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Chapitre III : Réaction de Murai carbonylative sur les pyrroles

II. Réaction de Murai-Historique

1. Premiers travaux

Dès 1986, Lewis et Smith ont rapporté l’insertion ortho-sélective d’alcène dans une liaison C-H en utilisant des complexes de Ru(II).162 Dans un premier temps, la réaction d’un complexe de Ru cyclométallé [Ru(P^C)3] sous une pression d’éthylène a permis de fournir les produits d’alkylation des ligands phosphites cyclométallés présents préalablement sur le complexe (Schéma 108, a). Cette nouvelle réactivité a ensuite été appliquée à l’alkylation catalytique du phénol en présence d’une quantité catalytique de phénolate de potassium. Le produit de di-alkylation a été obtenu majoritairement (Schéma 108, b).

Schéma 108. Premier exemple de la réaction d’hydro-arylation d’alcènes.

Quelques années plus tard, l’équipe de Murai a décrit l’utilisation du complexe RuH2(CO)(PPh3)3 pour l’alkylation de différentes cétones aromatiques en présence d’alcènes.163 Le motif directeur cétone a permis d’obtenir exclusivement le produit de couplage en position ortho. Alors que l’utilisation de Ru(CO)2(PPh3)3 a donné un rendement similaire, RuH2(PPh3)4 et Ru(CO)3(PPh3)2 se sont montrés moins efficaces. Dans ce travail, la plupart des oléfines ayant réagi sont de type vinylsilane. Le ratio mono/di-fonctionnalisation peut être contrôlé grâce au nombre d’équivalents d’oléfine utilisés et le temps de réaction (Schéma 109).

162 Lewis, L. N.; Smith, J. F. J. Am. Chem. Soc. 1986, 108, 2728-2135.

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Schéma 109. Hydro-arylation de vinylsilane catalysée au ruthénium.

Par la suite, les auteurs ont réussi à étendre le champ d’application de cette nouvelle réactivité.164 D’abord, l’acétophénone et la 2-méthylacétophénone ont été utilisées avec succès pour le couplage avec différents vinylsilanes, pour fournir les produits avec de bons rendements. D’autres oléfines aliphatiques ont pu être couplées avec ces deux cétones telles que l’éthylène, le 1-hexène, le norbornène et le cyclopent-1-ène. L’utilisation des dérivés du styrène a aussi été possible avec l’obtention du produit linéaire et du produit ramifié et un ratio en faveur du premier (Schéma 110).

Schéma 110. Exemples d’application de la réaction de Murai sur la 2-méthylacétophénone.

Dans le cas de l’acétophénone, l’influence des substitutions en position meta et para a ensuite été évaluée. Lorsque le substituent en position meta est de type diméthylamino (85%), méthyle (93%), nitrile (71%) ou CF3 (82%), l’insertion a lieu à la position la moins encombrée. Cependant, en présence d’un groupement méthoxy ou d’un fluor, la réaction se fait à la position la plus encombrée (Schéma 111). Ce résultat peut s’expliquer par le fait que l’atome d’oxygène du groupe méthoxy ou le fluor jouent le rôle d’un deuxième groupement directeur permettant l’activation C-H sur la position la moins favorable.

164 (a) Kakiuchi, F.; Sekine, S.; Tanaka, Y.; Kamatani, A.; Sonoda, M.; Chatani, N.; Murai, S. Bull. Chem. Soc. Jpn. 1995,

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Schéma 111. Influence de la substitution en meta sur la régiosélectivité.

D’autre part, quand le substituent en position para est un groupement électro-donneur ou électro-attracteur, le produit de mono-alkylation est obtenu majoritairement (Schéma 112). En présence d’un fort groupement électro-donneur de type méthoxy, c’est le produit de di-alkylation qui est obtenu. En effet, le groupe acétyle de l’acétophénone reste coordonné au ruthénium après l’insertion de la première oléfine et permet ainsi de diriger l’activation C-H sur l’autre position ortho. Dans le cas du groupe diméthylamino, aucune réactivité n’a pu être observée. Etant donné que le produit de couplage ait été obtenu avec un bon rendement (85%) lorsque le même groupement était en position meta, l’inhibition de la réaction ne peut être due à la coordination non désirée de l’atome d’azote au ruthénium, mais plutôt à une forte coordination de la part de l’atome d’oxygène (grâce à l’électro-donation de NMe2).

