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3. Recherche de nouveaux métabolites secondaires 1 Genome mining

3.2. Activation de clusters cryptiques par des systèmes de régulation

3.2.1. Les régulateurs globaux du métabolisme secondaire

La majorité des gènes de biosynthèse de métabolites secondaires sont regroupés en clusters comprenant les gènes de biosynthèse, de résistance (si antibiotique) et de régulation de l’expression des autres gènes du cluster. Il n’est pas rare que ces régulateurs (appelés CSR

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pour Cluster Situated Regulators) soient eux-mêmes soumis à un système de régulation, affectant souvent plusieurs clusters de biosynthèse. Ces régulateurs sont appelés régulateurs globaux et constituent des cibles de choix pour l’expression de clusters cryptiques. En effet, l’inactivation ou la surexpression de tels gènes peut entraîner la surproduction de plusieurs métabolites. D’autre part, ces régulateurs sont souvent conservés au sein du genre Streptomyces (voir chez plusieurs genres bactériens) et peuvent donc être ciblés chez plusieurs espèces. Chez Streptomyces, il existe plusieurs régulateurs globaux ayant fait l’objet d’études approfondies. Cette partie propose d’en expliciter quelques-uns (Figure 26).

L’entrée en phase stationnaire (qui coïncide avec la production de métabolites secondaires) est contrôlée par des systèmes de réponse aux stress nutritionnels. Plusieurs de ces systèmes de régulation ont donc également un effet sur l’expression des gènes du métabolisme secondaire. C’est notamment le cas du système à deux composants PhoR-PhoP (retrouvé chez de nombreux procaryotes) impliqué dans le contrôle du niveau de phosphate. PhoR est une protéine membranaire qui, en condition de phosphate limitant, phosphoryle PhoP qui est alors capable de se fixer sur des séquences cibles (appelés boites PHO) et de contrôler l’expression des gènes en aval. Il a été montré que ce système affecte la production de nombreux antibiotiques chez des Streptomyces, notamment l’actinorhodine et l’undecylprodigiosine chez S. coelicolor (Santos-Beneit et al., 2011), la candicidine chez S. griseus (Asturias et al., 1994) ou encore l’oxytétracycline chez Streptomyces rimosus (McDowall et al., 1999).

Comme explicité dans la partie 2.1.3, il y a réutilisation des composants du mycélium basal pour la formation du mycélium aérien. Cette lyse partielle permet la libération de molécules de N-acétylglucosamine (GlcNAc) qui sont alors importées et phosphorylées par une phosphotransférase (PTSGlcNac) puis dé-acétylées dans la cellule. La glucosamine

phosphorylée (GlcN-P) peut alors se fixer sur un régulateur nommé DasR et lever la répression de l’expression de plusieurs gènes contrôlés par DasR. Parmi ces derniers, on retrouve des gènes du métabolisme secondaire notamment liés à la synthèse d’antibiotiques. Il a en effet été montré qu’un mutant dasR chez S. coelicolor avait un profil d’expression différent pour les gènes des clusters act (actinorhodine), red (undécylprodigiosine) et cpk (coelimycine) (Nazari et al., 2012). D’autre part, il a également été démontré que l’ajout de GlcNAc augmente le niveau de production de différents antibiotiques chez plusieurs espèces de Streptomyces (Rigali et al., 2008).

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Des systèmes de régulation globale du métabolisme secondaire existent également chez les champignons. Par exemple, la protéine nucléaire LaeA (loss of aflR expression) agit sur plusieurs voies du métabolisme secondaire ainsi que sur la différenciation morphologique chez plusieurs espèces dont Aspergillus nidulans, Penicillium chrysogenum (Hoff et al., 2010) et Fusarium fujikuroi (Wiemann et al., 2010). Il a par exemple été montré qu’un mutant laeA de A. nidulans n’est plus capable de produire les métabolites pénicilline, lovastatine et stérigmatocystine (Bok et al., 2004). De façon plus générale, le régulateur laeA semble avoir un effet sur « tous » les clusters du métabolisme secondaire de champignons (Bayram and Braus, 2012).

