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Premiers constats : un lourd bilan

Dans le document Le procès Barbie (Page 39-41)

Chapitre 1. Le contexte judiciaire international

1.1. Premiers constats : un lourd bilan

De l’affaire Dreyfus à l’histoire de la Shoah, l’histoire de l’antisémitisme semble en France, toujours finir par se régler dans les prétoires. S’agit-il dès lors selon le vieil adage, d’une histoire qui se répète ou encore d’une tradition ad hoc au pays des droits de l’homme et du citoyen ?

Concernant la Seconde Guerre mondiale, nous avons vu qu’à la Libération, de par le monde, le procès qui fait date dans l’histoire pour juger les responsables de l’idéologie nazie est celui de Nuremberg en Allemagne. Symbole du procès des vainqueurs sur les vaincus, ce procès constitue de fait une période charnière dans la restauration de la démocratie au sein d’une Europe dévastée par la guerre et les pertes en vies humaines qui se chiffrent en millions de victimes78.

Pour rappel, 6 millions de Juifs ont été exterminés dans les camps de la mort et pour toute l’Europe. En France, sur les 76 000 Juifs déportés, seuls 2500 sont revenus et ce, même si comparativement aux autres pays d’Europe, la France reste le pays où le nombre de Juifs sauvés, survivants est le plus élevé, les plaies sont béantes, les vestiges de la Guerre omniprésents et dans tous les esprits. Même si comparativement à d’autres pays européens, la France s’est distinguée dans le sauvetage des Juifs, dans le Dictionnaire de la Shoah, l’historien Georges Bensoussan et ses coauteurs confirment ces chiffres :

« Le taux de déportation des Juifs de France est parmi les plus bas d’Europe occidentale. Environ 330 000 Juifs se trouvent sur le territoire de la France métropolitaine en 1940. Près de 76 000 d’entre eux sont déportés (dont 11 400 enfants). Essentiellement au départ de Drancy, 78 convois de déportés juifs ont pour destination Auschwitz-Birkenau à l’exception des convois n° 50 à 53 dirigés vers Sobibor, et du convoi n° 73, parti pour la Lituanie et l’Estonie… » 79

78 Concernant le procès de Tokyo, l’historien Bernard THOMANN va jusqu’à reconnaître qu’il est à

considérer « comme un des actes fondateurs de la démocratie japonaise », pp. 43-69. Cf. l’article Le procès de Tokyo, objet historique et politique, in Pierre TRUCHE (dir.) : Juger les crimes contre l’humanité, 20 après le procès Barbie, op. cit.

79 Georges BENSOUSSAN, Jean-Marc DREYFUS, Edouard HUSSON et Joël KOTEK (dir.) : Le

Dans son Mémorial de la déportation des Juifs de France, Serge Klarsfeld qui est parvenu à donner un nom à tous ces déportés, établit le même constat de pertes en vies humaines. A la suite de cette publication, le philosophe Vladimir Jankélévitch rendra hommage à son immense travail archivistique qui marque le début d’une humanisation, voire d’une forme de sépultures :

« Le Mémorial de Serge Klarsfeld, perpétuant le souvenir des 75 000 déportés juifs de France, s’impose d’abord à l’historien et aux militants antifascistes par l’énormité du travail qu’il représente et par la rigueur impitoyable, méthodique, minutieuse qui a présidé à son élaboration (…). Et, de fait, on reste confondu d’horreur quand on parcourt ces longues listes monotones ; on frémit en imaginant l’inconcevable entreprise que recouvraient les mots « solution finale du problème juif » : et l’on a peur de réaliser ce que pouvaient être quatre-vingt convois emportant pêle-mêle vers la plus affreuse des morts ces hommes, ces femmes, ces vieillards et ces milliers d’enfants. »80

Quant à l’historien et journaliste Marc Semo, dans son article paru dans le quotidien Libération en 2005 lors du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, concernant les chiffres, il nous apportera les précisions suivantes :

