récits médiévaux scandinaves qui y apparaissent en tant que telles. Elles sont pourtant nombreuses
et doivent être mentionnées ici, car la plupart seront adaptées dans Age of Conan: Hyborian
Adventures. Il faut donc commencer par en faire l’inventaire
822:
1. Les Æsir et les Vanir : deux peuples voisins habitant dans le nord du continent hyborien,
respectivement dans les royaumes d’Asgard et de Vanaheim, et qui s’affrontent
régulièrement. Dans plusieurs sources de la mythologie nordique
823, les Æsir et les Vanir
(ou les Ases et les Vanes, en français) sont deux familles de dieux qui s’opposent jusqu’à
l’échange de certains de leurs membres.
2. Heimdul : l’adversaire de Conan au début de la nouvelle, est une référence au dieu de la
mythologie nordique Heimdall
824, un dieu dont les sens sont très aiguisés, que l’on peut
voir comme un veilleur, car il garde Bifrost, l’arc-en-ciel qui relie le monde des Dieux,
817. Hélène Adeline Guerber, Myths of Greece and Rome. Narrated with Special Reference to Literature and Art, New York/Cincinnati/Chicago, American Book Company, 1893. Il existe plusieurs éditions de cet ouvrage et on ne sait pas laquelle possédait Robert E. Howard. Les pages citées sont celles de la version originale.
818. L’ouvrage se trouve déjà mentionné dans l’annexe A de l’ouvrage The Dark Barbarian, intitulé « Robert E. Howard’s Library », p. 191, et se retrouve sur le site Internet Rehupa, dans la REH Bookshelf. Accès :
http://www.rehupa.com/OLDWEB/bookshelf_app5.htm, consulté le 23/08/2013. 819. Hélène Adeline Guerber, op. cit., p. 68.
820. ibid., p. 277. 821. ibid., p. 350.
822. Afin d’éviter de multiplier les références aux sources scandinaves, les notes qui vont suivre font référence aux pages de l’ouvrage de John Lindow, Norse Mythology. A guide to the Gods, Heroes, Rtiuals, and Beliefs, qui sous forme d’une encyclopédie, présente les passages de différentes sources pour chaque entrée.
823. John Lindow, op. cit., p. 51. 824. ibid., p. 167.
Asgard, à celui des hommes, Midgard. Dans les sources nordiques, Heimdall est un Ase,
alors que, dans la nouvelle de Howard, Heimdul fait partie des Vanir.
3. Parmi les autres personnages présents, on note le nom de Niord, référence au dieu nordique
Njord
825. À noter qu’ici Niord est un Æsir, alors que dans la mythologie nordique il fait
partie, avec Freyr et Freya, des trois Vanes qui rejoignent les rangs des Ases suite à la trêve
entre les deux familles de dieux.
4. Conan dit qu’il a combattu les hommes de Bragi, et qu’il s’agissait de Vanir. Dans les
sources de la mythologie nordique, Bragi est un Ase, présenté comme le dieu de la
poésie
826.
5. Horsa fait partie du groupe d’Æsir qui retrouve Conan à la fin de la nouvelle. Bède le
vénérable, un moine lettré ayant vécu à la fin du VII
esiècle, le présente comme originaire
du Jutland. Avec son frère Hengist, ils sont les leaders de l’invasion de la Bretagne par les
Anglo-Saxons contre les Pictes. Howard a connaissance des écrits de ce dernier dont il cite
un morceau dans une lettre à H. P. Lovecraft
827.
6. Wulfhere, dans la nouvelle, était le chef de la bande Æsir avec laquelle Conan voyageait.
Historiquement, Wulfhere était un roi de Mercie dans la deuxième moitié du VII
esiècle, un
royaume se trouvant au milieu de l’île de Bretagne. Son nom est également présent dans les
écrits de Bède le Vénérable.
7. Le terme Valhalla revient plusieurs fois dans la nouvelle, pour désigner le séjour des morts.
Plusieurs sources scandinaves le présentent comme le lieu où Odin reçoit les guerriers
valeureux tombés aux combats et choisis par les Valkyries
828.