Figure 26 : Régulation des métabolismes primaire et secondaire par les sources de carbone, azote et phosphate. Ce schéma résume le fonctionnement des principales voies faisant intervenir des régulateurs globaux du métabolisme secondaire (cerclés). Les flèches pleines symbolisent des réactions directes. Les flèches en pointillés représentent des réactions dont le cheminement exact n’est pas connu (adapté de Liu et

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3.2.2. Les régulateurs spécifiques d’un cluster du métabolisme secondaire.

Ces régulateurs sont, comme leur nom l’indique, spécifiques d’une voie métabolique précise. Ils sont situés dans le cluster de gènes dont ils contrôlent l’expression ce qui les rend facilement identifiables. Il a déjà été montré, à travers plusieurs exemples, que l’inactivation ou la surexpression de tels gènes permet d’observer la production de métabolites jusqu’alors jamais observés. On peut citer le cas de Streptomyces sp. PGA64, où la délétion du répresseur pgaY entraîne la production de deux métabolites de type angucycline ainsi que de rabelomycine, productions qui n’ont jamais été observées chez la souche sauvage (Metsä- Ketelä et al., 2004). Au contraire, la surexpression d’un activateur transcriptionnel a permis, chez S. ambofaciens, la découverte des macrolides géants stambomycines (Laureti et al., 2011).

Parmi ces régulateurs, les SARPs (Streptomyces antibiotics regulatory protein) représentent une des familles les plus étudiées. Ces protéines possèdent un domaine hélice- coude-hélice (helix-turn-helix, HTH) dans leur partie N-terminale et sont capables de se fixer à l’ADN, par reconnaissance de régions répétées situées au niveau du promoteur de gènes qu’elles contrôlent (Wietzorrek & Bibb, 1997 ; Tanaka et al., 2007). Les SARPs sont exclusivement des activateurs transcriptionnels qui ne sont retrouvés que chez des Actinomycètes. Plusieurs SARPs ont été étudiés chez S. coelicolor, comme ActII-ORF4 (actinorhodine) ou RedD (undécylprodiginine) (Arias et al., 1999 ; Takano et al., 1992).

Les protéines LAL (Large ATP-binding regulators of the LuxR family) constituent une seconde famille de régulateurs liée à l’expression de gènes du métabolisme secondaire (De Schrijver and De Mot, 1999). Ces régulateurs possèdent un motif de fixation aux nucléotides triphosphate sur leur partie N-terminale ainsi qu’un motif HTH de fixation à l’ADN sur leur partie C-terminale. Ils diffèrent des autres régulateurs LuxR de par leur taille, jusqu’à 1160 acides aminés au lieu de 250 en moyenne. Les gènes de LALs sont retrouvés dans plusieurs clusters du métabolisme secondaire de PKS de type I où ils jouent un rôle d’activateurs transcriptionnels. La régulation par des protéines LALs a été étudiée au sein de plusieurs clusters de gènes de biosynthèse de molécules d’intérêt pharmaceutique. La rapamycine chez Streptomyces hygroscopicus (Kuscer et al., 2007), l’avermectine chez S. avermitilis (Kitani et al., 2009) et le tacrolimus chez S. tsukubaensis (Goranovic et al., 2012) en sont quelques exemples.

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3.2.3. Les molécules signal

Les bactéries ont la capacité de « communiquer » via la production de molécules diffusibles qui agissent comme un signal. Ces molécules produites en faible quantité s’accumulent au cours du temps et sont perçues, à une concentration donnée, comme un signal permettant l’expression ou la répression de certains gènes : c’est le quorum sensing. Chez les Streptomyces, la synthèse de nombreux métabolites secondaires ainsi que certains phénomènes de différenciation morphologique sont régulés par des molécules signal. L’activation des mécanismes de régulation liés à ces signaux peut permettre l’expression de clusters cryptiques du métabolisme secondaire et constitue un outil prometteur pour la découverte de nouveaux composés. Les molécules signal peuvent appartenir à plusieurs familles. L’alarmone (p)ppGpp constitue l’un des exemples les mieux documentés au sein du règne bactérien. Chez les Streptomyces, les γ-butyrolactones (GBLs) et les furanes représentent deux familles bien étudiées, familles présentées ci-dessous

