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Enjeux et impacts idéologiques de la partie adverse

Dans le document Le procès Barbie (Page 104-106)

• Au sein et hors du procès : contexte révisionniste et négationniste de l’histoire en effervescence

Quels sont les enjeux de ce procès ? Du côté de la partie adverse, nous l’avons vu, il s’agit essentiellement d’enjeux idéologiques. De fait, le procès Barbie va entraîner de la part des défenseurs de l’accusé une instrumentalisation de l’histoire, consistant à relativiser les actes de Barbie, en évoquant le passé colonial de la France mais aussi le conflit israëlo-palestinien, le tout en vue de disculper l’accusé. De surcroît, la partie adverse n’hésite pas pour ce faire à utiliser des rhétoriques qui ne sont pas sans rappeler celles des révisionnistes et des négationnistes en avançant par exemple la théorie du faux télex pour Izieu, celle de faux documents pour l’UGIF, quitte à jeter le doute au sein des acteurs du procès en prétendant détenir des informations et des révélations à faire sur celui qui a trahi Jean Moulin, à tenter d’accréditer l’idée que Raymond Aubrac, le résistant juif communiste serait un traître, à citer à comparaître comme témoin un ancien collaborateur du régime de Vichy, au demeurant condamné lors des procès de l’épuration, à jouer sur la déculpabilisation en minorant les crimes contre l’humanité et la spécificité de la Shoah, en relativisant par comparaison avec d’autres guerres et conflits.

En dehors du procès, le fait de véhiculer de telles thèses pouvait avoir un effet car il faisait écho au contexte révisionniste et négationniste qui a débuté peu avant la fin de la guerre et à la Libération mais qui ressurgit dans les années 1970-1980. Dans un article intitulé Les racines du négationnisme, l’historien Henry Rousso nous retrace l’historique de cette montée en puissance du négationnisme dans différentes strates de la société française en nous présentant des instigateurs de cette propagande tels que Maurice Bardèche, Paul Rassinier, relayés ensuite par des intellectuels et universitaires qui œuvrent au sein même de la faculté de Lyon225. Tous ces idéologues n’ont pas

forcément un passé de collaborateur. Ils avaient cependant un point commun. En 1978, des

225 Henry ROUSSO : Les racines du négationnisme, op. cit. Nous ne citons que certains d’entre eux et

dérapages antisémites émaneront de celui qui, nous l’avons vu déjà, avait eu pendant la guerre, sous Pétain à diriger le commissariat général aux questions juives (CGQJ), Xavier Darquier de Pellepoix. A son sujet, Henry Rousso nous apprend :

« En octobre 1978, Louis Darquier de Pellepoix, l’ex-commissaire général aux questions juives, déclare à l’Express : « A Auschwitz, on n’a gazé que les poux. » L’article suscite une émotion considérable et joue comme un accélérateur dans la prise de conscience en cours des Français face au passé des Années noires. Quelques semaines après, Robert Faurisson, un maître de conférences en littérature à Lyon II, université réputée de gauche, affirme dans plusieurs grands quotidiens : « Les chambres à gaz, ça n’existe pas ! » C’est le début d’une longue polémique sur cet universitaire, mis à l’écart quelques années plus tard, qui a exercé une grande influence tant à l’extrême droite que dans des franges de l’extrême gauche, puis dans des cercles islamistes à l’échelle internationale ».226

La liste des négateurs de l’histoire ne cesse de s’allonger jusqu’à l’ouverture du procès Barbie et même après, lorsqu’un dénommé Jean-Marie Le Pen, président du Front national, déclare à son tour en septembre 1987 :

« Je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », un propos qui fait entrer le négationnisme dans le débat politique national. »227

De surcroît, nous voyons bien qu’en France, cette idéologie bat son plein dans les partis considérés extrêmes mais sa propagation à l’étranger sera aussi considérable, voire dévastatrice puisque nombre de pays musulmans vont être à leur tour impactés. Pour ce qui est du succès d’une telle idéologie en France, l’historien Henry Rousso y voit dans son article plusieurs causes : d’une part, il y a l’affaiblissement de l’extrême droite au lendemain de la guerre ; d’autre part, la fascination pour cette période dite des « Années noires » de l’histoire attire aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche des partis, la première étant en quête d’un nouvel élan pour se reconstruire après la guerre, la seconde pouvant s’identifier et se reconnaître dans les idées véhiculées telles que la théorie du complot et la « crypto-histoire ». Plus loin, l’auteur nous explique la montée en puissance en France des théories négationnistes et révisionnistes à une période où a eu lieu « l’anamnèse de la période de Vichy », notamment au moment où la parole des victimes va se libérer et être prise en compte que des politiques publiques vont être mises en œuvre pour sensibiliser les jeunes générations à l’histoire de la Shoah :

226 Henry ROUSSO, Les racines du négationnisme, ibid. p. 55. 227 Henry ROUSSO, Les racines du négationnisme, ibid. p. 56.

« En ce sens, le négationnisme est une conséquence indirecte de l’ « âge de la mémoire » dans lequel sont entrées les sociétés occidentales depuis une vingtaine d’années. D’un côté, il a indirectement bénéficié de la très forte sensibilisation autour des questions liées au souvenir de la Shoah, de l’autre, son existence constitue l’une des justifications récurrentes des appels à l’entretien du souvenir. »228

Dans leur dictionnaire consacré aux 100 mots de la Shoah, les historiens Tal Bruttmann et Christophe Tarricone établissent également un lien de cause à effet entre le procès Barbie et la résurgence du négationnisme en France :

« Pendant plusieurs années, notamment lors du procès de Klaus Barbie, les négationnistes tentent de se faire remarquer, axant l’essentiel de leurs attaques sur Auschwitz, dont ils nient qu’y aient existé des chambres à gaz, aucune n’a existé et donc que la Shoah n’a pas existé – laissant de côté les fusillades effectuées à l’échelle du continent, de Riga à la Crimée, de Rillieux-la-Pape à Moscou et qui ont fait 2 millions de victimes. »229

De ce point de vue là, si le procès Barbie représente des enjeux et impacts idéologiques quant à la propagation de théories révisionnistes et négationnistes via la partie adverse, grâce aux parties civiles, des victimes directes du gestapiste aux témoins d’intérêt général, il n’en reste pas moins un formidable vecteur de mémoire et d’histoire de la Shoah230.

Dans le document Le procès Barbie (Page 104-106)