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CHAPITRE 4 – ANATOMIE D’UNE TRAJECTOIRE DE RUE, À PARTIR DU

4.1. Les premiers contacts avec la DPJ

Qu’il soit volontaire ou non, le contact avec le milieu de placement ne laisse aucun jeune indifférent. Durant l’entrevue, les jeunes ont décrit leur contexte de vie avant le placement, les circonstances du signalement, ainsi que leurs sentiments face à la décision de la DPJ et lors des premiers contacts avec le milieu de placement.

4.1.1. Contexte de vie familiale

Les jeunes de l’échantillon ont décrit le milieu familial dans lequel ils ont évolué avant d’être placés pour la première fois. Ils ont parlé de leurs parents, de leurs frères et sœurs ainsi que de leur famille élargie. Aucun des jeunes n’est enfant unique; ils ont tous mentionné avoir

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au moins un frère ou une sœur à qui, en général, ils sont fortement attachés. Les grands- parents, voire les tantes et les oncles, jouent aussi un rôle important, au plan du soutien matériel, affectif et/ou symbolique dans presque toutes les familles, à l’exception de celle de Francis (F). Jusqu’à son placement, Esther (E) se retrouve « tout le temps » (E) chez sa grand- mère, chez qui elle a habité avec sa mère jusqu’à 11 ans. Pour sa part, Tracey (T) a été logée- nourrie chez son grand-père avec sa mère et sa sœur.

Chérie (C) est la seule parmi les jeunes de l’échantillon qui mentionne avoir vécu une situation d’abus. La petite et son frère aîné évoluent dans un milieu empreint de violence dès la naissance. Les parents de Chérie se battent « à coups de poings puis à coups de pieds » (C). Chérie est victime d’abus physique et d’attouchements de la part de son père.

4.1.2. Première intervention de la DPJ

Dans la vie des jeunes, la première intervention de la DPJ advient selon des circonstances très variées. Dans l’échantillon, 2 jeunes, Matthew (M) et Francis, ont vécu un premier retrait du milieu familial avant l’âge de 5 ans. Les autres jeunes ont vécu leur premier placement plus tard. Il est intéressant à noter que dans la moitié des cas (M; B; C), une rupture du couple parental précède le placement. Ces ruptures ont entraîné la perte d’une source importante de soutien aux enfants ainsi qu’aux parents restés célibataires.

La séparation expose la vulnérabilité de la mère de Matthew qui, alcoolique, mène une vie « tumultueuse » (M) et qui, malgré le soutien de sa propre mère, se trouve débordée par les soins liés à la charge de ses deux fils. Lorsque Matthew a 2 ans, elle demande le placement de ses enfants en famille d’accueil. Les premières expériences de placement de Matthew sont marquées par l’instabilité. Pendant 4 ans, lui et son frère aîné sont ballottés entre familles d’accueil et le milieu familial d’origine selon l’humeur de leur mère : lorsqu’elle va mal, elle les place; lorsqu’elle va mieux, elle les reprend chez elle. Finalement, lorsque Matthew a 6 ans, la travailleuse sociale retire définitivement les garçons du milieu naturel et pose un interdit de contact avec la mère.

À l’âge de 4 ans on retire la garde de Francis à des parents « cokés » (F) et on le place en adoption chez celle qu’il appellera désormais « ma mère » (F). À l’âge de 13 ans, Francis est signalé à nouveau parce qu’il fait « plein de conneries » (F). Cette fois, c’est sa mère qui

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demande de l’aide à la DPJ. C’est également la mère d’Esther qui, avec l’école, signale Esther pour des troubles de comportement sévères.

Après le départ de sa mère, Benoît (B) est souvent laissé seul avec sa sœur aînée lorsque leur père travaille à l’extérieur de la ville. Sa sœur en profite pour faire la fête avec des amis, peu recommandables, selon les dires de Benoît : « Le monde cassait les vitres chez nous […] Ça mangeait de la vitre, tu sais. Je crois pas à ça! » (B). Lorsque Benoît a 7 ans, son entraîneur de hockey signale sa situation à la DPJ car il est inquiet devant son comportement violent à l’école. Benoit dit de lui-même : « J’arrachais le linge de d’sus le dos des gens, estie » (B).