Chez les organismes procaryotes, lorsque les ressources s’appauvrissent, la « réponse stringente » se met en place via l’accumulation de guanosine tétraphosphate (ppGpp). Cette molécule est synthétisée par RelA, en réponse à la fixation d’ARNt non chargés dans le site A du ribosome. Le ppGpp entraîne une baisse de la concentration intracellulaire en GTP (par inhibition de l’IMP deshydrogénase, impliquée dans la première étape de biosynthèse de la Guanosine Mono-Phosphate (GMP)) et réprime la synthèse d’ARNr en se fixant sur l’ARN polymérase(Figure 27) (Ochi, 2007). Alors que la différenciation morphologique est due à une baisse du taux de GTP (étudiée chez plusieurs espèces, dont des Streptomyces), les changements métaboliques semblent, eux, être directement liés à l’action du ppGpp (Ochi, 1987). Chez des mutants relA de S. coelicolor, il n’y a plus production des antibiotiques actinorhodine et undécylprodigiosine. Cette production est toutefois rétablie chez des souches porteuses de mutations au niveau du site de fixation du ppGpp sur l’ARN polymérase, laissant penser que c’est l’action du ppGpp sur la polymérase qui permettrait la transcription de certains gènes du métabolisme secondaire (Xu et al., 2002).

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Figure 27 : Schéma de la réponse stringente bactérienne, impact du ppGpp sur les différenciations morphologique et métabolique en condition d’acides aminés limitants (adapté de Ochi, 2007)

Les γ-butyrolactones sont synthétisées par plusieurs genres au sein des Actinobactéries, bien qu’elles aient majoritairement été étudiées chez des Streptomyces. Elles sont produites en réponse à des signaux nutritionnels ou environnementaux et agissent de façon positive sur l’expression de certains gènes (Takano, 2006). De nombreux systèmes de régulation liés à la production de métabolites secondaires (tacrolimus, validamycine) sont contrôlés par des γ-butyrolactones (Salehi-Najafabadi et al., 2014 ; Tan et al., 2013). Le facteur-A, chez S. griseus, constitue sans doute l’exemple pour lequel la cascade de régulation est la mieux étudiée. Le facteur-A possède la capacité de se fixer sur la protéine ArpA qui réprime la transcription du gène adpA, un activateur transcriptionnel. Cette activation permet la synthèse chez S. griseus de streptomycine et de grixazone. Ce système est également lié au déclenchement de la sporulation (Ohnishi et al., 2008) (Figure 28).

D’autres molécules de signalisation liées à la régulation de gènes du métabolisme secondaire ont pu être découvertes chez des Streptomyces. C’est le cas des furanes avec, comme premier exemple, les méthylènomycine furanes (MMFs) chez S. coelicolor qui contrôlent l’expression des gènes liés à la synthèse de l’antibiotique méthylènomycine. Ces molécules diffèrent des γ-butyrolactones par la présence du cycle furane à la place du cycle lactone, les rendant résistantes aux traitements alcalins (Corre et al., 2008). Des molécules apparentées aux MMFs sont également impliquées dans la régulation de l’expression des gènes de biosynthèse de la kinamycine, un antibiotique produit par S. ambofaciens (Bunet et al., 2008). Chez S. natalensis, la production de l’antifongique pimaricine est régulée par le

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facteur-PI (2,3-diamino-2,3-bis(hydroxymethyl)-1,4butanediol), une autre classe de molécule signal capable d’agir à des concentrations de l’ordre du nanomolaire (Recio et al., 2004).

Figure 28 : Cascade de régulation liée au facteur-A chez S. griseus (Bibb et al., 2005)