8. Dans la nouvelle, Ymir est le dieu des Æsir et des Vanir et Conan jure par Ymir, ce
qu’Atali lui reproche, car il ne fait partie d’aucun des deux peuples. Dans les sources de la
mythologie nordique, Ymir est le géant originel à partir du corps duquel est fait le
monde
829.
9. Au-delà du rapprochement d’Atali avec Atalante ou Daphné proposé par Patrice Louinet en
s’appuyant sur l’analyse de la structure du récit, il faut voir Atali comme une réécriture de
la figure des Valkyries
830. Comme ces dernières, elle apparaît sur les champs de bataille.
Puis, elle attire les plus valeureux guerriers, qui sont, non pas ceux qui sont morts au
combat, comme dans la mythologie nordique, mais bien ceux qui ont survécu. Elle tente
825. ibid., p. 241. 826. ibid., p. 81.
827. Rusty Burke, Sunand Tryambak Joshi, David E. Schultz (eds), A Means to Freedom. The Letters of H. P. Lovecraft and Robert E. Howard : 1930-1932, op. cit., p. 20.
828. John Lindow, op. cit., p. 308. 829. ibid., p. 322.
d’attirer Conan pour qu’il soit sacrifié à son père Ymir, comme les Valkyries amènent les
guerriers choisis à Odin. Chez Howard, Ymir devient donc le dieu du Nord, les Æsir étant
devenus des humains dans sa perspective évhémeriste. Cette inversion dans la morale
informe le lecteur que les dieux ne sont pas bienveillants chez Howard, mais tentent de
piéger les humains.
10. Atali guide Conan vers un piège, elle appelle deux géants du gel, auxquels elle demande de
tuer Conan pour déposer son cœur encore fumant sur l’autel de leur père. Elle définit un
lien de parenté, au moins symbolique, mais direct, par cette phrase. Dans l’Edda en prose
et dans plusieurs poèmes de L’Edda poétique, les géants du givre sont présentés comme les
descendants d’Ymir
831.
11. À la fin de la nouvelle, Atali disparaît en appelant à l’aide son père Ymir. Cette scène finale
peut également être mise en relation avec les qualités de magiciens et d’illusionnistes
attribuées aux dieux et aux géants dans les récits médiévaux scandinaves, notamment dans
le passage de la Gylfaginning où Thor, Loki, Thjálfi et sa sœur Roska se rendent au château
d’ÚtgarðaLoki, le roi des géants
832. Ce dernier les soumet à plusieurs épreuves auxquelles
ils échouent tous malgré leurs qualités dans les compétences requises. À la fin du récit,
ÚtgarðaLoki les raccompagne hors de son château et avoue que les épreuves étaient
truquées ou faussées grâce à des illusions, et que, si jamais Thor et ses compagnons
revenaient, il aurait recours aux mêmes astuces contre eux. Lorsque les compagnons se
retournent, tout a disparu et ils se trouvent au milieu d’une plaine. De même, à la fin de la
Gylfaginning, l’illusion créée par les Ases afin de duper Gangleri disparait et celui-ci se
retrouve seul au milieu d’une plaine. Ajoutons à cela que l’un des termes utilisés dans
l’Edda en prose pour désigner les ennemis de Thor est Trǫll, dont il est dit qu’il part
combattre à l’est dans un passage de la Gylfaginning. On sait que les géants sont les
ennemis principaux de Thor. Trǫll et géants peuvent donc être associés. Mais le terme Trǫll
renvoie aussi au rapport avec la magie. Ainsi, le récit de Howard prolonge cette tradition
des géants étant des maîtres de l’illusion, car lorsqu’il est retrouvé par ses camarades Æsir
loin au nord, les corps des géants ont disparu et aucune trace de son aventure ne subsiste,
sauf un bout de vêtement arraché à Atali qu’il tient dans sa main. En termes
d’interprétation, la fin de la nouvelle et les passages de l’Edda mentionnés invitent à une
réflexion sur la réalité des récits mythiques
833.
