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Les fonctions de l’UGIF : « entre soumission et Résistance » ?

Dans le document Le procès Barbie (Page 94-96)

Chapitre 8. Études de cas

8.2.2 Les fonctions de l’UGIF : « entre soumission et Résistance » ?

Dans l’ouvrage d’Adam Rayski, consacré au destin des Juifs en France entre 1940 et 1944 et dont le sous-titre s’intitule Entre soumission et Résistance, l’historien François Bédarida mentionne dans sa préface que les Juifs vont alors vivre une « double persécution » par la France de Vichy et l’occupant allemand lorsqu’il écrit :

« C’est ainsi que, après avoir bien mis en lumière le paradoxe et la spécificité de la « question juive » en France, pays caractérisé, à la différence des autres Etats européens, par une double persécution – celle de Vichy et celle de l’Allemagne nazie - … »198

Quoi qu’il en soit de l’originalité de la situation française, la double action de Vichy et de l’Allemagne nazie est une réalité qui s’est imposée à l’UGIF. Si officiellement, l’UGIF a pour fonction d’apporter assistance aux Juifs en difficulté, de leur fournir une aide médicale et sociale, grâce à des réseaux clandestins, elle va aussi organiser des filières d’évasion, procéder au sauvetage des enfants juifs vers la Suisse, l’Italie, etc. Pour ce faire, l’UGIF, via d’autres réseaux de Résistance juive entre en action pour fabriquer de faux papiers, protéger les enfants, organiser la collecte de renseignements tout comme la lutte armée199. A l’instar des Conseils juifs créés en

Europe de l’Est, cette « duplicité » de l’UGIF lui vaudra cependant de se voir reprochée par une partie de la communauté juive de « collaborer » avec l’ennemi.200 Pourtant, nombre d’historiens

spécialistes de la Shoah, ont reconnu que l’UGIF avait été créée à des fins de contrôle, de fichage des Juifs, que ce soit en zone nord occupée ou en zone sud libre.

Par exemple, dans un article intitulé Exclusion, persécution, répression, l’historien Denis Peschanski nous rappelle la stratégie adoptée par les Allemands via les collaborateurs français pour traiter de ce qu’ils appelaient dans leur idéologie et leur programme « la question juive » :

198 Adam RAYSKI, Le choix des juifs sous Vichy, op. cit., p. II. Rappelons aussi qu’Adam RAYSKI, a écrit

cet ouvrage à travers le prisme du résistant juif, témoin de son temps et celui de l’historien qu’il est devenu. Responsable des organisations juives de la Main d’œuvre immigrée (MOI), Adam RAYSKI a également été le cofondateur durant la guerre du Conseil représentatif des Juifs de France (CRIF), autre instance créée en 1944 et sous la tutelle du CGQJ pour mieux contrôler les Juifs.

199 Parmi les réseaux de résistance juive les plus connus, citons : Le MOI (Main d’œuvre immigrée) ; L’EIF

(les Eclaireurs Israëlites de France) ; L’OSE (l’Oeuvre de secours aux enfants) ; L’ORT (l’Organisation reconstruction travail) ; L’OJC (Organisation juive de combat) ; L’Armée juive liée au mouvement sioniste etc.

200 Jusqu’à créer de violentes polémiques au sein-même du monde juif. A ce sujet, il faut lire l’ouvrage de

Claude LANZMANN, Le dernier des injustes, Paris, Gallimard, 2015 qui restitue les entretiens du documentaire produit en 2013 que le réalisateur a eus avec le rabbin Benjamin MURMELSTEIN. Dans son livre (et son film), Claude LANZMANN réhabilite à travers Benjamin MURMELSTEIN, les conseils juifs qui furent discrédités lors du procès Eichmann entre autres par Hannah ARENDT, dans son ouvrage Eichmann, Rapport sur la banalité du mal, op. cit.

