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Un autre épisode de sa vie personnelle permet de constater que les mythes nordiques tenaient chez lui une place particulière. Dans une lettre de mai 1928, toujours adressée à Tevis Clyde

Smith, Howard évoque la mort d’une de leurs connaissances communes, Herbert C. Klatt, qui fut

sans doute terrassé par la maladie :

« Mais, je pense que, s’il existe une chose telle qu’un au-delà, qu’il trouvera une place parmi ses courageux ancêtres dans la grande salle du Valhalla et je me plais à l’imaginer à la droite de Thor, au milieu de la gloire d’éternelles réjouissances.

Oui, s’il existe un au-delà, comme Longfellow le dit, There from the flowing bowl

Deep drinks the Viking’s Soul ! Skoal ! To the Northland ! Skoal Thus the tale ended. »745

Howard avait rencontré Herbert C. Klatt juste après Noël 1925. Ils avaient passé une nuit

ensemble, avec Truett Vinson et Tevis Clyde Smith, à faire la fête et à boire dans le ranch de

l’oncle de Smith

746

. Dans une lettre à H. P. Lovecraft datée de 1931, Howard le désigne comme

« l’Allemand » en évoquant cette soirée. Il y a donc une assimilation de sa part entre Allemands et

anciens Scandinaves lorsque Howard dit qu’il est allé rejoindre ses courageux ancêtres. Il cite la

fin du poème « The Skeleton in Armor », de Henry Wadsworth Longfellow, écrit en 1841.

L’archéologie devait inspirer la poésie, qui, à son tour, rejoint la vie privée de l’auteur. Cette mort

devait particulièrement marquer le Texan qui en fera mention dans son ouvrage de fiction

autobiographique Post Oaks and Sand Roughs, mais sans autant de cérémonie

747

. Dans cet

exemple, le potentiel d’efficacité du mythe s’exprime dans un rapport aux événements les plus

intimes de l’auteur, la perte d’un proche. Il rend ainsi hommage à son ami en évoquant ce qui

constitue une mort glorieuse dans les récits scandinaves.

Dans une lettre datée de juillet 1932, Robert E. Howard mentionne The Saga of King Olaf,

un autre poème de Longfellow. Ces quelques références permettent de mieux comprendre les

propos de Robert E. Howard, lorsque celui-ci dit à H. P. Lovecraft, dans une lettre du 2 novembre

1932, qu’il « trouve les anciennes sagas scandinaves fascinantes, mais [il] ne trouve aucun intérêt

dans les auteurs scandinaves modernes. Ils [lui] semblent plus éloignés du pur type viking que les

745. « "Still, I feel that if there is such thing as a hereafter that he will find a place among his fearless ancestors in the high hall of Valhalla and I like to think of him at the right hand of Thor amid the glory of everlasting revel. Yes, if there is a Hereafter, as Longfellow says, […] », ma traduction, le poème est volontairement laissé en langue originale. ibid., p. 203.

746. Glenn Lord, « Herbert C. Klatt, le quatrième mousquetaire », in Fabrice Tortey (dir.), Échos de Cimmérie. Hommage à Robert Ervin Howard (1906 - 1936), Paris, L’Œil du Sphinx, 2009, p. 105.

747. John Goodrich, « … From Acorns Grow. Robert E. Howard Revealed in Post Oaks and Sand Roughs », in Benjamin Szumskyj (ed.), Two-Gun Bob: A Centennial Study of Robert E. Howard, New York, Hippocampus Press, 2006, p. 33-34.

auteurs anglais »

748

. La question des origines est ici centrale, c’est pourquoi il faut prendre en

considération le lien que Howard lui-même établit avec les peuples scandinaves lorsqu’il évoque

ses origines. Dans une lettre datée de juin 1931, également adressée à H. P. Lovecraft, le Texan

présente ainsi sa vision :

« Un autre sentiment instinctif est celui de ma parenté avec les peuples scandinaves de ma lignée anglaise, plutôt que la lignée anglo-saxonne. Je suppose que chaque homme avec du sang anglais en lui a une bonne part de saxon dans ses veines, pourtant je n’ai jamais senti aucune parenté avec les Jutes, les Angles et les Saxons qui ont perpétré les premières invasions teutoniques de la Bretagne. Mon sens personnel du positionnement dans les îles se place principalement en Irlande et en Écosse ; quelque connexion que je perçoive avec l’Angleterre, celle-ci commence avec les invasions danoises. »749