12. Bien que cela soit indirectement lié aux sources de la mythologie nordique, il faut
mentionner la neige abondante contre laquelle se bat Conan pour rattraper Atali qui, pour
831. John Lindow, op. cit., p. 322-325. 832. ibid., p. 302.
sa part, donne l’impression de marcher au-dessus. Cette mise en scène renvoie aux théories
du climat où le Nord est toujours lié à l’idée d’un froid rigoureux et à la neige. Dans un
article de son blog consacré à cette nouvelle
834, Al Harron s’appuie sur les travaux de Brian
Leno pour montrer les liens qu’il est possible d’établir entre la nouvelle de Howard et
« Sweetheart of the Snows » de Leonard Cline publiée sous le pseudonyme Alan Forsyth
dans le magazine Ghost Stories, en 1928. Selon Harron, les deux nouvelles peuvent
également être rapprochées de « The Glamour of the Snow », une nouvelle de Algernon
Blackwood publiée en 1912. Cependant, Howard mentionne cet auteur seulement dans
trois lettres, en 1930 et 1931, pour dire qu’il ne l’a pas lu malgré le fait qu’on lui ait
conseillé plusieurs fois ses textes. Ainsi, les seuls rapprochements possibles peuvent-ils être
faits par une approche comparative de ces textes. Les trois histoires évoquent la poursuite
d’un homme qui s’enfonce dans la neige, essayant de rattraper un être surnaturel féminin
qui n’y laisse, pour sa part, pas de trace. Tout comme Brian Leno
835, on peut néanmoins
supposer que, puisque Howard avait vendu une nouvelle au magazine Ghost Stories à la fin
de l’année 1928
836, il lisait lui-même ce magazine et avait ainsi pu connaître la nouvelle de
Cline.
13. Enfin, Al Harron mentionne également que le personnage présenté comme le vieux Gorm
pourrait faire référence au roi Danois Gorm l’Ancien
837. Celui-ci est mentionné chez Saxo
Grammaticus, Adam de Brême et dans l’Histoire des rois de Norvège de Snorri Sturluson.
Il est difficile de déterminer quelles étaient les sources exactes d’où Howard tirait son
inspiration. On sait qu’il avait lu Longfellow et considérait Beowulf comme un conte nordique, que
l’image qu’il donne des Vikings renvoie au stéréotype wagnérien, compositeur dont il dit avoir
entendu la musique à la radio
838, et qu’il cite des passages de Bède le Vénérable dans ses lettres,
mais cela ne suffit pas à expliquer tous les liens reconstruits ici. De plus, nous ne savons quasiment
rien des discussions qu’il pouvait avoir avec ses proches et qui n’ont pas laissé de traces écrites. Si
l’on ajoute à cela l’analyse de Patrice Louinet concernant la structure du récit et les
rapprochements possibles avec les mythes grecs, il est impensable que tous ces éléments lui
viennent d’une seule, ou même d’une poignée de sources. Il semble plutôt qu’en plus d’avoir une
834. Al Harron, « 80 Years of Conan: “The Frost-Giant’s Daughter” - Part Three », The Blog that Time Forgot, 2012, [En ligne]. Accès : http://theblogthattimeforgot.blogspot.fr/2012/07/80-years-of-conan-frost-giants-daughter_24.html, consulté le 07/08/2015.
835. Brian Leno, art. cit., p. 16.
836. Howard annonce cette nouvelle à Tevis Clyde Smith dans une lettre de novembre 1928. Roehm Rob, Burke Rusty (éd.), The Collected Letters of Robert E. Howard. Volume one, 1923 – 1929, op. cit., p. 268.
837. Al Harron, « 80 Years of Conan: “The Frost-Giant’s Daughter” - Part Two », The Blog that Time Forgot, 2012, [En ligne]. Accès : http://theblogthattimeforgot.blogspot.fr/2012/07/80-years-of-conan-frost-giants-daughter_17.html, consulté le 13/03/2016.
838. Rusty Burke, Sunand Tryambak Joshi, David E. Schultz (éd.), A Means to Freedom. The Letters of H. P. Lovecraft and Robert E. Howard : 1933-1936, op. cit., p. 642.