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Fonctionnalisation par activation C-H de la pyridine N-oxyde

Chapitre II : Oléfination et allylation de la pyridine N-oxyde par activation C-H

IV. Fonctionnalisation par activation C-H de la pyridine N-oxyde

En 2005, Fagnou a rapporté l’utilisation de la pyridine N-oxyde (PNO) pour l’arylation directe palladocatalysée du noyau pyridine en présence de bromure d’aryle.96 Cet exemple représente la première fonctionnalisation catalytique par activation C-H de la pyridine N-oxyde. Outre le fait d’empêcher la coordination du doublet de l’azote au métal de transition, l’oxydation de la pyridine en PNO permet aussi d’augmenter : a) la densité électronique sur le noyau pyridine, b) l’acidité des liaisons C-H en position 2. L’utilisation du système [Pd(OAc)2 / P(t-Bu)3•HBF4 / K2CO3] permet de générer du Pd(0) in situ. Les produits d’arylation ont été obtenus avec de très bons rendements en utilisant des halogénures d’arènes aussi bien électro-appauvris qu’électro-enrichis.

Schéma 54. Réaction d’arylation des PNO.

L’introduction de divers substituants sur la pyridine a été étudiée. La présence d’un substituant en position 3 donne un mélange de produits fonctionnalisés en positions 2 ou 6. Les groupements méthyle, phényle et ester favorisent la formation du produit le moins encombré en position 6 tandis que les groupements F, CN et NO2 avantagent la formation du produit fonctionnalisé en position 2. En plus, l’utilisation d’un ligand moins encombré tel que P(t-Bu)2Me•HBF4 a également permis d’améliorer la sélectivité en faveur de l’arylation en C2.

Les mêmes auteurs ont aussi conduit des études computationnelles et cinétiques.97 La possibilité d’un mécanisme de type SEAr a été écartée étant donné qu’aucun intermédiaire de type Wheland a été observé. La réaction de compétition entre le 4-nitro PNO et la 4-méthoxy PNO a montré que le

96 (a) Campeau, L.-C.; Rousseaux, S.; Fagnou, K. J. Am. Chem. Soc. 2005, 127, 18020-18021; (b) Campeau, L.-C.; Stuart, D. R.; Leclerc, J.-P.; Bertrand-Laperle, M.; Villemure, E.; Sun, H.-Y.; Lasserre, S.; Guimond, N.; Lecavallier, M.; Fagnou, K. J. Am. Chem. Soc. 2009, 131, 3291-3306.

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noyau électro-appauvri réagit plus rapidement. Ce résultat, associé à un large effet isotopique primaire (KIE = 4.7) et à la nécessité d’avoir un acétate dans le milieu réactionnel, permet de postuler que l’étape d’activation C-H passe par un mécanisme de type métallation déprotonation concertées (CMD), et qu’elle est l’étape cinétiquement déterminante dans le cycle catalytique. Les auteurs ont alors proposé un mécanisme commençant par l’addition oxydante du bromure d’aryle sur le Pd(0). La coordination du complexe arylpalladium(II) ainsi formé par l’atome d’oxygène de la PNO permet de rapprocher la liaison C2-H de l’atome de Pd et d’engager une étape d’activation C-H de type CMD par sphère interne. Enfin, une étape d’élimination réductrice donne le produit d’arylation et régénère le complexe de Pd(0) (Schéma 55).

Schéma 55. Mécanisme de la réaction d’arylation des PNO.

L’équipe de Hartwig s’est aussi intéressée au mécanisme de cette réaction à travers une étude cinétique et des expériences stœchiométriques.98 Les études menées ont permis aux auteurs de conclure qu’il s’agit d’un système coopératif de deux complexes de palladium engagés dans deux cycles catalytiques concertés.

D’abord, la réaction en conditions stœchiométriques en présence du complexe A a donné 52% de rendement en comparaison aux 77% en conditions catalytiques. Ce résultat prouve que ce complexe A de Pd(II) n’est pas l’unique espèce présente dans le milieu. En effet, en chauffant ce complexe à 60 °C pendant 8 h, les auteurs ont réussi à obtenir le complexe dimérique B provenant de la

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cyclopalladation d’un groupement t-Bu de la phosphine avec dégagement du fluorométhylbenzène (Schéma 56).

Ensuite, l’étude cinétique a montré que la réaction était d’ordre 1 en PNO et d’ordre 0.5 en complexe B. Cet ordre partiel suggère que la réaction se fait en présence d’une espèce monomérique.

Schéma 56. Formation du complexe dimérique.