Chérie et Tracey ont toutes deux participé à leur propre signalement, avec l’aide de policiers. Lorsque Tracey a 15 ans, sa mère, qui « n’a jamais été sévère » (T), commence tout d’un coup à « serrer la vis » (T). Elle lui impose des limites sur le temps d’ordinateur et sur ses sorties. Un soir, « en beau maudit » (T), Tracey décide de fuguer. Elle fugue trois fois en 3 jours, mais à chaque fois, elle est rapidement repérée par les policiers. La troisième fois, elle déclare aux policiers qu’elle ne veut plus rentrer chez sa mère. Avec son consentement, les policiers téléphonent au Centre jeunesse pour qu’ils viennent la chercher.

Lorsque Chérie dénonce à sa mère les attouchements dont elle est victime de la part de son père, il s’ensuit une violente dispute qui nécessite une intervention policière et conduit à la séparation définitive de ses parents. Restée seule, la mère de Chérie tombe en dépression et ne peut pas s’occuper de sa fille. Chérie confie aux policiers avoir peur de son père. Les policiers signalent sa situation à la DPJ et Chérie est placée en famille d’accueil, le jour de ses 12 ans.

4.1.3. Sentiments liés à l’annonce du placement : entre craintes et espoir

Les jeunes en âge de s’en rappeler ont rapporté avoir éprouvé différentes émotions devant la perspective d’être placés. Pour Benoît, Esther, Tracey et Matthew, la perspective du placement représente d’abord une nouveauté qui suscite de l’espoir. Pour Francis et Chérie, l’annonce du placement est plutôt accueillie par un sentiment d’impuissance, de vertige, de crainte et d’appréhension.

La travailleuse sociale de Francis lui avait déjà parlé du centre d’accueil, mais, selon lui, elle ne pensait jamais l’y retrouver. D’où la surprise de Francis à 13 ans lorsqu’il apprend qu’il va être placé en centre d’accueil. Devant cette nouvelle, Francis se dit « Perdu en

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crisse » (F). Il est certain de ne plus jamais revoir ses amis ou son frère aîné qui, lui aussi, est placé.

Obligée d’être placée, Chérie se sent comme si « c’était moi le problème là-dedans » (C). Elle ne veut pas vivre dans un milieu de placement, mais en même temps, elle constate l’absence d’alternatives : « Où j’aurais été? […] Dans la rue? […] À 12 ans? » (C). Devant l’inéluctable réalité, Chérie éprouve un souhait : « Crime! J’espère que la famille d’accueil va être correcte! » (C).

4.1.4. Arriver dans le milieu de placement : test de la réalité

L’arrivée dans le milieu de placement représente pour les jeunes un « test de la réalité ». Les sentiments initiaux, dans certains cas, cèdent la place à d’autres impressions.

Tracey a beau avoir accepté l’intervention de la DPJ, son placement dans une unité de réadaptation avec 12 autres filles ne correspond pas du tout à ce qu’elle s’imaginait. Confrontée à la sévérité du contexte de placement, elle change de regard sur son milieu naturel : « Finalement, c’était le paradis chez ma mère! » (T). Elle regrette aussitôt sa décision, mais elle ne peut plus retourner chez sa mère sans obtenir l’approbation de la réviseure, qui lui recommande plutôt de finir son année scolaire dans le milieu de placement.

Lorsque Francis aperçoit le centre d’accueil pour la première fois, il lui fait penser à « une prison » (F). Cependant, une belle surprise l’y attend : il va partager l’unité de vie avec trois de ses meilleurs amis. « Câlisse, ils sont tous là, man! […] Ça m’a surpris en estie! Eux- autres aussi ça les a surpris de me voir icitte » (F).

Les parents d’accueil de Benoît habitent sur une ferme où il y a beaucoup d’animaux. Comme Chérie, il se souvient d’avoir été impressionné par la taille de la maison de ses parents d’accueil. « C’était une grosse maison, là. Une grosse baraque de trois étages, là : sous-sol, premier, puis deuxième étage, toute » (B). Benoît et les autres enfants d’accueil participent à l’entretien des terres. Le plus « petit » (B) des enfants, Benoît a l’impression de faire véritablement partie de la famille et reconnaît la sollicitude de ceux qui s’occupent de lui. « C’est là que j’ai vu que, t’sais, si j’ai de quoi à faire, ben c’est que ils prennent soin de moi » (B). Chez Benoît, comme chez Esther, l’arrivée dans le milieu de placement correspond à une diminution des problèmes de comportement qui avaient mené au placement.

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