« En l’occurrence, Dannecker, chef du service des affaires juives au SIPO-SD, les [désirs de l’occupant] explicitera, relayé, à cette occasion, par l’ambassade. Le piège a été expliqué dans une conférence antérieure donnée par Kurt Lischka (SIPO- SD) le 30 janvier 1941 : « Il convient de laisser aux Français le soin de régler la suite, afin d’éviter dans ce domaine la réaction du peuple français contre tout ce qui vient des Allemands. Aussi bien les Allemands s’en tiendront-ils à faire des suggestions. »201

Dans son ouvrage intitulé Atlas de la Shoah, l’historien Georges Bensoussan invoque quant à lui les motifs financiers qui ont justifié la création de l’UGIF par les nazis, puisque sa fonction principale sera de « recouvrer l’amende d’un milliard de francs exigée par les Allemands. »202

Certes, le démantèlement en zone sud ne surviendra qu’après celui de la zone nord, tel que le précise l’historienne Renée Poznanski :

« Comme en zone nord et selon les mêmes modalités, l’UGIF devenait, à son corps défendant, l’auxiliaire du contrôle des Juifs. »203

Mais en dépit des dissensions internes existantes au début, notamment des rivalités entre « Juifs français » et « Juifs étrangers » que Vichy et le IIIè Reich ont su attiser et instrumentaliser dans leur politique de traque et de terreur, à partir du moment où les mesures antisémites émanant de France et d’Allemagne se font de plus en plus sentir, les liens entre « Juifs de France » et « Juifs émigrés » se consolident d’autant que la nécessité de faire bloc pour résister à l’ennemi s’impose. Cependant, au risque de résonner comme une évidence, il importe de rappeler combien il était difficile, voire impossible pour les Juifs d’échapper à tous les dangers de mort récurrents et imminents auxquels ils faisaient face durant l’occupation, au vu de tous les moyens déployés par Vichy et le IIIè Reich pour les isoler, les dénoncer, les traquer et les rafler. Ainsi, en guise d’isolement, depuis le 3 octobre 1940, le gouvernement de Vichy, sous la signature de Pétain proclame le nouveau statut des Juifs visant à définir qui est juif mais aussi à leur interdire d’exercer dans la fonction publique, comme le soulignel’historien Simon Schwarzfuchs dans son ouvrage :

« Les Juifs de France » : « Les fonctionnaires juifs devaient quitter leur emploi dans un délai de deux mois. Des mesures furent bientôt prises pour assurer l’épuration

201 Denis PESCHANSKI : Exclusion, persécution, répression, in Jean-Pierre AZÉMA et François

BÉDARIDA (dir.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, pp. 209-234. La dernière citation de Dannecker est elle-même extraite des archives du Centre de Documentation juive contemporaine sous la référence Arch. CDJC, LXXV-81, cité par Serge KLARSFELD, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France, 1942, Paris, Fayard, 1983, p. 14.

202 Georges BENSOUSSAN, Atlas de la Shoah, Paris, Ed. Autrement, 2014, p. 59.

203 Renée POZNANSKI, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit. pp. 508-513.

Dans le sous-chapitre consacré à « La délégitimation de l’UGIF-sud », l’auteur nous précise aussi qu’en zone nord, l’UGIF était dirigée par André BAUR, tandis qu’en zone sud, c’était Raymond-Raoul LAMBERT et qu’au final, tous deux furent déportés à Auschwitz.

de l’éducation nationale, et le recensement de tous ses agents juifs fut entrepris. Les Juifs étaient donc exclus de toutes les fonctions d’autorité. »204

Plus loin, dans son ouvrage, l’auteur nous relate aussi comment les Allemands ont mis en application leur politique de terreur et de persécution des Juifs en représailles aux attentats commis à Paris par la Résistance et contre l’ennemi nazi. De fait, le 14 décembre 1941, le dénommé Otto von Stüplnagel, général allemand commandant en France, va exercer une répression féroce contre la Résistance en mettant en œuvre sa politique d’exécution des otages205. Les Juifs militants

(communistes, anarchistes etc.) seront persécutés, arrêtés et fusillés à grande échelle jusqu’à ne plus faire de distinction entre « Juifs français » et « Juifs étrangers ». Le 11 novembre 1942, quand les troupes allemandes occupent la zone sud, le sort de tous les Juifs s’aggravent, comme nous le rappelle Simon Schwarzfuchs :

« A partir du 11 novembre 1942, quand les troupes allemandes occupèrent la zone Sud, la distinction entre la zone occupée et cette dernière fut supprimée, les différences de traitement s’évanouirent (…). Cette aggravation brusque du sort des Juifs de la zone libre fut compensée par l’accroissement de l’hostilité envers les Allemands, et la libération des Juifs d’Afrique du Nord. »206

Dans le document Le procès Barbie (Page 94-96)