Ces observations ont donc amené les auteurs à proposer un mécanisme à deux cycles. Le 1er cycle (en orange) commence par l’addition oxydante du bromure d’aryle sur le Pd(0). Après un échange de ligand, le complexe E ainsi formé subit une transmétallation en présence du 2ème complexe pyridylcyclométallé D pour donner l’intermédiaire aryl-Pd-PNO F. Ce dernier subit une élimination réductrice pour donner la 2-arylPNO et le complexe de Pd(0). Dans l’autre cycle catalytique (en vert), c’est le complexe cyclométallé monomérique C qui intervient dans l’étape d’activation C-H en position 2 de la PNO (Schéma 57).

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Cette réaction d’arylation a ensuite été étendue aux thiazoles, imidazoles, azines et quinoléines N-oxydes.96b,99 Ces travaux pionniers ont été le point de départ pour la découverte de nouvelles méthodes d’activation catalytique de liaison C-H de la PNO.

Dans le cas où le groupement en position 2 est un méthyle, les auteurs ont observé une diminution du rendement à cause de la formation du produit d’arylation sur la position benzylique. Après optimisation, il a été montré qu’on pouvait contrôler la régiosélectivité de la réaction en modifiant les conditions de réaction.100 En effet, l’utilisation d’une base plus forte telle que le tert-butylate de sodium permet de déprotoner la position benzylique, sous irradiation micro-ondes.

Schéma 58. Fonctionnalisation en position benzylique de la picoline N-oxyde.

Au vu de l’abondance du motif 2-arylpyridine dans les molécules d’intérêt biologique et industriel, une grand attention fut portée aux réactions d’arylation de cet hétérocycle. Outre la réaction d’arylation faisant intervenir des halogénures d’aryle,101 différents partenaires de couplages ont été utilisés tels que les triflates d’aryle,102 les acides et les esters boroniques,103 les aryles de trifluoroborate,104 les acides carboxyliques aromatiques105 et les arènes non activés.106

Quelques années plus tard, suite au développement des réactions de couplage déshydrogénant croisé, l’équipe de Hu et You a rapporté la réaction de couplage palladocatalysé entre hétéroarènes en présence de Cu(OAc)2•H2O comme oxydant ainsi que de CuBr et de pyridine comme additifs. Dans les exemples présentés, ils montrent le couplage de la PNO avec le thiophène et le furane (Schéma 59). Le mécanisme, proposé sur la base de calculs DFT, débute par une première étape d’activation

99 (a) Leclerc, J.-P.; Fagnou, K. Angew. Chem. Int. Ed. 2006, 45, 7781-7786.

100 (a) Campeau, L.-C.; Schipper, D. K.; Fagnou, K. J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 3266-3267; (b) Schipper, D. K.; Campeau, L.-C.; Fagnou, K. Tetrahedron, 2009, 65, 3155-3164; (c) Pour un exemple d’allylation en position benzylique, voir : Murakami, R.; Sano, K.; Iwai, T.; Taniguchi, T.; Monde, K.; Sawamura, M. Angew. Chem. Int. Ed. 2018, 57, 9465-9469;

101 (a) Duric S.; Tzschucke, C. C. Org. Lett. 2011, 13, 2310-2313; (b) Duric, S.; Sypaseuth, F. D.; Hoof, S.; Svensson, E.; Tzschucke, C. C. Chem. Eur. J. 2013, 19, 17456-17463.

102 Schipper, D. J.; El-Salfiti, M.; Whipp C. J.; Fagnou, K. Tetrahedron, 2009, 65, 4977-4983.

103 (a) Mai, P.; Yuan, J.; Li, Z.; Sun, G.; Qu, L. Synlett, 2012, 145-149; (b) Shen, Y.; Chen, J.; Liu, M.; Ding, J.; Gao, W.; Huang, X.; Wu, H. Chem. Commun. 2014, 50, 4292-4295.

104 Li, M.; Li, X.; Chang, H.; Gao, W.; Wei, W. Org. Biomol. Chem. 2016, 14, 2421-2426.

105 Suresh, R.; Muthusubramanian, S.; Kumaran, R. S.; Manickam, G. Asian J. Org. Chem. 2014, 3, 604-608.

106 (a) Xi, P.; Yang, F.; Qin, S.; Zhao, D.; Lan, J.; Gao, G.; Hu, C.; You, J. J. Am. Chem. Soc. 2010, 132, 1822-1824; (b) Gong, X.; Song, G.; Zhang, H.; Li, X. Org. Lett. 2011, 13, 1766-1769; (c) Kianmehr, E.; Faghih, N.; Khan, K. M.; Org.

