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CHAPITRE 4 – ANATOMIE D’UNE TRAJECTOIRE DE RUE, À PARTIR DU

4.2. Vivre dans le milieu de placement : entre opportunités et contraintes

4.2.2. Contacts avec la famille

Le retrait du milieu familial, par définition, crée une distance entre les enfants retirés, d’une part, et les parents, la fratrie et les proches, d’autre part. De nombreux jeunes ont exprimé leur frustration par rapport aux modalités de contact avec leur famille, ou à la qualité de ces contacts durant leur trajectoire de placement.

La plupart des jeunes ont continué à avoir des contacts au téléphone ou en personne avec les membres de leur famille immédiate et élargie, même si différentes restrictions leur ont été imposées. Par exemple, tout au long de ses deux placements, Benoît va dormir chez

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son père durant la fin de semaine. Il doit, cependant, revenir dormir dans sa famille d’accueil le dimanche soir, afin d’être « en forme » (B) pour l’école le lundi matin.

Esther continuera à communiquer régulièrement avec sa grand-mère, même dans le milieu de placement, jusqu’à son décès alors qu’Esther a 15 ans. « On était vraiment proches, là. […] Elle est venue me visiter itou. Elle m’appelait » (E). Esther, en centre fermé, a le droit de recevoir les visites de sa grand-mère et de sa mère, mais n’a pas le droit de les visiter. De même, on lui impose une limite sur le temps de ses appels sortants, mais pas sur les appels entrants. « On a pas vraiment gros temps de téléphone, fait que quand que c’est ta mère qui t’appelle, quand que c’est eux-autres qui t’appellent, ça compte pas dans ton temps de téléphone » (E).

Malgré le droit d’avoir des contacts, certains jeunes ont sciemment gardé une distance avec leurs parents durant le placement. C’est le cas des jeunes qui sont « fâchés » (T) contre leurs parents à cause de leur situation de placement. Ça ne « tente pas » (F) à Francis de téléphoner à sa mère, étant donné que c’est elle qui a appelé la police pour le signaler.

Par ailleurs, les jeunes qui aimeraient avoir accès à leur famille, mais qui n’y sont pas autorisés autant qu’ils le souhaiteraient (C; M; T), trouvent cela très frustrant. Après le dévoilement de ses abus, Chérie n’a plus le droit d’avoir des contacts avec son père. Dans les faits, l’interdit de contact lui empêche de participer aux événements de famille où il sera présent, comme les anniversaires et la célébration du temps des Fêtes, ce qui lui donne le sentiment d’être exclue : « J’avais pas le droit de rien faire avec eux-autres, genre. J’aurais aimé ça faire partie de la famille! C’est tout! » (C).

Les trois femmes de l’étude se sont plaintes de la qualité de l’engagement parental auprès d’elles pendant le placement. C’est souvent Esther qui doit faire les premiers pas auprès de sa mère. « Elle venait quand même. Elle faisait juste pas vraiment appeler souvent » (E). Lorsque Tracey appelle sa mère, celle-ci est souvent trop « occupée » (T) pour lui parler. « Soit qu’elle écoutait la télé, ou elle faisait à manger, puis elle disait : ‘Ah! J’suis occupée, j’ai pas le temps de parler.’ Puis on raccrochait » (T). Chérie, pour sa part, a souvent demandé à sa mère de la visiter, mais sa mère n’est pas venue. « Ma mère, elle buvait dans ce temps-là puis elle voulait pas rien savoir vraiment. Elle voulait juste me voir une fois de temps en temps » (C).

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Matthew, quant à lui, se considère comme « un jeune proche de ma famille » (M) et c’est très difficile pour lui d’en être séparé à cause du placement. Lorsque la travailleuse sociale retire Matthew et son frère du milieu familial, ils sont placés dans le même foyer de groupe, mais, rapidement, son frère est déplacé. C’est grâce à sa grand-mère que Matthew continue, entre l’âge de 7 et 12 ans, à voir son frère aîné. « C’est elle qui venait me voir, mon frère puis moi, […]. Puis elle nous emmenait au centre d’achat à toutes les fins de semaine » (M). Puisque les garçons ont un interdit de contact avec leur mère, leur grand-mère n’a pas le droit d’amener les garçons chez elle, au cas où la mère s’y trouve. À cause de son investissement auprès de lui durant ses années de placement, Matthew dit de sa grand-mère que « Ça a été la femme la plus chère dans ma vie » (M).

Au cours de leur histoire de placement, certains jeunes qui, au départ, avaient été éloignés de leur famille ont l’occasion ensuite de s’en rapprocher. Grâce à son assiduité à réaliser ses tâches et à prendre ses responsabilités, Tracey obtient le droit de découcher chez sa mère la fin de semaine, lorsqu’elle habite en foyer de groupe.

À son retour en foyer de groupe, à 12 ans, après son séjour en famille d’accueil, Matthew consacre ses énergies à essayer de revoir sa mère, avec qui il lui est interdit d’entrer en contact depuis son placement définitif, à 6 ans. Il devra toutefois attendre 14 ans, l’âge auquel les jeunes ont légalement un droit de parole sur les décisions les concernant, pour que sa demande soit accordée. Lorsque Matthew rencontre sa mère pour la première fois depuis 8 ans, il constate à quel point l’image qu’il s’était faite d’elle est différente de la réalité. « Tu sais, je pensais que ma mère c’était une personne… mais là, à 14 ans, t’es un peu plus vieux : tu la vois pour la première fois, ça te donne un choc, tu sais! » (M). Il décrit leurs rencontres comme « pénibles » (M).