Dans ce passage, Robert E. Howard aborde très clairement la question de la transmission de

la lignée par le sang. Selon lui, il serait ainsi le descendant des Danois ayant envahi les territoires

de Bretagne à la fin du VIII

e

siècle. Il reprend la thématique développée au siècle précédent par

Ralph Waldo Emerson selon laquelle les Américains seraient des descendants des peuples

d’Europe du Nord, bien que ce dernier faisait une assimilation entre Anglo-Saxons et Danois à

partir de l’invasion de l’Angleterre par les seconds. Dans sa réponse datée du 6 août 1931,

Lovecraft commente les propos de Howard ainsi :

« J’imagine que votre positionnement personnel instinctif parmi les robustes barbares antiques est dû à votre familiarité précoce avec un environnement dans lequel de nombreuses conditions et de nombreuses valeurs des temps primitifs sont reproduites. Il est probable que votre préférence pour les Danois sur les Saxons vienne du fait que les Scandinaves ont figuré plus souvent dans les exploits rapportés de manière aventureuse. » 750

Pour l’auteur de Providence, la préférence de Howard pour les barbares nordiques viendrait,

d’une part, du fait qu’il ait grandi dans un environnement quasi sauvage et, d’autre part, du fait que

les récits sur les Scandinaves seraient à leur avantage. Néanmoins, il ne faut pas lire dans les

propos de Lovecraft une forme de dépréciation comme le montre la suite de la lettre qui mérite

d’être citée dans son intégralité :

« Je n’ai jamais eu beaucoup de choix parmi les différents éléments nordiques qui me précèdent, et je ne me suis jamais arrêté à chercher quel côté était prépondérant dans ma lignée teutonique parmi le saxe, le normand ou le danois. La lignée Lovecraft est saxonne ; mais un grand nombre de familles y ayant contribué ont des origines normandes, bien que la lignée de la mère de mon père – les Allgood du Northumberland – vienne d’une région où le sang danois était prépondérant. Accessoirement – cette région (près d’Hexam) est aussi très riche en antiquités romaines, car située près du mur d’Hadrien. J’ai 748. « I find the old Scandinavian sagas fascinating, but I can’t work up any interest in modern Scandinavian writers. They seem further removed from the pristine Viking type than the English writers », ma traduction. Rusty Burke, Sunand Tryambak Joshi, David E. Schultz (éd.), A Means to Freedom. The Letters of H. P. Lovecraft and Robert E. Howard : 1930-1932, op. cit., p. 445.

749. « Another instinctive feeling of mine is that of kin-ship with the Scandinavian peoples of my English line, rather than the Anglo-Saxon stock. I suppose that any man with English Blood in him has a good deal of the Saxon in his veins, yet I have never felt any kin-ship with the Juts, Angles and Saxons who made the first Teutonic invasion of Britain. My sense of personal placement in the Isles centers mainly in Ireland and Scotland ; what connection I do feel with England begins with the Danish invasions », ma traduction. ibid., p. 170.

750. « I imagine that your instinctive self-placement among antiquity’s hardy barbarians is due to your early familiarity with an environment in which many conditions and values of primitive times were reproduced. It is likely that your preference for the Danes over the Saxons springs from the fact that Scandinavians have figured more largely in glamourously recorded exploits », ma traduction. ibid., p. 185.

beaucoup d’admiration pour les Scandinaves, car la majeure partie d’entre eux a conservé ses traditions beaucoup plus tardivement que les autres races teutoniques. Ils sont un lien entre notre présent et notre passé, que l’on soit l’un d’eux ou d’une autre tribu teutonne dont l’absorption et la conversion ont eu lieu plus tôt. Thor, Odin, Freyer, Asgard, et Valhalla font partie de notre passé à tous – même si notre côté Saxon s’en est détaché plus tôt que notre côté Danois. Mais je peux quand même prendre plus de plaisir des noms et des actions des anciens dieux du nord que de n’importe quelle autre religion. Comme un Romain, je suis un sceptique philosophique tout comme dans la vie courante moderne. La religion de la Grèce et de Rome, bien que d’une beauté exquise, n’accroche que mon sens esthétique ; comme c’était en fait le cas avec la plupart des Romains cultivés vers la fin de la république. Les divinités blondes et gelées du nord, d’un autre côté, me semblent curieusement mêlées dans les éléments de nature terrestre et céleste ; de telle manière que le son du tonnerre évoque l’image d’un grand être aux yeux bleus pris d’une fureur de Berserk, bien que le crépuscule d’un hiver froid appelle toute sorte d’images de formes ténébreuses marchant de façon impérieuse dans quelque région septentrionale au-delà de la terre. »751