Lett. 2015, 17, 414-417; (d) Odani, R.; Hirano, K.; Satoh, T.; Miura, M. J. Org. Chem. 2015, 80, 2384-2391; (e) Liu, S.; Tzschucke, C. C. Eur. J. Org. Chem. 2016, 3509-3513.

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C-H régiosélective de type SEAr sur le thiophène. Le complexe thiophénylpalladium ainsi formé est engagé dans une deuxième étape d’activation C-H avec la PNO par un mécanisme de type CMD pour engendrer l’intermédiaire tiophényl-Pd-PNO. Ce dernier subit une élimination réductrice pour former le produit de couplage et le Pd(0) qui est réoxydé en Pd(II) en présence du sel de cuivre (II).

Schéma 59. Arylation de la PNO par couplage croisé déshydrogénant.

Récemment, le groupe de Li et Wei a développé une méthode d’arylation en utilisant des aryles et hétéroaryles de trifluoroborate en présence de sel de Pd(II) et Ag2O comme réoxydant.104 Au cours de ce travail, les auteurs ont réussi à synthétiser une large gamme de produits avec de bons rendements et une bonne tolérance aux groupements fonctionnels. Le mécanisme proposé par les auteurs fait intervenir une activation C-H en position 2 de la PNO suivie d’une transmétallation avec l’aryle de trifluoroborate. L’intermédiaire ainsi formé subit une élimination réductrice pour donner le produit d’arylation et le complexe de Pd(0) qui est réoxydé en Pd(II) par l’oxyde d’argent (Schéma 60).

Schéma 60. Mécanisme de l’arylation des PNO en présence d’aryle de trifluoroborate.

D’autre part, la réaction d’oléfination de la PNO faisant intervenir une activation C-H a été étudiée par les équipes de Nakao et Hiyama et celle de Chang. Les premiers se sont intéressés à la réaction de type Murai où l’utilisation du couple Ni(0)/PCyp3 (Cyp = cylopentyle) leur a permis

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d’hydroaryler des alcynes avec différentes PNO. Pour ce type de réactivité, les auteurs proposent un mécanisme en trois étapes : le complexe alcyne-Ni(0) A subit une addition oxydante de la liaison C2 -H. L’intermédiaire B ainsi formé est engagé dans une hydronickelation syn de la triple liaison pour donner le complexe pyridyl-nickel-vinyle C. Ce dernier subit une élimination réductrice en présence d’une nouvelle molécule d’alcyne permettant d’obtenir le produit de 2-oléfination de la PNO et de régénérer l’espèce catalytique (Schéma 61).107

Schéma 61. Oléfination des PNO en présence d’un complexe de Ni(0).

Dans le même temps, Chang a décrit la vinylation palladocatalysée de la PNO en présence d’alcènes, qui représente une extension à la PNO de la réaction de Fujiwara-Moritani.108 L’utilisation de Pd(OAc)2 comme catalyseur et Ag2CO3 comme réoxydant a permis d’obtenir de bons rendements (Schéma 62). Des expériences de compétition isotopiques ont mis en évidence un effet isotopique primaire, ce qui suggère que l’étape d’activation C-H est l’étape cinétiquement déterminante. Les auteurs ont aussi démontré que la PNO se coordonne au palladium au début du cycle catalytique. Comme dans le cas de la réaction de Fujiwara-Moritani, l’activation C-H sur la PNO en position 2 passe par un mécanisme de type CMD. Ensuite, une étape de carbopalladation en présence de l’oléfine donne l’intermédiaire PNO-Pd-alkyle. Ce dernier subit une β-H élimination pour donner le produit d’oléfination et le complexe de Pd(0) qui est réoxydé en Pd(II) par le sel d’argent.

107 Kanyiva, K. S.; Nakao, Y.; Hiyama, T. Angew. Chem. Int. Ed. 2007, 46, 8872-8874.

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Schéma 62. Réaction de type de Fujiwara-Mortani sur les PNO.

Quelques années plus tard, la même équipe a montré que, par catalyse au rhodium, il était possible d’utiliser les mêmes partenaires de couplage pour obtenir, cette fois, les produits d’alkylation.109 Le mécanisme proposé débute par une étape d’activation C-H de la PNO par le complexe de Rh(I) A se déroulant par un mécanisme de type CMD. L’intermédiaire B ainsi obtenu s’insère sur la double liaison de l’oléfine. Après isomérisation du complexe C par une séquence de dehydro-rhodation/hydro-rhodation, le complexe D subit alors une protonolyse par l’acide acétique pour donner le produit d’alkylation et régénérer l’espèce catalytique (Schéma 63). L’étape d’isomérisation est proposée sur la base d’études de deutération qui ont montré que l’incorporation du deutérium se fait sur les deux positions avec un ratio en faveur du produit provenant de l’intermédiaire D.