« Les premiers, emprisonnés pour action de Résistance ou comme otages, furent en France quelque 65 000 : 40 000 d'entre eux sont revenus. Les seconds, déportés du seul fait d'être nés juifs, furent près de 76 000 : à peine 2 300 survécurent aux camps d'extermination. »81

Dans la même logique, l’historien Johann Chapoutot concède le caractère inédit de cette guerre lorsqu’il dresse à son tour le lourd bilan en ces termes :

dans un article rédigé par Amélie BLAUSTEIN-NIDDAM, intitulé La Shoah dans l’enseignement de l’histoire en France depuis 1990, in Revue d’histoire de la Shoah, Enseigner l’histoire de la Shoah, France 1950-2010, n° 193, juillet-décembre 2010, pp. 151-172. Docteure en histoire et journaliste, l’auteur renvoie pour ce bilan aux manuels scolaires d’histoire de Gisèle et Serge BERSTEIN, Paris, Hachette, p. 260

80Cf. l’article de Vladimir JANKÉLÉVITCH paru dans Le Nouvel Observateur du 22 mai 1978 et cité dans

le livre de Beate et Serge KLARSFELD : Mémoires, op. cit., pp. 628-629.

81Marc SEMO : Au Lutétia, le silence des survivants, in Libération, 24 janvier 2005. Voir également l’article

de Thomas FONTAINE, intitulé Les enquêtes sur la déportation : l’exemple du Livre-Mémorial des déportés

arrêtés par mesure de répression, in La Gazette des archives, n° 215, 2009. Archives et coopération

européenne : enjeux, projets et perspectives et les données personnelles, entre fichiers nominatifs et jungle Internet, pp. 179-186.

En effet, l’historien nous y rappelle que cette enquête à but mémoriel, initiée par le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale (CH2GM) déboucha sur un « véritable travail historique ». Auteur également d’une thèse d’histoire, intitulée Déporter, politiques de déportation et de répression en France occupée,

1940-1944, Université de Paris 1 Sorbonne, 2013, Thomas FONTAINE fait état d’un chiffre de 65 000

déportés « politiques » mentionné par le CH2GM. Puis, dans une note de bas de page n° 650, p. 199, l’auteur nous précise : « De même, aujourd’hui, on évoque les 86 000 et plus déportés recensés par la FMD sans que ceux qui reprennent ce chiffre ne précisent le plus souvent sa définition et les différentes catégories qu’il comprend. À tort, soulignons-le. »

« Le bilan humain, matériel et moral du IIIè Reich constitue une catastrophe sans précédent : les nazis ont semé la mort en Europe – et singulièrement en territoire soviétique, où 27 millions de personnes sont mortes entre 1941 et 1945. Hitler promettait la puissance et la domination pour les siècles à venir : sept millions d’Allemands et d’Autrichiens ont péri, soit presque 10% de la population de 1937. Mise au ban des nations, l’Allemagne est accusée par ces victimes et exilés qui, malgré tout, reviennent, comme Karl Jaspers. Retrouvant sa chaire de philosophie à Heidelberg, il prononce un cours, en 1946, sur la Schuldfrage, la question de la culpabilité. Des générations d’Allemands, jusqu’à ce jour, doivent vivre avec cet héritage de crimes et de mort. »82

Ainsi, face aux nombres élevés de victimes, à l’atrocité de la barbarie nazie, au regard de la nature des crimes perpétrés, il fallait bien commencer par édifier en Allemagne les premiers fondements démocratiques, désigner les coupables encore en vie et détenus, puis nommer l’innommable. En ce sens, le procès de Nuremberg a servi de point d’ancrage dans l’effondrement de l’idéologie nazie et le début d’une nouvelle ère. Au lendemain de la capitulation allemande, juger les hauts dignitaires nazis s’inscrit aussi dans une politique de dénazification de l’Allemagne qui, dans toutes les sphères de la société jusqu’au plus haut sommet de l’Etat est à reconstruire. Mais pas seulement.

Dans le document Le procès Barbie (Page 39-41)