Lovecraft ne semble pas accorder autant d’intérêt que Howard au lignage. Pour lui, les

traditions nordiques appartiennent à toutes les personnes d’origines anglo-saxonnes. En revanche,

il accorde plus d’importance au fait que les Scandinaves soient restés plus longtemps fidèles à

leurs traditions, dont il estime que le potentiel d’évocation est bien supérieur à celui des

« religions » de la Grèce et de la Rome antique qui n’ont qu’une portée esthétique. Leur proximité

avec les éléments naturels leur donne leur force symbolique. Des éléments similaires sont déjà

présents dans le prologue à l’Edda en prose et sont développés à la période romantique. La

discussion entre les deux hommes se poursuivra au cours de leurs échanges ultérieurs, évoquant la

question des langues germaniques et de l’histoire des différents peuples, de leurs séparations et de

leurs rattachements.

Ainsi, les références aux anciens Scandinaves, aux barbares, aux Goths, parsèment les lettres

et les poèmes de Robert Ervin Howard

752

. Thor est souvent mentionné dans les vers de l’auteur

texan. De même, plusieurs nouvelles, en dehors de la série Conan, font explicitement référence

aux ressources mythiques nordiques

753

: « The Gods of Bal-Sagoth [Les dieux de Bal-Sagoth] », où

751. « I have never had much choice among the various Nordic elements extending behind me, and have never stopped to figure out whether Saxon, Norman, or Dane preponderates in my Teutonic lineage. The Lovecraft line is Saxon ; but a great number of contributory lines have Norman origins, whilst my father’s mother’s line – the Allgoods of Northumberland – come from a region where Danish blood preponderates. Incidentally – this region (near Hexham) is also very rich in Roman antiquities, being close to Handrian’s Wall. I have a great admiration for the Scandinavians, since the bulk of them kept to their ancient ways much later than any other Teutonic race. They are a link between our present and our past, whether we be one of themselves or of a Teuton tribe whose absorption and conversion came at an earlier date. Thor, Odin, Freyer, Asgard, and Valhalla are behind us all – even though our Saxon side broke away sooner than our Danish side. I can still get more of a kick out of the names and deeds of the old Northern gods than out of any other religion. As a Roman, I am a philosophic sceptic just as in actual modern life. The religion of Greece and Rome, though a thing of exquisite beauty, grips only my aesthetic emotions; as indeed was the case with most Romans of mature cultivation in the late republican age. The frosty blond deities of the north, on the other hand, seem to my mind to be curiously woven into the elements of terrestrial and celestial Nature ; so that the sound of thunder evokes images of a great blue-eyed being in Berserk fury, whilst a cold winter twilight calls up all sorts of images of shadowy shapes marching imperiously in some Northerly middle region just beyond the Earth », ma traduction. ibid., p. 186.

752. Frank Coffman, « Barbarism Ascendant. The Poetic and Epistolary Origins of the Character and his World », in Jonas Prida (ed.), Conan Meets the Academy. Multidisciplinary Essays on the Enduring Barbarian, Jefferson/Londres, McFarland & Company, 2013, p. 35-50.

on trouve un personnage appelé Brunhild, assimilée à une Valkyrie par un personnage, et où l’on

jure sur le sang de Thor ; « The Grey God Passes » aussi intitulé « The Twilight of the Grey God

[Le crépuscule du dieu gris] » ; « The Night of the Wolf [La nuit du loup] » ; ou encore « Marchers

of Valhalla [Les guerriers du Valhalla] » au titre explicite qui donnera son nom à un recueil de

nouvelles publié en 1972, dont la couverture représente une troupe de guerriers nordiques, aux