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Schéma 63. Mécanisme de la réaction d’alkylation des PNO.

En se basant sur les travaux réalisés par l’équipe de Fagnou sur l’arylation des PNO, le groupe de Charette a rapporté différentes méthodes de fonctionnalisation du noyau pyridine en partant d’ylures de N-imminopyridinium. Ce nouveau groupe directeur leur a permis d’accéder à diverses pyridines fonctionnalisées en position 2 avec de bons rendements.

Ainsi, la réaction de cet ylure avec des bromures d’aryle (ou hétéroaryle) en présence d’un catalyseur de Pd(0) formé in situ, a permis d’obtenir les produits d’arylation avec une bonne tolérance aux groupements fonctionnels (Schéma 64, a).110 Le mécanisme de cette transformation est censé débuter par l’addition oxydante du bromure d’aryle sur le complexe de Pd(0). Le motif amide permet de diriger l’activation C-H en position 2 de l’ylure de la part du complexe d’arylpalladium via une probable CMD. Pour finir, une élimination réductrice donne le produit d’arylation et régénère le complexe de Pd(0).

Par la suite, ce même ylure de pyridinium a été utilisé pour effectuer des réactions d’oléfination cuprocatalysées en présence d’iodures de vinyle. La réaction est stéréoconvergente, engendrant la formation du produit d’oléfination trans majoritairement, indépendamment de la géométrie de

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l’iodovinyle de départ (Schéma 64, b). Pour cette réaction, les auteurs proposent comme espèce catalytique un complexe de Cu(I) formé par réduction de CuBr2 de la part de l’ylure. Après l’échange de ligand halogène-carbonate, le complexe de cuivre est engagé dans une étape d’activation C-H de type CMD dirigée par le motif benzoyle. L’addition oxydante de l’iodovinyle sur ce complexe suivie d’une élimination réductrice fournit le produit d’oléfination et le complexe de Cu(I).111

Schéma 64. Fonctionalisation par activation C-H d’ylure de pyridinium.

Le changement de système catalytique, en conservant les mêmes partenaires de réaction, permet de modifier le type de réactivité. En effet, en présence d’un système PdBr2/P(4-MeOPh)3 et de benzoate d’argent, des pyrazolopyridines substituées en position 2 ont été obtenues avec de bons rendements (Schéma 64, c).112 Une étude mécanistique approfondie a permis aux auteurs de proposer la participation d’un alcyne formé à partir de l’iodure de vinyle. En effet, après l’addition oxydante de ce dernier sur le Pd(0), le sel d’argent permet d’abstraire l’iodure. Le complexe de Pd(II) peut ensuite subir une β-H élimination pour donner l’alcyne et l’hydrure de Pd qui, après élimination réductrice, permet d’engendrer le Pd(0) (Schéma 65).

Schéma 65. Formation d’alcyne à partir d’iodovinyle.

111 Mousseau, J. J.; Bull, J. A.; Charette, A. B. Angew. Chem. Int. Ed. 2010, 49, 1115-1118.

112 (a) Mousseau, J. J.; Fortier, A.; Charette, A. B. Org. Lett. 2010, 12, 516-519; (b) Mousseau, J. J.; Bull, J. A.; Ladd, C. L.; Fortier, A.; Roman, D. S.; Charette, A. B. J. Org. Chem. 2011, 76, 8243-8261.

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Pour la suite du mécanisme, les auteurs suggèrent que le complexe cyclométallé B est formé après activation C-H du complexe A. Il peut ensuite s’insérer sur l’argentoalcyne pour former le complexe C, qui subit une élimination réductrice en présence de benzoate ou de bromure pour donner l’intermédiaire bicyclique D et le Pd(0). Ce dernier est réoxydé en Pd(II) en présence du sel d’argent. L’expulsion du benzoyle permet de réaromatiser le cycle de l’intermédiaire E, et une étape de protonolyse donne la pyrazolopyridine F (Schéma 66).

Schéma 66. Mécanisme de la réaction d’oléfination des ylures de pyridinium.

Comme nous venons de le voir, la fonctionnalisation de la PNO et de son équivalent ylure de pyridinium par activation C-H catalytique est une méthode bien connue en littérature. Il n’empêche que ses applications se concentrent essentiellement sur les réactions d’arylation avec quelques exemples qui décrivent la réaction d’oléfination ou d’alkylation, mais aucun décrivant l’allylation, qui reste donc encore un défi pour les chimistes.