Schéma 112. Influence des substituants en position para.

La réaction a été ensuite appliquée avec succès sur différentes cétones aromatiques et hétéro-aromatiques, comme l’acétonaphtone, la benzophénone et la tétralone, en présence du triéthoxyvinylsilane. Des hétérocycles à 5 chainons ont aussi donné des rendements satisfaisants tels que le 2-acétylfurane, le 2- et 3-acétylthiophène et la 2-acétyl-N-méthylpyrrole.

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2. Etudes mécanistiques

Le mécanisme de cette transformation d’hydro-arylation a été étudié expérimentalement et par calculs DFT.164a,165 D’abord, l’équipe de Murai s’est intéressée à la structure de l’espèce catalytique active ; en comparaison au complexe Ru(H)2(CO)(PPh3)3, les autres complexes testés tels que Ru(CO)2(PPh3)3, Ru(H)2(PPh3)4 et Ru(CO)3(PPh3)2 se sont montrés moins efficaces alors que le ruthénium carbonyle Ru3CO12 n’a donné aucune réactivité. Ces résultats montrent que la présence des ligands hydrure ou carbonyle n’est pas nécessaire et que c’est un complexe mononucléaire de Ru(0) qui entre en jeu. Les auteurs ont proposé trois possibilités pour la formation d’un tel complexe à partir de Ru(H)2(CO)(PPh3)3 (Schéma 113) : a) l’élimination réductrice de H2 ou b) la réduction de la cétone en alcool ou c) l’hydrogénation de l’oléfine.

Schéma 113. Différentes possibilités pour la réduction du Ru(II) en Ru(0).

L’hypothèse d’une élimination de H2 (a), généralement observée à hautes températures, a été écartée lors d’un test de stabilité du catalyseur à 120 °C. De plus, la réaction stœchiométrique entre Ru(H)2(CO)(PPh3)3 et l’acétophénone n’a pas fourni l’alcool correspondant, prouvant que la réduction en Ru(0) ne passe pas par le chemin (b). Enfin, en faisant réagir ce complexe en présence de 3 équivalents de triméthoxyvinylsilane la disparition du signal Ru-H a été observée en RMN 1H ainsi que la formation du produit d’hydrogénation de l’alcène. L’ajout de l’acétophénone dans ce milieu a conduit à une conversion complète au produit de couplage, montrant que c’est bien le chemin (c) qui est opérationnel pour la formation de l’espèce active Ru(CO)(PPh3)3.

Alors que différentes études expérimentales ont permis de montrer l’importance de la coordination du complexe de Ru(0) à l’oxygène du groupement carbonyle, Matsubara et Morokuma ont aussi étudié la possibilité d’une coordination-π au noyau aromatique. Les études par calculs DFT ont permis d’écarter cette deuxième alternative à cause de la haute barrière énergétique de l’étape

165 (a) Matsubara, T.; Koga, N.; Musaev, D. G.; Morokuma, K. J. Am. Chem. Soc. 1998, 120, 12692-12693; (b) Matsubara, T.; Koga, N.; Musaev, D. G.; Morokuma, K. Organometallics 2000, 19, 2318-2329.

