au nombre de clusters identifiés dans les génomes d'autres Streptomyces. Cependant, ces 26 clusters ne permettent pas de rendre compte de la totalité du métabolisme secondaire de la souche, puisque des activités antibactériennes non reliées à l'un de ces clusters ont été détectées chez S. ambofaciens OSC4 (ne produisant ni spiramycine, ni congocidine, ni kinamycines, trois molécules antibactériennes parmi les quatre caractérisées chez cette souche). Les outils actuels d'exploration des génomes disponibles pour identifier des groupes de gènes du métabolisme secondaire, échouent donc à fournir un panorama exhaustif du métabolisme secondaire d'une souche donnée. Ceci est très certainement dû au principe de ces méthodes qui sont basées sur la recherche de gènes/groupes de gènes "typiques" du métabolisme secondaire par similarité de séquence. Les gènes du métabolisme secondaire encore non caractérisés ne peuvent pas, par conséquent, être détectés par ces méthodes. Le développement d'approches alternatives pour la recherche de clusters du métabolisme secondaire dans les génomes, complémentaires aux méthodes actuelles, est donc nécessaire si l'on souhaite explorer ce métabolisme dans son intégrité.

Les îlots génomiques, des régions où la synténie entre les chromosomes de souches proches est interrompue, sont connus pour être enrichis en gènes du métabolisme secondaire (Penn et al., 2009, Ziemert et al., 2014). Identifier des îlots dans une souche, par comparaison de son génome avec celui d'une souche/espèce proche, pourrait donc constituer le point de départ de la recherche de (nouveaux) gènes/groupes de gènes du métabolisme secondaire. C'est sur la vérification de cette hypothèse qu'est bâtie une partie du travail présenté dans ce manuscrit. Ceci nécessitait tout d'abord le développement d'un outil, Break Viewer (Barba, Haas et al., en préparation), permettant la détection et l’annotation de zones de rupture de synténie entre deux génomes proches. La comparaison des régions du chromosome de S. ambofaciens identifiées par antiSMASH et Break Viewer a montré que s'il existe des régions communes identifiées par les deux outils, il existe également des îlots génomiques pour lesquels aucun gène "typique" du métabolisme secondaire n'est identifié par antiSMASH, démontrant que les deux approches ne sont pas équivalentes. L'analyse des séquences de ces îlots a montré que certains contiennent des éléments génétiques mobiles (phages ou plasmides

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intégrés). D'autres cependant contiennent des gènes codant des protéines appartenant à des familles souvent retrouvées parmi les protéines du métabolisme secondaire, ou des protéines de fonction inconnue, et pourraient donc inclure des clusters du métabolisme secondaire. L’étude d’un de ces îlots génomiques chez S. ambofaciens (RS3-SAM/SCO), îlot dont l'analyse experte suggérait la présence d'un cluster, a permis la mise en évidence de la production par cette souche de trois métabolites secondaires, démontrant ainsi la validité de l'approche testée.

L'étude approfondie de ce cluster a montré que le produit principal dont il dirige la biosynthèse est le sphydrofurane, un composé connu depuis près de quarante ans, mais pour lequel les gènes de biosynthèse étaient inconnus. Les analyses bioinformatiques et génétiques (par délétion en phase de gènes) ont permis de déterminer les gènes impliqués dans la biosynthèse ou la régulation de la biosynthèse du sphydrofurane et des deux autres métabolites minoritaires M2 et M3. Nous avons ainsi pu proposer une voie de biosynthèse préliminaire pour le sphydrofurane. Les étapes précoces de biosynthèse du sphydrofurane apparaissent proches de celles de deux molécules de la même famille : l’antibiotique méthylénomycine (Corre and Challis, 2005) et les éliciteurs syringolides (Keith et al., 1997). L’étude du sphydrofurane pourrait donc contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes d’assemblage de ces molécules originales.

Par manque de temps, il n'a pas été possible d'achever la caractérisation structurale des produits M2 et M3. Cela constitue sans aucun doute l'une des priorités dans la poursuite de ce travail, car les analyses génétiques suggèrent que ces produits ne sont pas des sous-produits de la synthèse du sphydrofurane mais qu'ils correspondent à des métabolites dont certaines étapes de biosynthèse sont dédiées et distinctes de celles de la biosynthèse du sphydrofurane. Par la suite, une meilleure caractérisation de la biosynthèse de ces molécules nécessitera vraisemblablement des caractérisations in vitro des enzymes de biosynthèse. Enfin, il serait intéressant d'explorer les fonctions biologiques de ces molécules. En effet, ces fonctions sont aujourd'hui encore inconnues, mais on peut imaginer que le sphydrofurane (et/ou M2 et M3), à l’image des syringolides, puisse avoir un effet sur les systèmes de défense de certaines plantes.

L'identification du cluster de biosynthèse du sphydrofurane dans un îlot génomique découvert par Break Viewer a démontré la validité de la stratégie de recherche de gènes du métabolisme secondaire dans des îlots génomiques. Néanmoins, une utilisation non réfléchie

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de Break Viewer peut amener à une multitude de régions 'candidates' à explorer. Le choix des génomes à utiliser pour la comparaison est un facteur déterminant, mais l'élaboration de systèmes de tri ou de classification efficaces des îlots génomiques (élimination des clusters "typiques" du métabolisme secondaire ou de certains éléments génétiques mobiles par exemple) obtenus par Break Viewer sont essentiels dans une telle approche pour limiter le nombre d'îlots à étudier. Néanmoins il sera important de mettre en place une stratégie efficace (haut débit ?) de délétion d’îlots génomiques pour identifier ceux qui contiennent des gènes du métabolisme secondaire.

La recherche d'îlots génomiques nous a donné l'opportunité d'effectuer une comparaison des métabolismes secondaires de trois souches phylogénétiquement proches, S. ambofaciens, S. coelicolor et de Streptomyces sp. M1013. Seules quelques études de ce genre ont été menées jusqu'à présent (Ziemert et al., 2014 ; Seipke, 2015). Cette comparaison a montré l’existence d’un métabolisme secondaire central, c’est-à-dire partagé par de nombreuses (voir toutes ?) espèces de Streptomyces. De manière surprenante, dans bien des cas, les fonctions et parfois les structures de ces métabolites sont encore inconnues ou mal connues. On peut néanmoins supposer que cette conservation est le signe d'un rôle important, voir essentiel de ces métabolites. Outre ces clusters communs, la comparaison des génomes de S. ambofaciens, S. coelicolor et de Streptomyces sp. M1013 a mis en évidence l'existence de clusters spécifiques d'une souche/espèce donnée, parmi lesquels de nombreux clusters responsables de la synthèse de molécules possédant des propriétés antimicrobiennes. Enfin, il est probable que les comparaisons des métabolomes secondaires d’espèces/souches proches pourraient également apporter des informations sur les mécanismes d’évolution des clusters du métabolisme secondaire. De plus, de telles comparaisons pour un plus grand panel d’espèces proches (voir de souches d’une même espèce) pourraient permettre une meilleure estimation de la diversité du métabolisme secondaire des Streptomyces. Il est également imaginable que de telles données puissent nous aider à élucider les fonctions biologiques de certains composés. Par exemple, si un cluster, produisant un composé de fonction inconnue, n’est retrouvé que chez un groupe de souches/espèce partageant une caractéristique commune, comme un habitat particulier (mode de vie symbiotique, environnement aride, salin…), il est alors envisageable que ce composé joue un rôle permettant de s’adapter à ce milieu (protection du symbionte, protection contre les stress dus à la dessiccation, la salinité…).

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