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suivante d’activation de liaison C-H. D’ailleurs, pour cette étape d’activation C-H, deux différentes approches ont été considérées (Schéma 114) : la première est une addition oxydante classique (a) alors que la deuxième passe par une attaque nucléophile 1,4 suivie d’une élimination 1,2 d’hydrure (b). Cette deuxième hypothèse est soutenue par le fait que le traitement du 2-acétylfurane et du 3-acétylthiophène délivre les produits de couplage, respectivement, en positions 3 et 2 alors que la réaction en présence du 2-méthyl-3-acétylfurane, de la dihydrobenzofuranone ou de la dihydrobenzothiophénone n’a pas permis d’obtenir les produits désirés. Dans leur étude mécanistique, Matsubara et Morokuma ont montré que ce chemin réactionnel était le plus favorable pour l’activation C-H avec la formation d’un intermédiaire présentant une interaction agostique entre le Ru et la liaison C-H en position ortho. Une étude de deutération a montré qu’il existe un équilibre rapide entre l’acétophénone, le complexe cyclométallé et le complexe coordonné par l’alcène. De plus, ces résultats indiquent que l’étape d’activation C-H n’est pas l’étape cinétiquement déterminante.

Schéma 114. Chemins proposés pour l’étape d’activation C-H.

Les auteurs ont ensuite étudié l’étape d’insertion de la double liaison. Ici aussi, deux mécanismes ont été proposés : une carbométallation ou bien une hydrométallation (Schéma 115). Dans le cas d’une carbométallation (voie a), la formation de l’intermédiaire A pourrait être suivie par une β-H élimination. Toutefois, le produit vinylé D n’a jamais été observé. Alternativement, une élimination réductrice à partir de A pourrait donner le produit E. D’autre part, lors de l’étape d’hydrométallation, le transfert de l’hydrure pourrait se faire sur le carbone interne pour donner B (voie b), ou sur le carbone terminal pour donner C (voie c). Ces intermédiaires donneraient, par élimination réductrice, respectivement, le produit linéaire E ainsi que le produit ramifié F. Etant donné que le produit de type F n’a été observé expérimentalement que dans le cas du styrène, le chemin retenu pour cette étape est l’insertion de la double liaison par hydrométallation 1,2.

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Schéma 115. Mécanismes possibles pour l’étape d’insertion de l’alcène.

Enfin, le complexe B obtenu après l’insertion de la double liaison subit une élimination réductrice pour former la liaison C-C (Schéma 116). Alors qu’une étape d’élimination réductrice concertée classique a été envisagée (a), la possibilité d’une migration 1,2 de l’alkyle par addition 1,4, suivie d’une déruthénation (b) a été proposée avec un intermédiaire de type énone (similaire à celui proposé pour l’étape d’activation C-H) et confirmée par les calculs DFT. Une interaction agostique entre le Ru et la liaison C-H en position β a été proposée pour stabiliser l’intermédiaire cyclométallé.

Schéma 116. Mécanismes proposés pour l’étape d’élimination réductrice.

En 2010, Kakiuchi et Murai ont conduit d’autres expériences afin d’obtenir des informations supplémentaires sur les structures des intermédiaires (Schéma 117).166 La réaction de Ru(H)2(CO)(PPh3)3 avec du tri-méthylvinylsilane a permis d’obtenir les isomères du complexe de cyclométallation sur un des ligands phosphines. Le complexe majoritaire I, testé comme catalyseur pour la réaction entre la 2-méthylacétophénone et le tri-méthylvinylsilane, a fourni le produit

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d’hydroalkylation attendu avec un rendement quantitatif. De plus, le complexe cyclométallé sur l’acétophénone a pu être caractérisé lors de cette étude.

Schéma 117. Réaction de Murai à température ambiante catalysée par un complexe cyclométallé.

En prenant en compte toutes ces observations, un mécanisme général peut alors être proposé (Schéma 118). D’abord, l’espèce catalytique active de Ru(0) A est formé par hydrogénation du vinylsilane. Ce complexe est alors coordonné par l’oxygène du groupement carbonyle pour former l’intermédiaire B qui peut alors s’additionner sur la liaison C-H en position ortho par un mécanisme de type addition/migration. Le complexe cyclométallé C ainsi obtenu est ensuite coordonné par la double liaison du vinylsilane avant de s’insérer par hydrométallation pour donner l’intermédiaire aryl-Ru-alkyle E. Enfin, une élimination réductrice par une approche de type migration/addition permet d’engendrer le produit d’alkylation et le complexe de Ru(0).

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